Tourisme médical en Inde: des Congolais victimes de leurs compatriotes

Lundi 10 novembre 2014 - 11:39

Des milliers de malades africains se rendent tous les ans en Inde pour recevoir des soins inexistants dans leur pays. Mais les francophones, et surtout les Congolais de RDC, sont parfois victimes d'intermédiaires douteux qui leur extorquent de l'argent, mettant ainsi leur vie en péril.

Papy Bambi avait fondé tous ses espoirs sur ce voyage en Inde. En arrivant à New Delhi, il y a deux ans, ce jeune topographe de Kinshasa rêvait secrètement de marcher à nouveau. « Ou en tout cas de pouvoir avancer avec des béquilles », confie cet homme de 36 ans, devenu paraplégique suite à un grave accident de voiture. Mais ce rêve s'est brisé sur les ambitions sans scrupules de « frères » congolais qui ont profité de son état de faiblesse pour lui extorquer les économies de sa famille.

Il était pourtant venu en confiance : c'est un proche de son père qui lui avait conseillé de contacter l'hôpital Rockland, un établissement haut de gamme de New Delhi, pour traiter sa paralysie des jambes ainsi que les escarres nées après avoir été alité dans de mauvaises conditions à l'hôpital. Au Congo, aucun docteur ne semblait pouvoir lui venir en aide.

« A New Delhi, les responsables de l'hôpital sont venus nous chercher à l'aéroport, raconte Papy qui a été accompagné par sa mère Josée pendant tout ce calvaire. C'est alors qu'ils nous ont présenté le frère congolais. » Ce dernier, Alain, devait servir d'interprète au duo qui ne parle pas anglais. Dès son arrivée, Papy a dû débourser 7 000 dollars, une fortune qui ne couvre finalement que les opérations de soins de ses escarres. Celles-ci sont aujourd'hui résorbées mais ont laissé de profondes cicatrices dans le bas de son dos. Au bout de quinze mois à Rockland, Papy et Josée, à cours d'argent, sont envoyés à l'hôtel.

Des samaritains transformés en escrocs

« Tout passait par ce frère congolais, s'insurge Papy. C'est lui qui nous expliquait ce qui se passait, et c'est à lui que nous donnions l'argent. Mais lui, il augmentait les frais pour toucher de meilleures commissions. Et nous n'avons jamais vu les factures ! », lâche-t-il, les yeux écarquillés par un énervement contenu dans son corps paralysé et impuissant. Les mots sortent difficilement à cause des contractions qui le parcourent douloureusement et l'obligent à recroqueviller ses jambes vers la gauche, dans une position fœtale qui lui cisaille les muscles du dos.

Deux autres Congolais, Patrick Solo et Jacques, lui conseillent alors d'aller à l'hôpital Batra. Papy leur donne 3 000 dollars pour garantir une caution, mais quand il y arrive, les deux samaritains ont disparu. L'hôpital, lui, n'a reçu que 500 dollars.

« On a été escroqués, exploités par nos propres frères congolais, désespère Papy. Ils jouent avec notre vie. C'est vraiment un business pour eux ». Démuni, il échoue en février 2014, avec sa mère, dans une chambre aux murs décatis, située au premier étage d'une annexe de l'ambassade de RDC, de laquelle il ne sort pas pendant huit mois, faute de pouvoir descendre les escaliers.

« Business means business »

Le cas de Papy Bambi n'est malheureusement pas unique. « Plus de 50 cas similaires ont été rapportés depuis 2011, confirme Richie Lontulungu, le président de l'Association des Congolais en Inde. Ces agents touchent en général 20% du montant de la facture, avance-t-il. Ils ont donc tout intérêt à la faire gonfler. C'est un phénomène qui nous terrorise. » Surtout qu'il frappe également d'autres Africains francophones, tels que les Béninois.

Ces intermédiaires sont des étudiants, parfois engagés directement par les hôpitaux. Le luxueux Rockland Hospital reçoit ainsi 3 000 patients étrangers par an, dont 20% viennent de RDC. Le responsable du service international confirme engager de « jeunes Congolais » pour servir d'interprètes, mais assure qu' « ils ne touchent jamais à l'argent ». Il refusera par contre de nous les faire rencontrer.

RFI a essayé de contacter deux des agents accusés par Papy : Jacques s'est dit méfiant à parler au téléphone, mais n'était jamais à New Delhi pour organiser une rencontre. Patrick Solo, quant à lui, a demandé « 20 dollars par minute pour une interview. [...] Business means business », a-t-il conclu, sentencieux, par SMS.

Un nombre croissant d'Africains

Le tourisme médical est en pleine croissance en Inde, qui bénéficie de docteurs de qualité, souvent formés à l'étranger, pour des coûts avantageux. Selon le ministère de la Santé, 138 803 étrangers se sont rendus dans ce pays asiatique en 2011 pour se faire soigner – dernier chiffre disponible qui devait croître d'environ 20% par an, selon plusieurs études. Un nombre grandissant d'Africains font le voyage, venant principalement du Nigeria, de Tanzanie, du Kenya ou de RDC. Ces derniers seraient quelques centaines chaque année.

« Pour la grande majorité d'entre eux, cela se passe bien », rassure François Balumuene, ambassadeur de RDC en Inde depuis dix ans. Il juge cependant avoir très peu de pouvoirs pour punir les intermédiaires crapuleux. « Quand une personne vient se plaindre, j'appelle ces jeunes gens pour les conseiller d'éviter d'alourdir le fardeau de ces patients », explique-t-il.

Ce commerce de malades prospère grâce au manque de règles d'éthique pour encadrer le tourisme médical en Inde. « Le rôle des intermédiaires n'est pas défini, ce qui permet ces abus. Il n'existe pas non plus de règles précisant comment un patient peut poursuivre un hôpital pour ces pratiques malveillantes », détaille Suchita Wagle, chercheuse à l’Institut indien de technologie de Bombay
et auteure d'une étude sur le sujet, publiée en 2013. Au bout de deux ans d'un périple douloureux, Papi Bamby et sa mère ont fini par rentrer à Kinshasa à la mi-octobre, grâce à une aide exceptionnelle de leur ambassade.

 

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