A quoi sert l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé ? C'est la question que se posent beaucoup d'Africains de l'Ouest après le fiasco de l'institution dans la lutte contre l'épidémie Ebola, qui a fait quelque 11 000 morts en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone. Il y a quelques jours, un comité d'experts mandatés par l'ONU a publié un rapport accablant pour l'OMS. Le médecin congolais Jean-Jacques Muyembe est l'un des six membres de ce comité. En ligne de Kinshasa, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Pourquoi l’Organisation mondiale de la santé n’a-t-elle pas pu répondre à l’épidémie d’Ebola ?
Jean-Jacques Muyembe : Disons que l’OMS a toujours répondu aux épidémies que nous avons connues en Afrique centrale, particulièrement en RDC, tout le monde était satisfait. Mais cette fois-ci, avec ce qu’il s’est passé en Afrique de l’Ouest, on a connu beaucoup de défaillance de l’OMS. La première chose je pense c’est que les trois pays concernés n’étaient pas préparés parce qu’on pensait qu’Ebola était une maladie d’Afrique centrale et donc l’arrivée d’Ebola en Afrique de l’Ouest était une surprise et le personnel médical n’était pas habitué à diagnostiquer cette maladie. Il y a aussi le fait qu’on ait sous-estimé la gravité de cette maladie malgré les alertes données par Médecins sans frontières (MSF).
Vous dites qu’on a sous-estimé l’épidémie. Justement, les ONG comme MSF avaient tiré la sonnette d’alarme dès le mois de mai 2014, mais l’OMS n’a réagi qu’au mois d’août. Pourquoi ce retard de trois mois ?
Je pense que les informations qui arrivaient à l’OMS étaient un peu contradictoires et l’OMS s’appuie sur les bureaux pays et ces bureaux travaillent en étroite collaboration avec le ministère de la Santé. Donc si le gouvernement donne une information, c’est cette information que les bureaux vont habituellement répercuter au niveau des bureaux régionaux et au niveau du siège à Genève. Donc on a constaté effectivement cette défaillance, il y a eu un dysfonctionnement en tout cas au niveau des trois structures de l’OMS.
Donc en pratique, dans les trois pays concernés, Médecins sans Frontières a dit qu’il y avait une situation grave, les ministères de la Santé ont dit que ce n’était pas grave et l’OMS a plutôt cru les ministères, c’est ça ?
L’OMS travaille avec les ministères donc l’OMS vient en appui sur les ministères. Ce sont les ministères qui donnent l’information et les bureaux pays répercutent ça au niveau des bureaux régionaux et au niveau du siège à Genève.
Et est-ce que ça veut dire que les bureaux pays, les bureaux OMS de Sierra Leone, de Guinée-Conakry et du Liberia ne sont pas assez indépendants des gouvernements en place ?
L’indépendance est relative. Je dois dire que ce sont des nominations plus ou moins politiques qui correspondent aux besoins exprimés par les pays et donc les représentants de l’OMS travaillent en étroite collaboration avec le ministère de la Santé. C’est le conseiller technique du ministère de la Santé.
C’est plus un diplomate qu’un protecteur des populations ?
Oui, plutôt un diplomate qui protège d’une certaine façon. Mais disons qu’il y a eu quelque chose qui n’a pas fonctionné, c’est pour cela que nous demandons que l’OMS revoie un peu le fonctionnement de ses structures et améliore ses capacités de coordination.
Ce que vous dites, c’est que les représentants de l’OMS sur le terrain ne font pas leur travail, ils n’ont pas ce rôle de lanceur d’alerte qu’ils devraient avoir ?
Bien sûr, c’est un homme politique, c’est un diplomate. Il est le représentant il a un bureau, il a des charges administratives, etc. Mais il doit s’appuyer sur des collaborateurs qui sont sur le terrain et qui lui apportent l’information.
Du coup, est-ce qu’il ne faut pas supprimer l’OMS ?
Je pense que ce serait une erreur, supprimer l’OMS ça ne se justifie pas. Dans d’autres pays comme la RDC, l’OMS joue un rôle très important dans l’information et la surveillance de maladies. Sans l’OMS, je ne pense pas qu’on serait arrivé à éliminer la poliomyélite en Afrique. Donc l’OMS en Afrique joue un rôle très important.
Est-ce qu’il ne faut pas remplacer l’OMS par quelque chose de moins politique, de moins lourd administrativement et par quelque chose de plus proche des populations ?
Ce que nous avons proposé c’est de créer un centre de préparation et de riposte aux situations d’urgence pour éviter les sortes de lourdeurs bureaucratiques. Cet organe serait au sein de l’OMS, mais il aurait une certaine indépendance pour pouvoir répondre efficacement aux menaces de crises sanitaires avec même un autre volet, une action humanitaire. Je pense qu’il faut faire vite si nous voulons avoir une structure qui est plus souple, qui a une certaine indépendance et qui peut se déployer facilement sur le terrain. Mais je pense qu’avant tout, il faut vraiment renforcer les structures sanitaires nationales africaines. Si ça n’a pas bien marché, c’est parce qu’également les pays n’ont pas respecté les règlements sanitaires internationaux.
Il ne faut pas tout mettre sur le dos de l’OMS ?
Il ne faut pas tout mettre sur le dos de l’OMS, les pays ont leurs responsabilités et même les organismes internationaux. On a tous été surpris, on a tous été incapables de réagir vite. Parce que même l’aide a beaucoup traîné. Ce ne sont pas les experts qui manquent, les experts sont là, il faut savoir aussi les utiliser à temps.