RDC-Ministre d'État belge Herman De Croo : ''Il faut que le résultat des élections soit accepté et acceptable, sinon c'est un drame et une perte d'argent", (Interview)

Dimanche 18 novembre 2018 - 16:55
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Le ministre d'État belge Herman De Croo, père de l'actuel vice-premier ministre belge en charge de la coopération (Alexandre De Croo), en visite en RDC, la 36ème de la série, a accordé une interview à 7SUR7.CD le mercredi 14 novembre dernier.
C'était à la somptueuse résidence de l'ambassadeur de Belgique située dans la commune de la Gombe, quartier administratif de Kinshasa, que s'est déroulée l'interview.

Celui qui s'appelle lui-même ''l'ami du Congo'' est en RDC pour y présenter son ouvrage intitulé ''Enraciné dans la vie'' dans lequel il réserve un chapitre à la RDC.

Il a profité de son séjour pour aussi rencontrer ses amis congolais, qui se comptent aussi bien dans les rangs de la majorité que de l'opposition, sans oublier la société civile.

Au cours de cette interview, Herman De Croo est revenu sur les relations tumultueuses entre la RDC et la Belgique.
Le passé, le présent et le futur des relations entre l'ex colonie belge et son ancienne métropole ont été abordés dans cet entretien.

D'après Herman De Croo, malgré les problèmes actuels (rupture de la coopération bilatérale, notamment), la RDC et la Belgique ne divorceront jamais, même si la Belgique peut se passer de la RDC et vice versa, selon lui.

Les deux pays sont semblables à tous les couples, qui de temps à temps se chamaillent, mais sans se séparer, estime le ministre d'Etat. Il pense néanmoins que la Belgique n'est pas un pays anodin, un pays à négliger. Elle exporte 30 fois le PIB congolais et sa richesse représente le 1/3 de ce que la grande Russie produit.

C'est le carrefour diplomatique du monde, des atouts desquels la RDC peut tirer profit, d'après De Croo père.

Pour sortir de la crise politique actuelle en RDC, H. De Croo soutient que le résultat des élections doit être accepté et acceptable par le plus grand nombre. Sinon, se serait un drame et une perte d'argent.

Il souhaite des élections libres et inclusives ainsi que la reprise de la coopération bilatérale. Cette reprise dépendra de l'issue des élections et des dispositions de nouvelles autorités, affirme-t-il.

*7SUR7.CD : Mr Herman De croo, vous vous présentez comme un ''grand ami'' de la République Démocratique du Congo. Pourquoi cet attachement particulier à la RDC*?

Vous savez comme tous les belges ou presque tous les belges, je relate mon atavisme familial. Mon oncle était au comité spécial du Katanga charbon bien-sûr, après la première guerre mondiale, mon beau frère et ma soeur, je n'ai qu'une soeur, qui faisait de la bière au Katanga en ce moment là, au shaba! Et j'en garde encore un grand souvenir de la Tembo. Que j'aime! beaucoup même ici à Kinshasa. Et je me suis senti frustré une seule fois dans ma vie. Car en 1961, j'avais gagné la bourse de transporteur pour le Congo, c'était l'Onatra, la Sabena, comme étant un des meilleurs étudiants de Belgique. Je n'ai pas pu venir parce qu'il y avait des troubles au Congo, peu après l'indépendance, et je souffrais d'une sorte de visite ratée. Je suis venu pour la première fois en 1966, bien longtemps et ceci peut être mon 36è voyage au Congo. Je suis venu souvent comme soit ministre, soit comme président de l'assemblée, comme président de parti, comme ministre d'État... Et j'ai reçu, j'ai des exemples autour de moi, un journaliste, homme politique congolais, zaïrois dans le temps, quand j'étais aux affaires, au parlement, j'ai aujourd'hui 50 ans de vie parlementaire, j'ai dû faire ou j'ai pu faire 19 ans d'élections, pour rester élu par le peuple, 50 ans au parlement finalement et j'en suis heureux.

*Vous êtes aussi le père de Alexandre De Croo, actuel vice-Premier ministre belge*

Je suis le père d'Alexandre De croo qui est vice-premier ministre depuis maintenant 5 ou 6 ans et qui est notamment ministre de la coopération au développent dont le nom je crois, est quelque peu connu au Congo.

*J'imagine votre peine à voir les relations bilatérales entre la RDC et la Belgique abîmées ?*

Ouf ! Je ne panique pas vous savez, j'ai connu la période où le maréchal Mobutu, j'étais ministre de transports, avait coupé entièrement les commucations aériennes avec la Belgique, ça s'est rétabli. J'ai connu des périodes de froid et de chaud...Mais c'est un peu comme dans les ménages, on ne divorcera jamais ! Le Congo et la Belgique, de temps en temps, y'a des disputes comme dans les ménages.

*La rupture bilatérale de la coopération entre la RDC et la Belgique en janvier, n'est-ce pas là une crise de trop ? Ne pouvons-nous pas faire l'économie de ses crises à répétition ?*

Je ne préfère pas avoir de crise du tout, c'est évident. Mais quand je vois l'ambassade de Belgique au Boulevard du 30 juin, presqu'au milieu, quand je vois cette belle résidence que je connais bien de l'ambassadeur de Belgique, je me dis que peut-être on réagit les uns et les autres, je ne veux pas mettre la responsabilité chez qui que ce soit trop rapidement. L'origine, si je comprends bien de ce froid entre le Congo et la Belgique, c'est surtout que mon fils avait décidé avec l'accord du parlement évidemment, de faire verser directement aux Ongs plusieurs dizaines de millions d'euros de la coopération, car nous sommes la Belgique, le troisième pays au monde qui coopère le plus avec vous, et pour nous le Congo est notre plus grand pays de coopération, donc c'est important dans la santé, dans l'éducation, dans les accès des régions reculées. Et la politique de la Belgique est surtout d'aider les régions les plus reculées, les plus difficiles de ce grand pays, nous espérons que ça se rétablisse, nous en discutons, il y a eu des sanctions de la part du Congo, ça appartient à sa souveraineté, mais nous espérons que du moins, après ces élections, le climat de confiance peut se rétablir, si je peux aider je serai parmi ceux qui tâcherons de remettre les choses. Mais c'est la souveraineté du Congo aussi la souveraineté de la Belgique dans des bons prix.

*L'accusation la plus récurrente des autorités congolaises contre les autorités belges, c'est l'ingérence, c'est le soutien aux opposants congolais. Que répondez-vous à ces accusations ?*

Moi je crois que ces accusations, avec tout le respect que je dois à ceux qui la prononcent, sont inexactes. Dans ce sens que nous avons beaucoup des personnalités du Congo qui viennent en Belgique, qui viennent nous voir, Majorité comme Opposition j'en connais beaucoup, aussi bien dans la majorité que dans l'opposition et qu'on croit que nous sommes quelque part, en train de fomenter, Dieu sait quoi contre le Congo, ce n'est pas vrai ! Ce que nous disons c'est clairement : quand vous avez une population, près de 90 millions d'habitants dont peut être 9999 sur 10.000, doivent hélas vivre avec 1$ ou 2$ par jour dans un pays qui a la plus grande puissance hydroélectrique d'Afrique, dans un pays je vois d'abord moi cet extraordinaire fleuve avec un débit de 80. 000 m³/s, quand je vois qu'un pays qui a de millions d'hectares, des terrains agricoles qui, chaque année refont ou peuvent refaire de richesses, il y a dans certains métaux des extraordinaires réserves, je pense au cobalt pour ne pas parler d'autres ; je voudrais que les bienfaits de cela descendent davantage sur ce que j'appelle le Congo ou le congolais moyen. Et si nous pouvons aider à cela, je serai le premier à essayer de le faire faire. C'est difficile à gérer ce pays, c'est grand. Mais je crois qu'avec tout le respect que je dois aux gouvernants, l'attention essentielle de nous tous, à l'extérieur et à l'intérieur du Congo, doit être le sort de la population congolaise. Si on dit ça tout haut, je ne pense pas qu'on puisse nous critiquer de le dire... Mais C'est aux congolais, dans leur souveraineté de le réaliser

*Et l'autre accusation qui revient souvent, ce que la Belgique a été le pilier, le pivot des sanctions contre les autorités congolaises, et qu'elle devrait travailler justement à la levée de ces sanctions pour un établissement de la coopération bilatérale*

Je suis désolé mais c'est faux ! Les sanctions ont été prises par 28 pays après délibération. Je prends le cas que je regrette de la fermeture de la maison Schengen, qui délivre des visas très important aussi bien pour les congolais que pour les belges de faire des pays européens. La délivrance se fait par la Belgique ici, comme c'est fait par la France dans le Congo Brazzaville il y a rien de spécial, il y'a à peu près 25.000 visas par an qu'on délivre dont 11 à 12 mille rien que pour la Belgique. Le pouvoir congolais dans sa compétence, a enlevé l'immunité diplomatique de Schengen, peut être que certaines personnes au Congo croyaient diviser les 28 que d'autres pays auraient été d'accord de remplacer la Belgique pour délivrer les visas, ça n'a pas été le cas, et je crois que des négociations, des discussions ont lieu depuis quelque temps pour essayer de solutionner correctement ce problème, parce qu'on a fermé le consulat général d'Anvers, on a fermé le consulat général de Lubumbashi, on attend de part et d'autre la désignation d'un ambassadeur, dirai-je en plein terme pour le Congo chez nous et pour nous ici chez vous. Je voudrais de tous mes voeux appeler qu'on puisse avancer dans ce type de négociations et arriver à une solution correcte mais, si certains au Congo avaient crû pouvoir isoler notamment la Belgique parmi les 28 autres, peut-être sans le savoir, ils ont ignoré que la Belgique :

1. C'est le pays avec le plus grand nombre d'ambassades au monde, nous avons un tiers des ambassadeurs de plus que Washington,

2. Que la Belgique est le siège de la plus grande institution européenne, l'Union européene.

3. De la plus grande institution militaire du monde, l'OTAN. Et que nous avons chaque jour en Belgique, plus de 120 réunions internationales, chaque jour, qui comportent au moins 10 nationalités différentes. Donc on ne peut pas non plus considérer que la Belgique n'est pas très grande. Mais petite comme elle est la Belgique, son revenu annuel, c'est un tiers de la richesse produite par la grande Russie, donc toute la Russie.

Donc nous ne sommes pas quelque chose d'anodin, nous sommes la grande place en Europe, nous sommes un peu le carrefour de la diplomatie du monde et nous sommes un peu par nos connaissances, l'Institut de la médecine tropicale, nous sommes le point des recherches, d'enseignement, d'information, des contacts importants en Europe, important dans le monde, et nous sommes aussi de part notre histoire, un pays de par ses connaissances aider ce très beau et très grand Congo.

*Donc si je comprends bien, la Belgique est un atout pour la RDC ? Pas un bouc émissaire ?*

Vous savez, la RDC est un atout pour la Belgique , je n'aime pas du tout le nationalisme exacérbé, mais je crois que pour bien avancer dans le monde, il vaut mieux s'entendre entre pays spécialement qui ont des liens aussi longs et si important. Je vous parle de mon cas, deux membres de ma famille ont travaillé toute leur vie au Congo, qu'il soit en belge, ou qu'il soit indépendant, et n'oubliez pas dans quelques mois, le Congo Zaïre, ou le Congo démocratique sera plus longtemps indépendant en année, qu'il ne fût jamais sous la colonie belge. Mais il ne faut pas oublier que nous avons quitté en toute amitié dirais-je, le Congo il y'a presque soixante ans

*Et comment solder définitivement ce passé colonial douloureux, pour justement repartir sur de bonnes bases ?*

Bon je ne suis pas colonialiste, pour moi un homme noir ou blanc, une femme noire ou blanche ont la même valeur. Chez moi à la maison, j'ai une femme qui travaille chez nous qui est congolaise depuis toujours. Et vu l'âge on me disait toujours "monsieur le bourgoumestre est-ce que tu as confiance, je disais mais si j'ai confiance "... Je pense qu'on fait plus par l'exemple que par le mot. Je crois qu'il faut mettre de part et d'autre un peu d'eau dans son vin, ne pas chercher à soulever chaque pierre, quelques serpents qui s'y seraient cachés, essayer d'être positif. Vous savez moi je crois que la Belgique peut survivre sans le Congo, quand je vois nous exportons des biens dont la valeur d'exportation est à peu près 20 fois, 30 fois par rapport à votre richesse par an, rien que pour la petite Belgique.
Bon on peut se dire, nous on peut se tirer d'affaires. Et le Congo est un très grand pays, il peut se dire " Toi Belgique, je n'ai pas besoin toi". Mais pourquoi perdons-nous tout ce temps ? Ces connaissances réciproques, ces capacités, au lieu d'en discuter, il vaut mieux essayer de s'entendre. J'ai vu un jour une importante personnalité féminine du Congo, députée, elle me disait :
"Monsieur le ministre, je vous ai interviewé, il y'a 20 ans, moi je dis merci beaucoup,
Et vous avez dit une chose que je n'ai jamais oublié, je lui ai dit, je vous écoute !
Vous avez dit la Belgique, c'est le trou de la serrure à travers lequel, tout le monde entier regarde le Congo.
Et je crois que c'est grandement vrai, il y'a peu de choses, de grandes puissances ou de petites puissances qui veulent faire des choses au Congo qui sont en train d'en faire, qu'ils ne viennent pas demander directement ou indirectement quelques conseils, quelques avis, et nous sommes absolument heureux de la faire dans le sens positif.

*Le passé colonial, nous impose un devoir mémorial. Quelle est la responsabilité de la Belgique dans la tragédie qu'a connue Lumumba ?*

Laissez- moi être brutal. J'étais président de l'assemblée nationale. Quand le parlement belge a fait une commission d'enquête sur l'assassinat, le meurtre de Patrice Lumumba, j'ai présenté un rapport de plus de 1000 pages, vous pouvez voir sur vos ordinateurs où le parlement belge a interrogé des dizaines de personnes pour faire la lumière, 50 ans plus tard après les faits, sur la disparition du premier ministre Patrice Emery Lumumba. Donnez-moi un deuxième pays qui dans sa colonie précédente a fait en public, socialement durant des semaines et des mois une enquête publiée sur une page sombre (je le reconnais) sur l'histoire de la Belgique et le Congo. Il n'y a pas de livre, il ny'a pas de publication, plus détaillé, plus fiable, que le rapport parlementaire socialiste avec des experts et des députés à propos du meurtre de Patrice Lumumba

*La Belgique est-elle prête à présenter les excuses publiques au peuple congolais pour ce qui y a eu comme crimes, durant la colonie belge... ( je ne sais pas écouter votre voix)*

Il eut des dérapages certainement sous la colonie et surtout peut être puisqu'ils veulent que 500 belges sous Léopold II.
Il est évident qu'ils ont commis des fautes, il est évident aussi que les congolais ont beaucoup aidé la Belgique dans les deux guerres, ils ont été volontaires, parfois pas toujours volontaires, ils ont été porteurs dans des conditions difficiles et nous l'avons reconnu, Mais nous avons aussi créé la plupart des écoles élémentaires au Congo. Quand nous sommes partis en 60, le taux de scolarisation des peuples africains était élevé au Congo. Quand je fais des routes, je ne dirai pas les endroits où j'étais quand même, J'ai été à Kamba, j'ai été au Bateke durant ces jours-ci, si les routes étaient aujourd'hui ce que les routes étaient durant l'époque belge, vous vous déplacerez dans plusieurs villes de manière beaucoup plus rapide que maintenant. Si la santé était aujourd'hui ce qu'elle était dans l'organisation en temps de belge la même chose, il y'a une grande différence. Une grande question d'humilité...
Quand nous étions ici, nous aidions avec les congolais pour le Congo. Aujourd'hui il y'a 5 Congo. La population a été multiplié par 5. Jusqu'en 1960, il y'avait 15 millions d'habitants, aujourd'hui il faut le dire, on ne le comprend pas assez en Europe et dans le monde, votre population a été multipliée par 4. Donc le Congo dont nous avons eu la charge avec les congolais, avait un cinquième de la population du Congo d'aujourd'hui. Et je comprends, ça pose de grands problèmes, de grande difficulté, et ça me force à dire que le responsable congolais devrait être davantage regardant pour le sort de leur population. Nous faisons la politique non pas pour nous mêmes nous la faisons pour le peuple. Chacun essaie de veiller au mieux à l'amélioration du sort de peuple.

*Votre regard sur le processus électoral ?*

Il faut suivre la constitution et la loi. On me dit que la loi électorale congolaise, ne prévoit pas le vote électronique. On le dit dans la constitution Tout candidat est libre en respectant. C'est les congolais qui ont décidé qu'il en soit ainsi. Est-ce qu'il en serait de même dans la réalité. Je l'espère mais les élections n'ont de sens, j'en ai fait 19 pour rester 50 ans au parlement, j'en ai fait 13 pour être bourgmestre dans ma ville pendant de nombreuses années, les élections n'ont de sens que si le résultat est accepté par le plus grand nombre. Une élection contestée, à tort ou à raison, est un handicap pour le futur du parlement, pour le futur du gouvernement, pour le futur de la présidence.
Essayer humblement que le système électoral et la procédure soient acceptés par le plus nombre des candidats. Et je trouve personnellement extraordinaire si vous réussissez le 23 décembre, c'est déjà 2 ans plus tard par rapport à la date normale des élections, dans près de 90.000 bureaux électoraux à permettre à 600 citoyens au maximum à voter, quand je vois la distance, la difficulté d'accès, la saison de pluie, même en y mettant beaucoup d'argent les moyens seront toujours trop petits pour réaliser cette prouesse logistique.
Je serai pour cette prouesse-là plein d'admiration. Mais alors Si vous faites un si grand pour que tout le monde puisse voter,
Il faut que les élections soient acceptées et acceptables. Sinon c'est un drame, c'est un match pour rien, c'est une perte d'argent. Et je souhaite que le Congo puisse se retrouver autour des élections comme vous dites inclusives, libres et qui donnent au pays sa représentation démocratique méritée.

*Propos recueillis par Israël Mutala*