Tunda Ya Kasende : "Voici pourquoi les putschistes ont échoué au Burundi"

Vendredi 22 mai 2015 - 08:06

Selon l’analyste congolais, l’alternance politique devrait se faire suivant les intérêts africains et non sur base de la culture des autres qu’on voudrait perpétuer.
Vice-ministre honoraire des Affaires étrangères en République démocratique du Congo, Me Célestin Tunda Y’a Kasende suit avec beaucoup d’intérêts la crise qui secoue le Burundi voisin. Expert en géopolitique, il demeure d’autant plus sensible aux Grands Lacs qu’il connaît physiquement la région. A travers cet entretien, ce fin analyste éclaire les lecteurs de ’’Forum des As’’ sur cette crise et préconise les voies de sortie.
Maître Tunda, vous êtes expert en géopolitique et spécialiste de la région des Grands Lacs. Pouvez-vous éclairer l’opinion sur la vraie nature de la crise qui secoue aujourd’hui le Burundi ?
Il faut préciser, de prime abord que les crises politiques sont récurrentes au Burundi. Elles sont souvent accompagnées des tueries massives des populations. Dans certains cas, il s’agit des rivalités politiques entre les deux principales ethnies : les Hutus et les Tutsis. Dans d’autres circonstances, on a enregistré des renversements avec violence des pouvoirs établis.
Il convient de noter aussi que plusieurs chefs d’Etat au Burundi ont été chassés du pouvoir alors qu’ils étaient en dehors du pays. C’était d’abord le cas du roi Mwambutsa IV Bangiricenge qui, en séjour en Europe, avait été renversé par son propre fils. Ce dernier s’était fait immédiatement proclamé roi en prenant le nom de ’’Ntare V’’, en 1966.
Deux ans après, en 1968, le Premier ministre de l’époque, le capitaine Micombero, renversa à son tour le jeune roi au moment où il se trouvait à la réunion de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) à Kinshasa.
En troisième lieu, le président Micombero, devenu entretemps colonel, perdit à son tour le pouvoir au profit du colonel Bagaza - curieusement originaire de la même colline que lui - alors qu’il se trouvait en mission en Somalie.
Dans les mêmes conditions, le colonel Bagaza sera, à son tour, chassé du pouvoir en 1987 par Pierre Buyoya, un autre colonel de la province du Bururi - l’une des 18 provinces du Burundi - comme les deux précédents présidents. Jean-Baptiste Bagaza se trouvait au Canada.
Vint, enfin, la tragédie qui coûta la vie au président Cyprien Ntaryamira en 1994. Ce compagnon de fortune du président Habyarimana du Rwanda, périt avec lui lors de l’attentat perpétré contre le Falcon 50, cet aéronef qui les ramenait tous deux dans leurs pays respectifs en provenance d’Arusha, en Tanzanie.
C’est justement la situation qui a failli emporter le président Nkurunziza, pendant qu’il séjournait aussi en Tanzanie, où il prenait part, en mai 2015, à la réunion de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est.
Face à ce tableau, mon opinion est que la probabilité d’un troisième mandat pour le président Pierre Nkurunziza au stade actuel de l’histoire du Burundi ne devrait pas être une occasion de prise de pouvoir par la force, ni de violence grave, susceptible, une fois de plus, d’entraîner des tueries massives dans le pays.

Quelles sont, d’après-vous, les raisons de l’échec du putsch ?
Je pense que le putsch contre le Président Pierre Nkurunziza a échoué à cause de trois facteurs majeurs. La première raison, c’est le fait que le Burundi dispose d’une armée loyaliste forte et déterminée. A cet effet, il faut reconnaître que la garde républicaine burundaise a prouvé sa grande capacité tactique au fil du temps. Pour preuve, ses éléments font aujourd’hui des rotations dans les missions de maintien de la paix en Afrique ou ailleurs.
De deux, le CNDD - FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie - Forces de défense de la démocratie), la formation politique de Nkurunziza, est bien organisé et ses membres croient à un idéal. Ce parti s’est forgé dans les maquis depuis la guerre de libération et poursuit l’ambition, toute somme légitime, de conserver le pouvoir.
En troisième lieu, le président Nkurunziza est très populaire dans toutes les collines du Burundi. Il y passe tous ses week-ends en s’adonnant aux travaux d’intérêt public avec les paysans. Il a ainsi réussi à apporter des réponses appropriées aux nombreux problèmes sociaux de la population. Il ne faudrait donc pas voir les quelques groupes d’individus qui s’agitent à Bujumbura, car il s’agit surtout des effets des médias.

D’après-vous, quelle leçon le Burundi, la région des Grands Lacs et l’Afrique peuvent-ils tirer du dénouement de cette crise ?
Pour le Burundi, les dirigeants et la population devraient se souvenir des événements malheureux de 1972 pour éloigner tout prétexte susceptible d’entraîner la violence. La paix est sacrée pour le Burundi. Aussi, l’élection présidentielle, ne devrait pas s’y tenir dans n’importe quelles circonstances, ni devenir la cause d’autres rivalités susceptibles d’entraîner la rupture de l’équilibre déjà obtenu.
Pour preuve, le président Melchior Ndadaye a été le tout premier chef d’Etat élu démocratiquement au Burundi. Pourtant, cela n’a pas empêché qu’il soit atrocement assassiné le 21 octobre 1993, juste une année après les élections. Depuis lors, le Burundi a basculé dans une crise profonde.
Pour la sous-région et l’Afrique, je pense que les principes universels de la démocratie doivent s’adapter à nos contextes. Par exemple, personne n’a jamais obligé les chinois à élire leur président au suffrage universel. Et pourtant, les guichets financiers de la Chine nourrissent tous les peuples du monde, y compris ceux de l’Occident. Et encore, les monarchies du Golfe connaissent une grande stabilité politique, sans qu’on ne sache comment.
Je pense dur comme fer que, pour l’Afrique, la paix, la sécurité et le développement sont au dessus des autres valeurs. L’alternance politique devrait se faire suivant les intérêts africains et non sur base de la culture des autres qu’on voudrait perpétuer. Il est donc temps pour l’émergence du vrai droit constitutionnel africain et congolais en ce qui nous concerne. Propos rendus par Yves KALIKAT