L’originalité reste sans limite dans le choix des prénoms africains

Lundi 3 novembre 2014 - 16:30

Symboles d’une richesse multiethnique et séculaire mais aussi d’une Histoire parfois douloureuse, les prénoms africains proviennent d’origines très diverses et surprennent souvent les Occidentaux par leur fantaisie ou par leur singularité. Essayons d’y voir plus clair.

Vus d’Occident, ils peuvent désarçonner, surprendre, laisser perplexe. En particulier dans un pays comme la France où une pièce intitulée justement Le Prénom a fait un malheur sur les planches il y a quelques années, avant de connaître récemment un succès plus spectaculaire encore, au cinéma. Deux couples s’y écharpaient autour du prénom, très clivant il faut le reconnaître, donné à un futur nouveau-né. Les prénoms choisis par les Africains pour identifier leur progéniture demeurent, quoi qu’il en soit, une source de curiosité et d’étonnement, un intérêt souvent doublé, aussi, d’un peu d’admiration devant tant d’originalité. En y regardant de plus près, cette singularité dénominative doit s’observer sous plusieurs angles, car ses sources sont multiples.

Les hasards du calendrier

Le premier référent qui vient à l’esprit est l’héritage de la colonisation. Longtemps, mais de moins en moins, le calendrier des saints a déterminé le choix du nom des bébés, en particulier dans les pays d’Afrique de l’Ouest francophone où le catholicisme était prédominant. Ainsi, un garçon né un 31 décembre s’appelait invariablement Sylvestre, une fille née un 5 octobre se prénommait aussi sûrement Faustine alors que, du temps de l’Empire colonial, et même après, les bambins venus au monde un 14 juillet se voyaient affubler pour le restant de leurs jours d’un insolite Fetnat (abréviation de « Fête nationale » sur le calendrier). On a peine à le croire mais ce n’est pas une légende. Plus tard, et pour la même raison, les Indépendance ont succédé aux Fetnat, prénom qui offre, entre autres avantages, celui de seoir aux garçons comme aux filles.

Autre héritage de la colonisation, il naquit par exemple dans l’ex-Congo belge quantité d’Albert et d’Elizabeth dans les années 1930, de Léopold et d’Astrid dans les années 1940 puis de Beaudoin et de Joséphine-Charlotte dans les années 1950, références à la famille royale de Belgique. Le même principe incita ensuite les Africains francophones à prénommer leurs enfants du nom d’un homme politique respecté, une mode qui a toujours cours. On compte ainsi quantité de Valery Giscard d’Estaing et de Jacques Chirac mais aussi des Pompidou, des Mitterrand, des Kennedy et, logiquement, des Senghor, des Luther King et des Mandela dans ce quart ouest du continent.

Retour à l’identité africaine

Encore dans la veine religieuse, de nombreux prénoms africains se réfèrent, particulièrement depuis les années 1980, à la représentation monothéiste ou à la Bible. On songe par exemple aux Dieumerci, aux Céleste, aux Promedi (contraction de Promesse de Dieu), aux Dieuadonné (ou aux Dieudonné), aux Epiphanie ou encore aux Dondivin qui ont succédé aux classiques Joseph, Marie ou Pierre. Avec les années 1980 sont également apparus les prénoms empruntés à l’univers du spectacle : Jackson (de Michael), Marley (de Bob), Makeba (de Myriam), ou de celui du football : Jires (Giresse), Zidane, Milla et même Maradona…

Ainsi que l’indiquait un récent reportage de l’Agence France-Presse réalisé à Kinshasa, des dictateurs comme Mobutu Sese Seko ont prôné en leur temps un retour à l’identité africaine et forcé à l’abandon des prénoms chrétiens. Un article du code de la famille de RDC stipule même que les noms doivent être puisés dans le patrimoine culturel congolais, une obligation qui, parfois, ne va pas sans poser problème quand le prénom choisi est trop identifiable à une tribu en particulier, surtout dans les régions de l’est du pays où des groupes armés locaux s’affrontent pour des raisons ethniques, économiques ou foncières. En réalité, il est assez commun dans nombre de pays Afrique d’avoir un prénom pour l’état civil et tous les papiers administratifs, puis un autre, ou un surnom, dans la vie courante.

Mais le prénom choisi pour le nouveau-né peut également refléter l’état d’esprit du moment dans une famille, ou bien tenir de la sublimation, voire du déterminisme. C’est ainsi que l’on peut croiser en Afrique des Sublime, des Trésor et des Bijou ; des Patience, des Espérance et des Candide ; des Fortuné, des Princesse ou des Bel-Ange. A noter également l’expansion, logique, des prénoms musulmans comme Fatouma, Aminata et Amina pour les filles, Mohamed, Amadou ou Ali pour les garçons, parmi de nombreux autres exemples.

Quand RFI inspire les parents

Dût leur modestie en souffrir, plusieurs journalistes de RFI, et non des moindres bien entendu, ont inspiré des auditeurs africains de notre radio. Ainsi Juan Gomez, qui anime depuis 1996 l’émission Appels sur l’actualité, a-t-il déjà donné son nom à deux petits Africains. « Un auditeur de Lubumbashi prénommé Corneille m’a écrit effectivement pour me dire qu’il avait prénommé son premier enfant Juan Gomez, car il appréciait l’émission », sourit le journaliste. « J’ai été à la fois très surpris et très touché. Je lui ai dit que j’étais très honoré de savoir que son fils allait porter mon prénom et mon nom. Même si j’ai toujours un peu de mal avec le phénomène des "fans", j’ai pris ça comme un grand honneur ».

Même émotion chez Laurent Sadoux, qui présente quotidiennement Afrique Midi sur notre antenne. « C’est très étrange, admet-il, car je sais, moi qui n’ai pas d’enfant, qu’il y a trois petits Sadoux en Afrique ». « Un jour, se souvient-il, j’ai reçu un coup de téléphone quelques minutes avant le journal. A l’autre bout du fil, une dame me dit : "j’attends un heureux événement et j’ai besoin de votre aide". Me doutant de sa demande, je lui réponds : "Mais je ne peux pas aller jusque chez vous" ». « Et là : "ne bougez pas", me dit-elle, j’attends un petit garçon et je voudrais l’appeler Sadoux". Je pense qu’il doit avoir quinze ans aujourd’hui… »

« C’est très touchant, reprend le présentateur, et je crois que RFI est la seule radio à vivre ce type de moment très émouvant. Cela prouve que nous avons une relation passionnelle avec nos auditeurs. On a l’impression de faire partie de la famille. D’ailleurs, conclut Laurent Sadoux, quelques mois après la naissance, j’ai reçu une carte avec la photo de ce petit bonhomme avec mon nom qui était son prénom. C’était à la fois déroutant et émouvant ». On ne saurait mettre un terme à cet éclairage sans pratiquer à notre tour l’introspection. Et sans soumettre à la sagacité de nos amis africains une liste compulsée par un blog français qui recense les prénoms les plus étranges enregistrés sous nos latitudes en 2013 (cliquer ici). Nul doute qu’en la parcourant, ils ne manqueront pas de se montrer, à leur tour, extrêmement perplexes. Comme le dit un proverbe burkinabè : « La vérité rougit les yeux mais elle ne les crève pas... »