Mais à qui pensait donc Joseph Kabila lorsqu'il a prononcé cette petite phrase - c'était à Dakar, le 29 novembre, lors du sommet de la Francophonie : "Nous sommes nombreux qui, si nous pouvions arrêter le temps, aurions souhaité retarder son départ" ? À lui-même, l'oeil fixé sur l'horloge de son second mandat, dont le compte à rebours s'arrêtera en 2016 ? Ou à Abdou Diouf, le secrétaire général sortant ? À Diouf, bien sûr. Et un peu à lui, tout de même, si l'on en croit Le Soft de Kinshasa, journal qui lui est proche et dont l'édition du 1er décembre présente le discours présidentiel, avec photo de l'orateur, sous ce titre dont la congolité subliminale n'échappera à personne : "Il existe des personnes irremplaçables".
N'en déplaise à ses détracteurs, Joseph Kabila ne s'est jamais pris pour un homme irremplaçable, mais il aimerait bien, c'est vrai, disposer d'un peu de temps supplémentaire pour finir son job. D'où la suspicion permanente et jusqu'ici théorique qui l'entoure (il ne s'est jamais exprimé sur le sujet et n'a d'ailleurs vraisemblablement pas encore décidé de ce qu'il allait faire) de chercher à bricoler la Constitution ou d'user de tout autre moyen qui lui permettra de repousser le jour où, inévitablement, il lui faudra troquer ses habits de chef de l'État pour ceux de gentleman-farmer dans son ranch de Kingakati.
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Cette soupçonnite aiguë, entretenue par une opposition dont le sens de la nuance n'a jamais été la qualité première, prend parfois des formes étonnantes. Il a suffi, par exemple, que le mythique gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, tombe malade peu de temps après avoir été reçu par Kabila - et se soigne depuis entre Londres et Bruxelles -, pour que la rumeur dépeigne ce dernier sous les traits de Caligula, l'empereur empoisonneur.
Autre étrangeté, qui mérite, celle-ci, qu'on s'y arrête : la levée de boucliers suscitée par le lancement, le 21 novembre, de l'Office national d'identification de la population, l'Onip.
Le climat de défiance est tel que ce qui devrait être une revendication de l'opposition devient une pièce à charge de plus dans le procès d'intention instruit contre le pouvoir.
Dans un pays où le dernier recensement remonte à la fin des années 1980 et où les cartes d'électeur, qui ne concernent qu'une frange de la population, tiennent lieu de cartes d'identité, l'établissement d'un fichier permanent d'état civil relève de l'opération de salut public. Mieux : il s'agit là d'une nécessité démocratique, dont l'exigence devrait en bonne logique être partagée à la fois par l'opposition et la communauté internationale, lesquelles ont à raison souligné que les précédentes consultations s'étaient déroulées sur la base de listes électorales souvent douteuses.
Placée sous la direction d'un ancien ministre et universitaire respecté, Adolphe Lumanu, l'opération devrait coûter un demi-milliard de dollars, financés à 25 % par un prêt chinois (prêt à 2 % remboursable sur trois décennies), et être réalisée par Huawei, le géant de Shenzhen. À l'issue de ce processus, l'Onip pourra dire aux Congolais combien ils sont (entre 68 et 72 millions, selon les évaluations), qui ils sont, faire procéder à la distribution de cartes d'identité sécurisées et à l'établissement d'un fichier électoral incontestable. Impossible, a priori, d'imaginer que les prochaines élections présidentielle - avec ou sans Kabila - et législatives puissent se dérouler sans cet indispensable travail préalable.
Mais nous sommes en RD Congo, où l'on marche sur la tête autant que sur ses pieds et où le climat de défiance est tel que ce qui devrait être une revendication de l'opposition devient une pièce à charge de plus dans le procès d'intention instruit quotidiennement contre le pouvoir. Adolphe Lumanu a beau dire que l'opération devrait prendre une année "une fois levée l'hypothèque des contraintes financières", ce qui pourrait permettre de respecter l'échéance de la fin 2016, on ne le croit pas. Ce ne serait qu'une manoeuvre, une de plus, une sorte de plan B concocté par le machiavélique Kabila au cas où il devrait renoncer à modifier la Constitution, afin de s'éterniser.
Pourtant, même si le calendrier devait glisser de quelques semaines ou de quelques mois pour permettre la tenue d'élections enfin transparentes, tant il est possible que le recensement dans les vingt-six provinces soit effectivement plus complexe que prévu, pourquoi serait-il scandaleux et antidémocratique d'en discuter ? À Kinshasa hélas, cela fait longtemps que l'anathème a remplacé le dialogue.