Manœuvres politiciennes de la Majorité : Empêcher Kengo d’assumer l’intérim présidentiel

Mardi 23 février 2016 - 11:26

A quelques jours de réouverture de la session parlementaire de mars, le bruit court et se confirme au jour le jour. Une motion de défiance est en gestation à la Chambre haute du Parlement. Elle vise directement le président du Sénat, devenu gênant. Sur le document qui circule sous le manteau dans les couloirs du Palais du peuple figurerait déjà une cinquantenaire de signatures. Objectif poursuivi par la MP : empêcher Kengo wa Dondo d’assumer l’intérim du chef de l’Etat, si jamais on devait actionner l’article 76 de la Constitution au-delà de décembre 2016.

 

La nouvelle a l‘air d’un canular ou encore d’un poisson d’avril. Mais, dans les cercles huppés de la ville de Kinshasa, elle alimente la chronique. Au Palais du peuple, la nouvelle ne se conjugue plus au conditionnel. Des sources généralement bien introduites confirment l’existence de l’initiative qui aurait déjà récolté une cinquantaine de signatures. Il s’agit d’une motion de défiance qui vise directement e président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo.

 

Dans les couloirs du siège du Parlement, le document circulerait encore sous le manteau. Le projet a été minutieusement préparé au niveau de plus hautes instances de la Majorité présidentielle (MP). Pour un but précis. Sans nul doute s’offrir la tête de Kengo qui ne rassurerait plus quant aux nouvelles perspectives politiques de la MP.

 

La motivation de ces manœuvres politiciennes, somme toute un réveil un peu tardif des gens au pouvoir, se trouve dans l’article 76 qui règle la question de l’intérim du président de la République en cas de vacance ou d’empêchement prolongé au sommet de l’Etat.

 

La stratégie vise à faire sauter du perchoir le président du Sénat qu’il faudrait remplacer par un pion sûr, un fidèle des fidèles à même de poursuivre la politique de la MP au cas le contexte exigerait que l’on actionne cet article 76 de la Constitution. C’est la dernière trouvaille dés stratèges de la MP qui, acculés par le temps et jouissant d’une marge de manœuvre bien réduite face à la pression qui s’accentue sur leur chef de file, jouent le tout pour le tout. Aussi ont-ils vite pensé à anticiper sur l’intérim du chef de l’Etat à la fin de son mandat, intérim devant être assumé par une personnalité autre que lui. Le scénario parait surréaliste. Mais, dans la Majorité, les caciques ont pris le courage de l’imaginer.

 

Le temps joue contre la MP

L’année 2016 aurait pu être paisible pour le chef de l’Etat. En cette année de son deuxième et dernier quinquennat, le président de la République aurait pu observer les réalisations de ses quinze ans de règne à la tête du géant Congo, au cœur de l’Afrique et préparer calmement le passage du drapeau à son successeur par l’organisation des élections dans les délais constitutionnels.

 

Cependant, sa famille politique, la MP a décidé de ramer à contre-courant. A défaut de changer la Constitution, la MP a multiplié des exceptions pour retarder davantage le cycle électoral.

Voilà qui explique toutes les manœuvres dilatoires que cette dernière a concoctées durant toute la mandature, dans l’optique simplement de renvoyer au-delà de 2016 a tenue notamment de la présidentielle et des législatives. Scrutins reconnus par tous comme essentiels et par lesquels passe l’alternance politique très attendue.

 

Pour réussir leur coup, les caciques de la MP ont recommandé à toutes les institutions de la République de jouer aux manœuvres dilatoires. On l’a vu, la CENI est en - train de tramer expressément les pieds. Elle a allongé indéfiniment la liste de contraintes techniques et logistiques afin de faire allégeance à la MP. Auparavant, c’est l’Exécutif national qui gelait malicieusement le financement des élections alors que tout le monde sait que le budget du cycle électoral est pluriannuel. Le Parlement, largement acquis à la cause de la Majorité, a joué superbement sa partition en retardant l’adoption des lois essentielles au processus électoral.

 

INTÉRIM EN LIEU ET PLACE DE L’ALTERNANCE

 

De bout en bout, la MP a embrigadé le processus électoral, convaincu de l’amener sans heurts au glissement. Mais dans son enthousiasme, la MP a minimisé une donne importante, c’est-à- dire la pression interne et externe. C’est cette pression, qui s’accroît au jour le jour, et l’oblige aujourd’hui à imaginer d’autres scenarii.

 

Aujourd’hui, les stratèges de la MP ont pris le courage d’imaginer un scénario électoral sans Joseph Kabila. Vraisemblablement, n’est-ce pas ? Car, il y a quelques mois, les sept partis frondeurs, regroupés ‘aujourd’hui dans le G7, s’étaient attirés la foudre des caciques de la MP en proposant un schéma presque similaire.

 

En réalité, la MP commence peu à peu à sentir venir le danger. Comme un naufragé qui se bat pour un ultime sauvetage, la majorité au pouvoir pense que sa survie peut passer par la présence au perchoir du Sénat d’une personnalité totalement acquise à sa cause. L’actuel, Léon Kengo - quoi que proche de la Majorité - n’inspirerait plus confiance.

 

Dans la Majorité, on n’écarte plus le schéma d’un président de la République intérimaire au-delà de décembre 2016. En effet, pour éviter un vide au sommet de l’Etat – ce qui serait préjudiciable pour le pays – le législateur avait prévu des mécanismes transitoires. L’article 75 de la Constitution stipule ce qui suit : «En cas de vacance pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d’empêchement définitif, les fonctions de président de la République, a l’exception de celles mentionnées aux articles 78, 81 et 82 sont provisoirement exercées par le président du Sénat ».

 

Plus explicite, l’article 76 dispose: « La vacances de la présidence de la République est déclarée par la Cour constitutionnelle saisie par le gouvernement. Le président de la République par intérim veille à l’organisation de l’élection du nouveau président de la République dans les conditions et les délais prévus par la Constitution. En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par la Cour constitutionnelle, l’élection du nouveau président de la République a lieu, sur convocation de la Commission électorale nationale indépendante, soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus, après l’ouverture de la vacance ou de la déclaration du caractère définitif de l’empêchement. En cas de force majeure, ce délai peut être prolongé à cent vingt jours au plus, par la Cour constitutionnelle saisie par la Commission électorale nationale indépendante. Le président élu commence un nouveau mandat ».

 

Toutes ces considérations techniques peuvent se buter à des arguments politiques aussi pernicieux que tordus.

D’abord, il n’est pas évident que la Cour constitutionnelle se prononce en faveur d’un empêchement. Cela crève les sens! De même, ta MP ne mettra pas tout de suite de côté l’argument d’un président qui reste en place jusqu’à l’installation de son successeur. Une interprétation sélective de la Constitution quand on sait que dans le cas d’espèce le président sortant reste en place jusqu’à l’installation du nouveau élu. Ce qui ne s’appliquerait pas dans le cas de vide de pouvoir causé par le dépassement des délais.

 

Le plus évident est qu’après décembre, la Constitution règle déjà le sort du président de la République. L’article 76 est plus qu’explicite sur ce point. Ce qui explique toutes les bousculades au sein de la MP. Même si le scénario serait une dernière issue de secours, après avoir épuisé toutes les possibilités, la MP voudrait éviter toute surprise désagréable.

 

Qu’est-ce qu’il faut comprendre derrière cette démarche ? La MP a compris que contourner la Constitution ne sera pas chose facile. Faire glisser le cycle électoral n’est pas non plus rassurant.

 

Par ailleurs, il sied de rappeler qu’en son temps, le G7 avait, avant de basculer dans l’opposition, proposé ce schéma. L’on sait comment cela s’est terminé. Il faut dire qu’aujourd’hui la MP commence timidement à franchir le Rubicon en imaginant un schéma sans Kabila. Sans doute, dans les prochains jours, elle pourra évoluer en mettant sur la table de discussions le choix d’un dauphin pour défendre les couleurs de la Majorité à la prochaine élection présidentielle.

 

La bataille s’annonce rude et serrée. Animal politique qui a traversé tous les âges, Kengo se laissera-t-il prendre comme un agneau a l’abattoir ? Wait and see.

 

LE POTENTIEL

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