Les temps des mort-nés : l’histoire donne raison à Muzito

Lundi 14 septembre 2015 - 11:57

Le dicton selon lequel nul n’est prophète chez soi est battu en brèche par les derniers événements politiques marqués par l’arrêt controversé de la Cour Constitutionnelle qui a provoqué des réactions en sens divers tant dans les salons sociopolitiques, dans la diaspora que dans les chancelleries accréditées à Kinshasa.

Les débats tournent autour de ce qui apparait comme un aval de la Haute Cour permettant au régime en place de procéder à la désignation des nouvelles autorités dans les nouvelles provinces démembrées. De nombreux observateurs considèrent qu’avant de légiférer, la Haute Cour n’a pas pris en considération tous les paramètres sociologiques, économiques, financiers et politiques du pays.

En effet, dans sa 7ème Tribune intitulée « RDC : les temps des mort-nés », le Premier Ministre Honoraire avait examiné froidement la situation économique, financière, sociologique et politique du pays. Il avait alors constaté de nombreuses faiblesses à bien d’égards. La concentration de tous les pouvoirs par le gouvernement central a privé les provinces de leurs pouvoirs politiques et administratifs tels que leur reconnus par la Constitution. De ce fait, a souligné le Premier Ministre honoraire, les nouvelles provinces auront l’image «des mort-né ou des prématurés programmés pour lesquels leurs géniteurs n’ont pas prévu de layette, de lait maternel, de biberon, de berceau, des couches, etc. ».

Sur le plan institutionnel, le gouvernement central fait preuve de tâtonnements qui résultent de l’impréparation et de la mauvaise interprétation des textes légaux et réglementaires. Cela s’aggrave davantage par l’absence des textes réglementaires régissant les services décentralisés ainsi que ceux concernant son personnel. Du point de vue logistique, il faut relever l’absence des bâtiments, des équipements, des mobiliers ainsi que des matériels roulants pour la mobilité du personnel.

Quant aux finances publiques, même si le montant qui pourra être affecté en 2016 aux provinces sera de l’ordre des 321 milliards des francs congolais, celui des investissements provinciaux va baisser de 1.103 à 750 milliards des francs congolais. Or, le nombre des provinces va passer de 11 à 26. A ce jour, le gouvernement central parvient difficilement à rétrocéder 40 % des recettes aux 11 provinces, qu’en sera-t-il pour les 26 provinces? s’est interrogé Adolphe Muzito.

A ce sujet, si l’on maintient une répartition égalitaire aux 26 provinces, le montant des 321 milliards des FC versés comme crédits de fonctionnement seront de l’ordre de 12 milliards par an et par province. Autrement dit chacune des 26 provinces recevra des crédits de fonctionnement en-dessous du seuil actuellement versé à la province du Maniema soit 14 milliards des FC. Les provinces comme le Nord et Sud-Kivu, le Bas-Congo, Kinshasa accepteront-elles de voir leurs crédits de fonctionnement rabattus de 14 milliards à dix milliards des FC ? Soit un million des dollars Us par province et par mois.

S’agissant des ressources propres des provinces, celles-ci demeureront toujours faibles du fait d’une part des assignations parfois fantaisistes de la part des autorités budgétaires et d’autre part de leur faible niveau de mobilisation qui atteint difficilement 30%.

Une autre difficulté de taille se situe au niveau de l’absence jusque-là de la caisse de péréquation qui aurait pu permettre de financer l’installation des nouvelles provinces, par la construction des infrastructures de base, des équipements, matériels, mobiliers et autres.

Il ne faut pas être devin pour remarquer l’absence d’un leadership engagé dont souffrent les différentes provinces. Car les partis politiques tant de la majorité que de l’opposition sont beaucoup plus intéressés par les dividendes qu’ils peuvent en tirer pour leurs cadres. Les acteurs politiques sont intéressés plus par les postes au niveau du gouvernement central, preuve s’il en faut une que personne ne croit en la mise en place des nouvelles provinces. Les différentes difficultés énumérées par la 7ème tribune d’Adolphe Muzito rappelent les expériences douloureuses des 27 provincettes de triste mémoire, où les gouverneurs siégeaient sous un arbre avec un vélo portant le drapeau national.

Ce que Muzito a prédit est entrain, ce sont les contestations observées au sein des populations des provinces démembrées. Il y a trois mois, les ressortissants du Kasaï Oriental avaient pris acte du découpage mais avaient déclaré très haut qu’ils allaient recourir à tous les artifices juridiques, politiques, économiques, financiers et sociologiques pour récupérer leurs frères et sœurs des territoires de Ngandadjika et de Kamiji. Ce, en vue de revenir aux dimensions territoriales de l’ex-Etat du Sud Kasaï de l’inoubliable Albert Kalondji Mulopwe. Au Sankuru, les avis diffèrent quant à la localité appelée à devenir le chef-lieu de la nouvelle province. Ailleurs, il y a risque de voir des conflits tribaux au sujet des élections des gouverneurs.

Pour la réussite du régionalisme constitutionnel, le Gouvernement a le devoir de changer l’orientation par une stricte application de la Constitution, en transférant aux provinces et aux ETD, les pouvoirs et ressources leur dévolus par cette dernière.

En attendant la mise en place de la caisse de péréquation, le Gouvernement central, à travers le budget 2016, devrait budgétiser au profit des provinces et verser à celles-ci, globalement, en plus des 40% de la rétrocession, les 10% des fonds de péréquation pour leur permettre de financer leur installation.

Muzito avait suggéré au Gouvernement de verser aux provinces, désormais, la totalité des crédits liés aux investissements provinciaux en vue d’améliorer leurs ressources et de renforcer leurs capacités d’intervention concernant les investissements de proximité en matière agricole, des routes de desserte et du social (EPSP, Santé, etc.).

Le Gouvernement central doit mettre en place des mécanismes efficaces de contrôle pour une affectation rationnelle des ressources au développement des provinces et non aux avantages exclusifs des dirigeants.

F.M.