Léon ENGULU III Coordonnateur adjoint du Mécanisme National de Suivi VERS UN DEPASSEMENT TECHNIQUE !

Mardi 15 septembre 2015 - 10:04

Après l’échec des entretiens de Venise et d’Ibiza devant régler le format du dialogue entre acteurs politiques congolais, le retrait de l’UDPS de la table des négociations et la méfiance affichée par les partis de l’opposition, Léon Engulu III, cadre de la Majorité Présidentielle, Coordonnateur adjoint du Mécanisme National de Suivi, diplomate, ancien conseiller politique du ministre des Affaires étrangères Raymond Tshibanda et professeur de philosophie à l’Université Pédagogique Nationale, appelle les parties prenantes à faire une lecture correcte de la résolution 2098.

La méconnaissance de la littérature diplomatique est l’une des premières causes des retards dans la mise en œuvre des solutions de paix. J’ai observé depuis quelques temps le ballet de certains acteurs de la majorité à laquelle j’appartiens pour l’organisation d’un dialogue entre congolais, nécessité qui apparait dans la résolution 2098 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 28 mars 2013. J’étais dans la salle du Conseil de sécurité au moment du vote, alors conseiller politique du ministre des Affaires étrangères Raymond Tshibanda. Le Président Joseph Kabila, en le nommant à la tête du ministère des Affaires étrangères, n’aurait pu faire meilleur choix en 2012, lorsqu’il fallait organiser le XIV Sommet de la Francophonie. A partir de la naissance du M23 en avril 2012, la diplomatie congolaise a atteint un niveau d’activité sans précédent dans son histoire, et pour obtenir le vote de la résolution 2098, Raymond Tshibanda a coordonné avec un doigté extraordinaire l’action des meilleurs techniciens de la diplomatie congolaise dont Christian Ileka Atoki, Ambassadeur à New York puis à Paris, Ignace Gata, Représentant de la RDC aux Nations Unies et son ministre-conseiller Zénon Mukongo, aujourd’hui Représentant de la RDC aux Nations Unies à Genève ainsi que les Ambassadeurs itinérants du Président Joseph Kabila, Séraphin Ngwej et Jean-Léon Ngandu. Cette résolution, qui est l’une des plus grandes avancées théoriques dans l’histoire des doctrines onusiennes du maintien de la paix, a créé une « brigade d’intervention » basée à Goma et placée sous le commandement direct du commandant de la force de la MONUSCO, avec pour responsabilité la neutralisation des groupes armés dans l’est de la République démocratique du Congo et de préparer le terrain des activités de stabilisation. La résolution 2098, qui intervenait après la signature de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et la région du 24 février 2013, demandait, en son point 14 « au Représentant spécial pour la République démocratique du Congo de s’acquitter, au moyen de ses bons offices, des tâches suivantes : (…) « b) Promouvoir un dialogue politique transparent et sans exclusive entre toutes les parties prenantes congolaises en vue de favoriser la réconciliation et la démocratisation et encourager l’organisation d’élections provinciales et locales crédibles et transparentes ; ».

Qui doit faire quoi ?

La précision de la rhétorique diplomatique est d’une importance cruciale lorsqu’il s’agit de baliser le chemin des négociations. La résolution 2098 précise qu’il appartient bien au Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies de s’acquitter « aux moyens de ses bons offices », de la promotion du dialogue politique « entre toutes les parties prenantes congolaises ». Ceci exprime, et c’est d’une importance capitale pour la suite des événements, qu’il n’appartient pas vraiment au pouvoir en place de déléguer des missi dominici pour convaincre les parties prenantes de participer au dialogue. Cette mission est -suivant les termes d’une résolution très favorable à la République démocratique du Congo, qui consacre en fait le principe de la neutralisation des forces étrangères opérant sur son territoire avec l’aide des Nations Unies, c’est-à-dire de la communauté internationale - une mission de « bons offices » qui doit être effectuée par le Représentant spécial en République démocratique du Congo, Martin Kobler au moment où j’écris ces lignes. Ces bons offices ne doivent aucunement être interprétés comme une mission d’ingérence dans les affaires intérieures de la République démocratique du Congo et, d’évidence, la mauvaise compréhension de la littérature diplomatique est la cause du quiproquo qui règne depuis un certain temps autour du dialogue tant attendu. L’opposition congolaise à tort lorsqu’elle pense que le Représentant spécial Kobler doit diriger les débats du dialogue, mais elle n’a pas tort d’éconduire les missi dominici dont l’intervention n’est pas prévue par les termes de la résolution 2098. Il est en effet un principe fondamental de la communication, connu depuis l’Antiquité mais bien mis en évidence par les travaux de Marshall McLuhan, que le médium, c’est le message. Il va sans dire que l’opposition congolaise a pris connaissance de la résolution 2098 et pour rendre compte de son état d’esprit par rapport à la mission de bons offices attendue du Représentant spécial des Nations Unies en République démocratique du Congo, je peux montrer par analogie que Joseph croit volontiers l’ange Gabriel lui indiquant que la grossesse de Marie est l’œuvre du Saint-Esprit parce que Gabriel est un ange. Joseph eût été prévenu par un voisin que Marie était enceinte des œuvres d’un autre que les choses auraient pu prendre une toute autre tournure. Je n’en dirai pas plus sur ce point, mais l’intervention de certains officiels congolais dans les pourparlers, au regard de leurs fonctions, a pu être mal interprétée par certaines parties prenantes, c’est évident. Le quiproquo porte, je l’ai dit, sur la méconnaissance de la littérature diplomatique et pour tenter de le lever, voyons ce qu’il faut comprendre par bons offices.

Les bons offices…

Les bons offices font partie en négociation internationale de ce que l’on appelle les interventions médiatrices, qui doivent être acceptées par les parties avec bonne volonté. Toute négociation suppose ce que l’éminent diplomate Alain Plantey appelait « la combinaison des intérêts », qui permet l’entente et la collaboration future. La résolution 2098 fixe l’intervention de Martin Kobler (ou de son prochain remplaçant, son départ ayant été récemment annoncé) au niveau d’une mission de bons offices, c’est-à-dire qu’il lui est demandé de « rendre possible l’ouverture de contacts et pourparlers entre les parties sans traiter le fond de l’affaire ». (A. Plantey, La Négociation internationale au 21e Siècle, CNRS Editions, Paris, 2002). La mission demandée par la résolution 2098 au chef de la Monusco, qui est également Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon, n’est pas une médiation. La médiation confie en effet au médiateur le pouvoir de négociation. Il participe activement à la négociation et peut aller jusqu’à proposer les bases d’un arrangement.
Une mission de bons offices ne doit pas être davantage comprise comme une mission de facilitation, dans laquelle le facilitateur dirige les débats et veille à l’atteinte des objectifs attendus, ni une mission de conciliation qui organise la négociation en laissant les parties libres de leur décisions finale. La mission de bons offices qui est attendue du Représentant du Secrétaire général de l’ONU n’est pas non plus une mission d’arbitrage, qui repose sur le consentement des parties et peut aboutir à des sanctions. Ce qui est demandé au Représentant spécial de Ban Ki Moon, c’est d’aller vers les uns et les autres, dans une absence totale de suspicion en raison de sa nature de messager des Nations unies, pour inviter les parties à discuter autour de ce qui est recommandé, à savoir la « réconciliation et la démocratisation » et spécialement « l’organisation d’élections provinciales et crédibles et transparentes. »

Dialogue sur quoi ?

Je ne reviendrai pas sur l’actualité récente concernant l’intervention de la Cour constitutionnelle dans le débat sur le calendrier électoral, en rapport avec l’élection des gouverneurs de province et des élections provinciales et locales. Mon propos consiste - et j’y suis autorisé par mes fonctions de Coordonnateur adjoint du Mécanisme National de Suivi, chargé du suivi et de l’évaluation de la mise en œuvre des engagements de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, agissant sous l’autorité du Président de la République, à attirer l’attention, à travers la production de réflexions et d’analyses (art. 9.3 ord. 13/020 du 13 mai 2013) dans le domaine des réformes, la question du dialogue étant couverte par l’engagement 6 de l’Accord-cadre relatif à la promotion des objectifs de réconciliation nationale, de tolérance et de démocratisation – à rappeler que le dialogue, tel qu’il se conçoit à la lecture de la résolution 2098, doit porter sur la démocratisation et l’organisation d’élections provinciales et locales crédibles. Cette crédibilité entraine un certain nombre d’actions sur lesquelles je vais revenir tout à l’heure, actions qui peuvent avoir pour conséquences la nécessité de ce que j’appelle un « dépassement technique » de la durée des mandats présidentiels et législatifs, cela nonobstant les rappels pressants de la communauté internationale pour l’organisation de ces scrutins en 2016 comme prévu suivant les termes de la constitution. Il va de soi que la mauvaise rhétorique du « glissement » que l’on a pu entendre de certains acteurs de la majorité comme de l’opposition a pu faire croire que le Président de la République Joseph Kabila manœuvrait en coulisse pour la prolongation de son mandat. Contrairement à d’autres chefs d’Etat en fin de contrat constitutionnel, Joseph Kabila n’a jamais exprimé l’intention de forcer les choses pour un mandat illégal. Certaines manœuvres de dernière minute tentées par des partisans zélés ont pu laisser croire à une implication personnelle d’un Joseph Kabila tirant les ficelles dans l’ombre, mais il faut rejeter cette idée. En principe, et c’est ce qu’il faut comprendre de la résolution 2098, ce sont les Nations Unies, agissant à travers le chef de la Monusco, qui doivent promouvoir un dialogue inclusif pour rechercher les meilleurs solutions pour favoriser la démocratisation, processus en cours pour le parachèvement de l’Etat de droit en République démocratique du Congo. Le Gouvernement de la République devrait le rappeler au Représentant du Secrétaire général des Nations Unies et attendre de ses bons offices vers les parties prenantes, majorité au pouvoir, opposition démocratique, société civile, confessions religieuses qu’il se dégage rapidement : a) une approbation des parties prenantes sur le contenu du dialogue, tel qu’exprimé au paragraphe 14 de la résolution 2098 ; b) une mise en évidence précise par les parties des difficultés rencontrées pour l’organisation des scrutins considérés dans le souci de rencontrer la crédibilité évoquée dans le paragraphe 14 et c) la fixation d’une date de début du dialogue entre les parties prenantes sans exclusive. Cette mission de bons offices, qui pourrait durer une quinzaine de jours, devrait s’achever par la remise d’un rapport au Secrétaire général des Nations Unies et au Président Joseph Kabila, garant constitutionnel du bon fonctionnement des institutions, dont la CENI. Le temps presse.

Vers un dépassement technique…

Les récents débats électoraux et les accusations portées contre le pouvoir semblent perdre de vue que la CENI, habilitée par la Constitution à organiser les scrutins électoraux, est dirigée par des représentants de la majorité et de l’opposition. A ce titre, les élections de 2011, émaillées de nombreuses faiblesses dénoncées par la classe politique congolaise et par le Président Joseph Kabila lui-même, n’ont pas été organisées par le pouvoir. Lorsqu’en 2011 j’en avais dénoncé publiquement leur faible qualité au regard des standards admissibles, quelques zélotes avaient vite fait de me ranger comme nouveau transfuge de la majorité dans l’opposition, alors que je ne faisais qu’exprimer l’idée qu’il ne fallait pas imputer la mauvaise qualité du processus électoral à Joseph Kabila ou à la majorité, mais à la seule CENI, composée de membres de la majorité et de l’opposition agissant en bonne intelligence pour un résultat qui s’est avéré médiocre. A vouloir exonérer la CENI de ses erreurs pour assurer le résultat du scrutin présidentiel de 2011, certains membres de la majorité au pouvoir ne comprenaient pas qu’ils apparaissaient en complices d’une institution tout à fait indépendante qui avait livré, globalement, un mauvais processus électoral. En 2016 nous devrions raisonnablement espérer que la crédibilité sera au rendez-vous de tous les scrutins et c’est l’effort qui est demandé aux acteurs politiques congolais dans la résolution 2098. Cet effort de démocratisation, de transparence et de crédibilité ne peut faire fi du nouveau découpage territorial ni de la nécessité d’enrôler ceux qui ont atteint la majorité électorale après le scrutin de 2011. Leurs droits ne doivent pas être sacrifiés à l’autel de la précipitation car ils constituent, c’est certain, un vivier de contestation à retardement qui reviendra tôt ou tard frapper la classe politique congolaise de plein fouet. Ils pourraient en effet être instrumentés comme acteurs potentiels d’une future guerre civile évitable dès à présent. Fondamentalement, le dépassement technique des mandats présidentiel et législatifs ne résultera pas de manœuvres politiciennes, mais d’actions qu’il faudra mener de toute évidence, avec le soutien et l’accompagnement de la communauté internationale, c’est me semble-t-il l’esprit de la résolution 2098, pour que les prochains scrutins soient crédibles. Toute tentative de « glissement » politique sera dangereuse et chimérique. Voilà l’esprit du dialogue tel qu’il devrait être compris par les parties prenantes. Un accord national sur la faisabilité du découpage territorial au regard des échéances électorales, l’enrôlement des nouveaux électeurs et la fixation d’un calendrier réaliste et finançable avec l’aide des partenaires au développement est l’objectif du dialogue appelé par les Nations Unies et que le Président Joseph Kabila encourage de tous ces vœux. Ce dialogue ne sera possible que dans l’esprit de la résolution 2098 et si les parties prenantes conviennent pour l’intérêt supérieur de la nation, qu’un dépassement technique des mandats présidentiels et parlementaires reste une possibilité à examiner sans arrières pensées politiciennes, dans l’intérêt de tous, le temps de bien faire les choses.

…Avec les réformes de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba

Il va de soi que l’idée d’un dépassement technique des mandats présidentiel et parlementaires qui résulterait de la crédibilisation indispensable des élections provinciales et locales dans le cadre d’un découpage territorial maitrisé sera encouragé par les partenaires et bailleurs si les résultats dans la mise en œuvre des réformes préparées avec leur appui par le Comité Exécutif du Mécanisme National de Suivi et adopté par son Comité de Pilotage le 12 septembre 2014, sous la Présidence de Joseph Kabila, sont rapidement probants, notamment les indicateurs relatifs à la réforme du secteur de la sécurité, la promotion du développement économique, la santé, l’éducation, la démocratisation, la réconciliation et la tolérance. La volonté de réforme affichée par Joseph Kabila dans la Matrice des critères de suivi et indicateurs de mise en œuvre des engagements nationaux de l’Accord-cadre, dont j’ai piloté l’élaboration avec le concours des experts gouvernementaux congolais et des partenaires au développement, a séduit les partenaires à l’Accord-cadre. Les innovations proposées par le Président de la République dans tous les domaines notamment de la santé, de l’éducation, des infrastructures, de l’environnement, des mines, de la réforme de l’état et des finances, du secteur de la sécurité restent méconnues des Congolais et tardent à être prise en compte dans les cadres décisionnels nationaux, faute de volonté politique a certains niveaux. La faible implication du Gouvernement dans la mise en œuvre rapide de la volonté présidentielle de réforme telle que je l’ai exprimée à la satisfaction des partenaires le 12 juillet 2014 à la cité de l’Union Africaine en présence du Corps diplomatique lors du séminaire de validation des réformes de l’Accord-cadre retarde la perception de l’action de Joseph Kabila au plan international. Une mobilisation institutionnelle de grande envergure doit l’accompagner dans l’exécution des réformes adoptées en rapport avec l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, tel que mentionné dans la résolution 2098 dont le point 2 demande aux Etats signataires « qu’ils mettent pleinement en œuvre leurs engagements de bonne foi ». Tout le reste en dépend.

Léon Engulu III
Coordonnateur adjoint
Mécanisme National de Suivi