RDC : Kabila-Katumbi, la guerre est déclarée

Lundi 25 avril 2016 - 09:12
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Si le pouvoir voulait donner un maximum de retentissement au meeting anti-Kabila organisé par l’ancien gouverneur du Katanga, il ne s’y serait pas prises autrement. Depuis que l’ancien gouverneur du Katanga a claqué la porte de la majorité présidentielle fin 2015 et compte briguer la magistrature suprême, le pouvoir ne lui laisse aucun répit. Dernier exemple en date : le meeting de Katumbi à Lubumbashi a été le seul réprimé par la police ce week-end. Pourtant, samedi et dimanche, plusieurs manifestations de l’opposition étaient organisées pour fêter 26 ans de multipartisme en République démocratique du Congo (RDC). Samedi, c’est l’UDPS d’Etienne Thsisekedi, toujours en convalescence à Bruxelles, qui organisait un rassemblement dirigé par le secrétaire général du parti, Bruno Mavungu. Dans le calme, le partisans du « Sphinx de Limete » ont pu écouter un message prônant un dialogue politique sous condition avec le pouvoir et annonçant un possible retour au pays d’Etienne Tshsisekedi « pour bientôt ». Toujours dans le calme, dimanche, c’est la Dynamique de l’opposition qui est descendue dans la rue pour réaffirmer son refus du dialogue avec le président Kabila et appeler la CENI à respecter la tenue de l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel. Les principaux partis d’opposition, rassemblés dans la Dynamique (MLC, UNC… ) accusent le chef de l’Etat de vouloir retarder volontairement le processus électoral pour s’accrocher un peu plus au pouvoir, alors que la Constitution lui interdit de briguer un troisième mandat. Boulevard Triomphal, la manifestation de la Dynamique de l’opposition a rassemblé, selon les observateurs, environ 2.000 personnes. Contrairement à la mobilisation de janvier 2015 contre la loi électorale, cette manifestation s’est déroulée sans heurt et sans provocation extérieure. A Goma et Bukavu, dans l’Est du pays, des manifestations similaires se sont déroulées sans incident avec les forces de l’ordre.

La pression se resserre sur Katumbi

Image retirée.Mais c’est à Lubumbashi, fief du président Kabila, que le rassemblement du G7, une plateforme d’ex-frondeurs de la majorité passés dans l’opposition, a dégénéré. Le meeting de la Kenya, prévu ce dimanche à 14h, a rapidement été dispersé par la police au moyen de gaz lacrymogène. C’est au moment où Moïse Katumbi tentait de rejoindre le cortège à pied pour se rendre sur le lieu du meeting, que le police a commencé à tirer des bombes lacrymogènes sur les manifestants. Certains témoins parlent de tirs de balles en caoutchouc, démentis dans la soirée par le chef de la police du Haut-Katanga. Le patron du célèbre club de foot TP Mazembe a dû rebrousser chemin, alors que son chauffeur était interpelé par les forces de sécurité. Après cette manifestation avortée, qui a tout de même rassemblé quelques milliers de personnes dans les rues de la capitale Katangaise, la pression de Kinshasa semble s’être resserrée sur Moïse Katumbi, pour en faire l’unique cible de sa répression politique. Aujourd’hui, alors que les manifestations de Kinshasa, Goma et Bukavu se sont déroulées sans violence policière (élément rare pour le signaler), c’est à Lubumbashi, nouveau fief des anti-Kabila, que la situation a dérapé. Deux jours avant le meeting de la Kenya, c’est l’ancien directeur de cabinet de Moïse Katumbi, Simon-Huit Mulongo, qui  été arrêté par l’ANR, les services de renseignements congolais. Le jour du meeting, ce sont deux fils de Pierre Lumbi, ancien conseiller de Joseph Kabila, qui a rejoint l’opposition au sein du G7, qui ont été interpellés dans l’hôtel qu’ils dirigeaient. Des armes auraient été trouvées dans une des chambres de l’établissement, selon la police. Mais les opérations d’intimidations ne s’arrêtent pas là. Il y a quatre jours, le 20 avril, le siège de l’UNAFEC de Gabriel Kyungu, un allié de Katumbi, a été investi par les forces de l’ordre. Les autorités ont décidé de placer le siège du parti à Lubumbashi sous scellés et Kyungu est convoqué devant la justice.

L’ex-Katanga sous surveillance

Harcelé par le pouvoir, Moïse Katumbi l’est depuis son basculement dans l’opposition, fin 2015, et ses prises de positions tranchées contre un troisième mandat du président Joseph Kabila, son ancien mentor. Depuis cette date, pressions, intimidations et arrestations se succèdent dans l’entourage de l’ancien gouverneur de la riche province minière. Son avion privé a désormais l’interdiction d’atterrir sur l’aéroport de Luano, à Lubumbashi ; son nom a été cité, à tort, dans certains médias proches de la majorité dans l’affaire des Panama Papers ; des photos de son effigie ont été arrachées dans la rue par la police… Depuis plusieurs mois, l’ex-Katanga devient le noeud de fixation de la majorité présidentielle et sa principale source d’inquiétude. Il faut dire que la province, récemment démembrée en quatre nouveaux territoires, constitue le fief historique du camp Kabila. Réservoir de voix aux élections, mais aussi zone d’influence économique et politique sur l’échiquier congolais, le Katanga a toujours fortement pesé pour faire et défaire les présidents. Difficile donc pour le président Kabila de se couper de cette province alors que Katumbi, Kyungu ou Lumbi, tous d’anciens alliés, ont claqué la porte de la majorité présidentielle pour le défier. Signe d’une certaine fébrilité du pouvoir : la forte militarisation de la province ces dernières semaines, avec l’arrivée de chars de combat à Lubumbashi début avril.

« Notre combat pacifique ne fait que commencer ! »

La guerre Kabila-Katumbi a donc belle et bien débuté. Une montée en pression qui inquiète fortement les proches de l’ancien gouverneur, qui craignent pour sa sécurité. Le G7 a récemment lancé un appel à la Monusco, la mission de l’ONU au Congo, afin de protéger son poulain. Olivier Kamitatu, vice-président du G7, expliquait lors d’une conférence de presse à Kinshasa que « Moïse Katumbi étant devenu la cible d’attaques d’hommes armés » et que « le G7 tiendra le gouvernement de la République responsable de tout malheur qui lui arriverait ». « L’opération de déstabilisation de Moïse Katumbi a commencé, confie à Afrikarabia un observateur politique congolais. Le pouvoir est en train de lui faire payer sa trahison à la majorité et compte bien lui faire payer très cher ». En accentuant la pression et la répression autour de Katumbi, la majorité renforce également le poids politique de Katumbi, au sein d’une opposition qui le voit plus comme un rival que comme un allié. Certaines mauvaises langues pensent que le camp Kabila fait volontairement « monter » Katumbi pour affaiblir une opposition déjà divisée. « Mais le niveau d’intimidation est tel, que Katumbi ne peut plus reculer, conclut notre observateur, une fois, le rubicon franchi, il est obligé d’aller au bout ». Un objectif que semble désarmais partager Moïse Katumbi lui-même dans un message sur son compte Twitter, après la manifestation avortée de dimanche : « Merci au peuple pour son courage, notre combat pacifique ne fait que commencer ! ».

Christophe RIGAUD – Afrikarabia