En République Démocratique du Congo, la tension monte. Le climat se tend. On assiste à une recomposition de l’échiquier politique entre les tenants d’une ligne ferme sur le respect de la Constitution et ceux qui sont prêts à transiger en participant au Dialogue. Dans cette dramaturgie, le régime du Président Kabila a fait de Moïse Katumbi son ennemi public numéro 1.
Kinshasa ne ménage pas ses efforts pour tenter d’entraver le retour au pays du très populaire dernier Gouverneur de l’ex-Katanga. Celui-ci pourrait ainsi faire face à un énième procès, cette fois-ci pour de prétendus impayés de droits de douane sur les matériaux ayant servi à la construction du Stade Mazembe à Lubumbashi.
« L’opposant numéro 1, c’est lui ». Plus de doute en effet. Le régime du Président Kabila a désigné Moïse Katumbi comme son opposant le plus dangereux. Il est « l’homme à abattre », confirme un analyste politique kinois. Au sens figuré comme au sens… propre ? En tout cas, pour les autorités de Kinshasa, l’objectif est clair : il faut à tout prix empêcher Katumbi de revenir au pays, après que celui-ci a été contraint à un exil forcé. Et pour ce faire, tous les coups sont permis. Après avoir été, en l’espace de deux mois, victime d’une agression à la seringue infectée, mis en cause dans une obscure affaire de recrutement supposé de mercenaires étrangers (à laquelle il n’a pas été donné suite) et condamné dans le cadre d’un dossier rocambolesque d’expropriation immobilière – qui a permis à la Justice de prononcer son inéligibilité –, l’acharnement dont est victime cette figure très populaire en RDC s’avère sans relâche.
« Il s’agit à tout prix de faire taire le nom de Moïse Katumbi ; voire, espèrent les autorités, d’effacer son nom de la mémoire des Congolais », décrypte un professeur en sciences politiques de l’UniKin. Au départ, il s’est donc agi de bannir le nom de Moïse Katumbi lors des retransmissions des matchs du TP Mazembe. Puis, les autorités ont pris la décision de ne plus retransmettre purement et simplement les matchs du TPM (pourtant, champion d’Afrique en titre). Mais cela étant apparemment encore insuffisant à leurs yeux, les médias proches de Katumbi, notamment les télévisions, ont à leur tour été fermés (Nyota, Mapendo, etc.) Jusqu’où ira le pouvoir dans son entreprise d’acharnement ? A-t-il une limite ? », s’interroge notre professeur en sciences politiques, inquiet face à ce qui apparaît comme un rétrécissement des libertés publiques dans son pays.
Fermeture programmée du Stade Mazembe ?
Les limites, manifestement, semblent sans cesse repoussées. Car les « manœuvres du pouvoir » n’ayant pas entaché la popularité de Moïse Katumbi, il est question aujourd’hui de faire fermer…, le Stade du TP Mazembe à Kamalondo ! Une source interne au sein des services de sécurité nous rappelle que « cette semaine, à l’occasion du match victorieux du TP Mazembe contre les Tanzaniens de Young Africans en Coupe de la Confédération, les supporters n’ont cessé de clamer des slogans à la gloire de leur "Préso", Katumbi. Pour les autorités locales comme nationales, c’est insupportable, d’autant que les images circulent ‘sous le manteau’ à travers les réseaux sociaux », indique-t-il.
Et notre interlocuteur de poursuivre : « un dossier est en train d’être monté au sein de l’ANR afin de démontrer que Katumbi a fait construire le Stade de Kamalondo sans s’être acquitté des droits de douane sur les matériaux de construction. » « Tout aussi grave », prévient notre interlocuteur, « cela servirait de prétexte non seulement pour faire condamner à nouveau Katumbi, mais aussi pour faire fermer le Stade lui-même. » Dans un pays et une région où le football est roi, la menace est considérée comme sérieuse.
« Kabila considère Katumbi comme son unique opposant crédible »
Après les faux mercenaires, les accusations rocambolesques d’expropriation immobilière, cette affaire du Stade Mazembe, « dernière enceinte publique en RDC où l’on peut encore parler ouvertement et positivement de Moïse Katumbi sans subir les représailles du régime » comme l’indique un supporter des Corbeaux, l’un des surnoms donnés aux joueurs du club de Lubumbashi, fera-t-elle déborder le vase ? « Le Président Kabila serait bien inspiré de se rappeler que les revendications d’indépendance du Congo ont débutées dans un stade : en 1957, une rencontre entre les indigènes du FC Léopoldville de Kinshasa et les colons de l’Union saint-gilloise de Bruxelles avait déclenché l’une des premières émeutes, préludes à l’indépendance », rappelle notre Professeur en sciences politiques de l’UniKin. « L’Histoire est têtue. Elle pourrait bien se répéter. Si Kabila touche à notre Stade, ce ne sera pas une révolte, mais une révolution. Et pas seulement à Lubumbashi, mais dans tout le pays », met en garde un supporter, membre des 100 pour 100, les ultras du club.
« Pour Kabila, le stade Mazembe, c’est un peu les mausolées de Tombouctou »
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Kalala, un autre supporter des 100 pour 100, qui habite la Commune rouge de la Kenya, tient, lui, à nous rappeler que « durant la campagne pour la présidentielle de 2011, Kabila avait promis de construire un stade flambant neuf dans chacune des provinces qu’il a visitées. Jusqu’à présent, aucun n’a vu le jour », nous fait-il observer. « Dans le même temps, notre Préso Katumbi nous a dotés d’un stade ultra-moderne, sans équivalent dans le reste du pays et bâti avec des fonds exclusivement privés ». Conséquence, selon notre interlocuteur : « Kabila est jaloux de Moïse car même s’il dispose du budget de l’Etat, il n’est parvenu à construire aucun stade. Kabila a échoué là où Moïse a réussi », assure-t-il. « Le Stade Mazembe est le symbole de la réussite et de la bonne gouvernance de Moïse Katumbi : parvenir à construire une infrastructure flambant neuve sans le moindre denier public. C’est insupportable pour Kabila. Voilà pourquoi il veut faire fermer le stade. » Et Kalala de conclure, tranchant : « pour Kabila, le Stade Mazembe, c’est un peu les mausolées de Tombouctou, un symbole qu’il faut à tout prix mettre à terre. »
« L’acharnement du pouvoir se concentre exclusivement sur Moïse Katumbi. C’est bien la preuve que Kabila considère Katumbi comme son unique opposant crédible », a tenu à ajouter notre professeur en sciences politiques en guise de conclusion. Un constat opéré par de nombreux observateurs en RDC, même s’il y est devenu de plus en plus difficile de l’exprimer.
Par Adrien SEYES (Afrik.com)