LEMBA : LA PROSTITUTION SE PORTE BIEN AU MARCHÉ DE TERMINUS ET DANS LES ’’KUZU’’

Jeudi 21 juillet 2016 - 05:57
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(Par Gracia BUTALI, sous la coordination de Yves KALIKAT)

La commune de Lemba perd de plus en plus sa quiétude d’antan. Surnommée jadis ’’Quartier Latin’’, elle a longtemps été considérée comme le fief des intellectuels de la ville de Kinshasa. Aujourd’hui, cette commune est envahie par un flot de terrasses, de buvettes, de boîtes de nuit, des ’’kuzu’’ (maisons de tolérance de fortune)… qui s’illustrent, non seulement par leurs vacarmes, mais aussi par des centaines de prostituées et des hommes aux pantalons agités qu’ils drainent aux heures tardives. Comme à Lemba Foire et à Super Lemba, le quartier Terminus est à ce jour devenu un lieu de prédilection pour le plus vieux métier du monde. Reportage.

En plein jour, le quartier Terminus grouille du monde. La circulation est intense. Véhicules, motos… fourmillent aussi bien dans les carrefours que dans les artères bitumeuses et les rues sablonneuses. Tout le long des artères principales, boutiques, magasins, échoppes… rivalisent d’ardeur. On voit partout des marchands ambulants et des vendeurs vanter à la criée les effets de leurs marchandises.
Au marché de Lemba Terminus, la foule abonde du matin au soir. Alléchée certes par des centaines de marchands qui leur proposent une variété d’articles, déployés sur des étalages en bois ou exposés sur des sacs étendus à même le sol. Les clients potentiels ont l’occasion de s’approvisionner en boissons, en denrées alimentaires (pains, chikwange, viande, poissons, légumes, fruits, confiseries…), en produits cosmétiques… et autres.
A ces heures, hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux peuvent circuler en toute sécurité et de bout en bout à travers ce marché très fréquenté. De même, les vendeurs n’ont pas à se faire autant de soucis face aux éventuels voleurs, car leurs voisins veillent au grain.

DES ETALAGES TRANSFORMES EN LITS DE DEBAUCHE

A la tombée de la nuit, la scène change de décor. Une fois, les marchands partis avec toutes leurs marchandises, leurs clients aussi s’évaporent. Commence alors une nouvelle forme de commerce réservé aux seuls initiés. Les étalages en bois, une fois dégarnis, se transforment en lits de fortune pour ces dizaines de filles de joie qui, comme des chauves-souris, sortent de leurs cachettes et viennent s’y immoler toutes les nuits avec leurs partenaires occasionnels. Elles ne sont du tout pas gênées d’opérer quoi que dans l’obscurité, au su des passants qui empruntent le parcours.
Le samedi 16 juillet dernier à 23 heures, un parent qui traversait le marché avec ses trois filles, encore adolescentes, et son fils de 11 ans, a été surpris de se retrouver face-à-face avec un couple en plein ébats sur les étalages des marchands. La scène avait tout l’air d’une pornographie. Le quinquagénaire avait beau tempêter de colère, mais les tourtereaux n’étaient pas du tout gênés et continuaient paisiblement ce qu’ils avaient déjà commencé.

PROSTITUEE MALGRE ELLE
A 22 ans, Gloria B. est devenue une expérimentée dans le plus vieux métier du monde. Tous les soirs, à partir de 21 heures, elle se rend au marché de Terminus pour chercher la clientèle et trouver de quoi vivre. Abordée, elle accepte de nous expliquer pourquoi elle est devenue professionnelle de sexe et comment fonctionne son nouvel univers.
"Quand ma mère est décédée, mon père s’est remarié, raconte-t-elle. Ma marâtre ne supportait pas du tout ma présence à la résidence familiale. Elle me maltraitait souvent au point de me taxer de sorcière. J’ai jugé mieux de déserter le toit parental et d’aller habiter avec des amies vers l’avenue By Pass, à Lemba. C’est alors que j’ai constaté que je n’avais pas du tout le choix, car il fallait aussi apporter ma contribution pour payer le loyer et autres frais de survie. Je me suis, dès lors, associée à mes amies qui se livraient déjà à la prostitution".
"Aujourd’hui, poursuit-elle, faire la prostitution est devenue ma seconde nature. Tous les soirs, je viens ici au marché de Lemba Terminus pour chercher la clientèle. Nous sommes des dizaines de filles à rôder dans les parages. Si nous n’occupons pas les étalages du marché, nos clients nous suivent dans le ’’kuzu’’, aménagé derrière le marché. C’est un local d’une pièce, compartimentée par des rideaux de fortune qui font office de murs de séparation de chambres. Chaque couple s’installe entre quatre rideaux, dans ce lieu où l’obscurité règne en maître et où l’on ne peut reconnaître le moindre visage. La lumière, l’éclairage… y sont strictement interdits. Seuls, les chuchotements, les cris, sont autorisés".

DES TARIFS AU RABAIS
Ici, l’accès au ’’passage’’ (l’occasion de profiter des largesses de la fille de joie, NDLR) se négocie à moindre frais, nous confie Gloria B. "Il suffit, à un client, de disposer juste de 1.500 Fc (environ 1,5 $) pour arracher le consentement d’une prostituée et de remettre la modique somme de 500 Fc (environ 0,5 $) au barman qui gère le local pour accéder au ’’kuzu’’".
"Dans chaque pièce, commente Gloria, est installé un pouf, un petit fauteuil qui sert à la fois de siège et de lit.Tout se fait sur place. Nous ne voulons pas de clients qui aiment durer à chaque passage. Cinq minutes suffisent pour nous permettre de passer au suivant. Et pour des précautions d’usage, nous nous promenons toujours avec un stock de préservatifs".
"Pour notre sécurité, atteste Gloria B, nous remettons un pourboire aux badauds qui rôdent dans les parages aux heures tardives. C’est une manière pour nous de les apaiser et éviter qu’ils s’attaquent à nous et à nos clients. Puisque, souvent, ces jeunes désœuvrés se muent en ’’kuluna’’ et se mettent à attaquer tous les passants qui ont le malheur d’emprunter ce parcours obscur".

DES ’’KUZU’’ A LA PORTEE DE TOUS
Le site du marché de Terminus n’est pas le seul à abriter les maisons de tolérance. A une dizaine d’avenues de là, de nombreux débits de boissons balancent de la musique tonitruante pendant toute la soirée jusqu’aux heures tardives. Sur les chaises en plastiques disséminées tout le long de la grand’ route, s’installent de nombreux disciples de Bacchus qui contemplent une dizaine de boissons à forte dose d’alcool sur leurs tables. Et quand des jupes et autres tenues sexy s’amènent, les consommateurs occasionnels n’ont plus leurs pantalons tranquilles. Ils n’ont plus qu’à se désaltérer dans le ’’kuzu’’ tout proche.
"Nous ne sommes pas exigeants ici, nous confie le jeune barman qui joue au proxénète, en l’absence du propriétaire de la terrasse. Il suffit juste qu’un de nos clients achète une bouteille de bière pour lui et pour sa partenaire pour que nous lui cédions un espace dans notre pièce obscure. Le tarif du passage ne nous concerne pas. C’est juste une affaire entre lui et sa partenaire".

LA DESOLATION

A titre illustratif, le barman cède à notre curiosité. Il nous fait visiter le ’’kuzu’’ à toute aise, moyennant quelques billets de banque, glissés discrètement dans sa paume de main. Dans cette pièce obscure, on n’entend que des chuchotements des « couples », mais on ne voit que des ombres et des silhouettes en mouvement. Difficile de distinguer les visages. Certains croient même que nous sommes des clients comme eux, et ne se gênent de nous voir sillonner ces couloirs ténébreux parsemés de rideaux.
Une fois en dehors de ces maisons de tolérance, un sentiment de dépit, … nous envahit. Nous n’arrivons pas à réaliser comment, au fil des années, la commune de Lemba est parvenue à se muer en havre de paix pour les nombreux professionnels de sexe et coureurs des jupons qui opèrent en toute quiétude à la tombée de la nuit.