Si jamais une crise, un gros malaise digestif rudoyait, telle une épidémie, Kinshasa, André Kimbuta a un alibi. Il a officiellement, via son porte-parole, Thérèse Olenga, appelé les Kinois à boycotter ces légumes. Silence au ministère de l’Agriculture. Et une fois encore, l’OCC a failli à sa mission. La ville de Kinshasa, dont la population est estimée à 10 millions d’habitants, consomme en moyenne 250.000 tonnes des légumes l’an, selon l’environnementaliste Jean de Dieu Minengu. Mais quels légumes?
La capitale, paradoxalement, n’est pas cependant à l’abri d’une crise des légumes, conséquence du boom des constructions qui aura fait une gorgée des espaces agricoles de Kinshasa. La gestion chaotique des affaires foncières où conservateurs des titres immobiliers, bourgmestres, chefs coutumiers et même de simples géomètres lotissent même des sites réservés devant la complaisance sinon la complicité du ministre de tutelle a totalement désarçonné le système agricole de Kinshasa. Cecomaf, N’sele, Tadi, Mbundi, la banlieue kinoise d’Est à l’Ouest formait ce qu’on appelait ceinture verte de Kinshasa. Tous ces sites agricoles de la capitale dont certains remontent à 1954 ont quasiment été réduits à de simples platebandes de quelques ares. Le site de Kingabwa remis en 2014 aux maraichers sur décision de l'alors ministre des Affaires foncières, Robert Mbuinga, est derechef sous la menace de lotissement par un groupe d’intérêts dans lesquels se retrouveraient des élus nationaux de Kinshasa.
Selon l’expert Minengu, la demande en légumes à Kinshasa est, à ce jour, tributaire de l’offre du Kongo central (ex-Bas-Congo) et des importations. Mais cette offre serait largement inférieure à la demande sans l’apport des cultures maraîchères qui se sont développées le long de principales artères de la ville. Les pépinières qui s’allongent notamment de part et d’autre du boulevard Lumumba ou de la route dite by-pass, dans l’ancien cimetière de Kasa-Vubu en face de l’usine de panification de Maman Poto, produiraient jusqu’à 50.000 tonnes des légumes l’an selon des sources au Secrétariat général de l’Agriculture. «Les sites agricoles sont spoliés alors que le nombre d’agriculteurs ne cesse de croître du fait de la crise économique. On a des enseignants parmi nous, des fonctionnaires et même des agents de la FIKIN qui ont préféré cultiver les ndounda (nom commun donné à tous les légumes dans le parler kinois) à la foire», fait comprendre cet agronome de formation qui, faute d’emploi, s’est résolu à cultiver la terre vers la Place commerciale dans la commune de Limeté, le long du boulevard Lumumba. Un endroit dont il reconnaît inapproprié pour une culture maraîchère. Le boulevard Lumumba relie le centre des affaires de Kinshasa (administration, entreprises, marché, grandes écoles…) à l’aéroport de N’djili en passant par le district le plus peuplé de la capitale, la Tshango. C’est donc une des artères où la circulation est dense du matin au soir. C’est sur le Lumumba, avec ses flottilles de teufs-teufs qui assurent le transport en commun où l’on enregistrerait le taux d’exhalation du plomb dans la capitale. Il y a un peu plus de 18 mois, le 2 janvier 2014, le gouvernement provincial de Kinshasa avait appelé la population kinoise à ne plus consommer des légumes cultivés le long de grandes artères du fait de leur pollution au plomb. Mais la décision du gouvernement Kimbuta n’avait guère été accompagnée des mesures d’encadrement ni de coercition. «Nous arrosons nos légumes de beaucoup d’eau pour atténuer toute pollution au plomb provenant des tuyaux d’échappement des véhicules. Il revient plutôt aux autorités d’être davantage regardants sur la qualité du carburant commercialisé en RDC». La norme r-dcongolaise en matière des produits pếtroliers est, en effet, très restrictive sur le carburant contenant du plomb. Elle précise : plomb non détectable. Et l'agronome de poursuivre, « la bouffe polluée, c'est plutôt vos surgelés, des produits importés ! ». Tout un autre débat.
« Pendant la guerre d'août 1998, quand la route du Bas-Congo était fermée à tout trafic, ce sont des légumes des rues qui ont nourri tout Kinshasa », rappelle ce maraîcher. « Il y avait, poursuit-il, des pépinières là où sont aujourd'hui construits le marché de la Liberté et l'hôpital Marie Biamba de Mutombo Dikembe. C'est que tout le monde venait s'approvisionner. Nous constituons toujours une ceinture de sécurité alimentaire pour les 12 millions des Kinois ». Cet autre maraîcher qui se dit ingénieur agronome, remet également en cause la qualité des légumes dits importés. «Il y a de grandes dames, de grands messieurs qui viennent ici négocier d'importantes quantités de légumes », révèle-t-il. Et de foncer, « Ne vous fiez pas trop aux étiquettes. Il me suffit d’un bon emballage sur lequel je peux faire écrire made in France alors que le contenu est en réalité un produit local. C’est comme l’eau en bouteille, à se fier à leur nom, vous croirez en un produit venu du Canada ou des Etats-Unis alors que tout se fait à Kingabwa».
POLD LEVI