L’hôpital St Pierre, associé à l’ONG Médecins du Monde, décerne pour la première fois le Prix Solidarité ce jeudi 16 octobre. Le lauréat est déjà connu : il s’agit du docteur Mukwege, ce médecin congolais qui, au Sud-Kivu, répare les femmes qui ont été déchirées par les viols brutaux qui leur sont imposés.
Les femmes victimes de viol « sont doublement punies », déclare le gynécologue, il y a le traumatisme de l’acte lui-même mais également le rejet qu’elles subissent ensuite par leur famille et la communauté congolaise. Face à cette double sanction, les victimes ont tendance à se cacher, se rendant à l’hôpital lorsqu’elles n’ont vraiment pas d’autre choix.
Quels sont les chiffres de ce type de crime en RDC ?
« Ce n’est pas le nombre qui compte, insiste le Dr Mukwege, « Une femme violée c’est déjà de trop ». Derrière chaque femme il y a une souffrance, une déshumanisation qui a souvent lieu devant ses enfants ou son mari. Derrière chaque viol se cache le drame d’une dislocation familiale. Les chiffres officiels annoncent plus de 40 000 viols mais selon le lauréat, ce n’est que le sommet de l’Isberg. »
Les viols massifs et la destruction du tissu social seraient – ils les conséquences de la colonisation et de la dictature de Mobutu soutenue par l’occident ?
« C’est un phénomène global d’affaiblissement de la société congolaise qui est à l’origine de ces problèmes, déclare Colette Braeckman. Il y a un effondrement des valeurs morales avec les agressions quotidiennes perpétrées par les groupes armés, les milices locales et l’incursion d’armées étrangères. Le viol est une véritable arme de guerre, il s’attaque aux femmes pour briser les résistances. »
Quel est le profil des violeurs ?
« Selon les études réalisées sur place, les violeurs sont majoritairement des enfants soldats, recrutés par les adultes. Une arme à la main, ces jeunes de 12ans peuvent tout avoir, le pouvoir, la nourriture, les femmes. Ils sont envoyés tels des chiens enragés pour détruire des communautés. Devenus adultes, ils sont totalement détruits, ne connaissant pas autre chose que la violence. De pus, aucun encadrement n’est prévu pour prendre en charge ses enfants. Ils sont tout simplement renvoyés dans leur village ou mis au travail. »
Qu’en est-il de la situation des enfants issus de ces viols ?
« C’est un cercle infernal. L’enfant est rejeté par sa mère et se retrouve dans la rue, où il est finalement récupéré comme enfant soldat. C’est une arme de guerre très efficace, elle touche les femmes et transmet la destruction à la génération suivante. Ils sont des milliers ces « enfants serpents » dont personne ne veut.
Cette destruction « à long terme » est également physique : le VIH se transmet à la mère et également aux enfants qui à leurs tours le transmettront de manière horizontale. »
Y a-t-il une prise en charge psychologiquement de ces femmes ?
« Oui, c’est même la clef de la réparation du tissu social. Il ne sert à rien de réparer le corps sans s’occuper de l’esprit. C’est d’ailleurs la priorité lors de la prise en charge, c’est pourquoi l’hôpital lance un appel afin de pouvoir mobiliser plus de personnes compétentes dans ces domaines. »
Existe-t-il un soutien des Autorités congolaises ?
« Les autorités congolaises refusent d’admettre l’existence même du problème », explique Colette Braeckman. Tout d’abord, le centre de pouvoir est situé bien loin de Kivu. De plus, il y a une volonté politique de se dire que tout va bien, mettre en avant la reconstruction du pays. Dans une telle optique, les individus dénonçant ce genre de crimes sont mal vus.
« Le déni des autorités est un état de fait », continue le lauréat. Tant qu’il n’y aura pas de volonté de sortir de ce déni, aucune démarche positive ne sera mise en place. »
Comment l’Europe peut-elle aider à améliorer la situation ?
« Il est important que la communauté internationale réalise que c’est une menace pour notre humanité, insiste le Dr. Ces techniques sont utilisées dans tous les conflits à travers le monde. En Bosnie, en Amérique latine et également en Syrie, les femmes deviennent des cibles privilégiées. Le viol n’a rien de nouveau, mais c’est l’ampleur de celui-ci qui en fait « La » nouvelle arme de terreur.
La communauté internationale a la responsabilité de tracer une ligne rouge, de condamner ces crimes et d’agir pour empêcher qu’ils continuent à être perpétrés. »
Et le Dr Mukege de conclure : « Si on laisse les femmes être traité de la sorte, comment pouvons-nous dire que nous partageons une humanité commune ? »