Déclaration d'amour de F. Tshisekedi à Israël: enjeux et implications, voici le décryptage de l'internationaliste M. Ziakwau

Lundi 2 mars 2020 - 23:29
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7sur7


Après plusieurs décennies des relations diplomatiques en « léthargie » entre la RDC et Israël, le président Félix Tshisekedi a annoncé, le 1er mars 2020 à Washington, lors de la conférence de l'American Israël Public Affairs Committee (AIPAC), la nomination, dans les prochains jours, d'un ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Tel Aviv.
Par cette annonce, qui sonne comme une véritable déclaration d'amour de la RDC à Israël, le chef de l'État a exprimé sa volonté de réchauffer les relations entre son pays et celui de Benyamin Netanyahou. 
Mais, en quoi le renforcement des liens entre les deux pays est-il bénéfique pour la RDC ? Quelles en sont les implications ? Des interrogations auxquelles l'internationaliste Martin Ziakwau a apporté des réponses. 
C'était au cours d'une interview exclusive qu'il a accordée à 7SUR7.CD ce lundi 2 mars 2020. 
 *(Voici l'intégralité de l'interview)*
*7SUR7.CD : Faites-nous un état des lieux des relations diplomatiques entre la RDC et l'Israël.*
Martin Ziakwau : Les relations diplomatiques entre la RDC et Israël existent depuis les années 1960 mais ne sont pas actuellement à un niveau optimal. En effet, depuis plusieurs années, Israël n'a pas de personnel diplomatique permanent en RDC. Depuis plusieurs années, la mission diplomatique de la RDC à Tel Aviv est coiffée par un chargé d'affaires intérimaire. Ceci constitue tout un message. En effet, un Ambassadeur est l'expression du niveau le plus élevé de volonté de gestion des relations diplomatiques entre les Etats puisqu'il représente et engage le chef de l'État tandis que le chargé d'affaires (en l’occurrence un intérimaire dont la confirmation requiert le respect des us et coutumes diplomatiques) est placé sous l’autorité du ministre des affaires étrangères. 
Après l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, la coopération était excellente. Le Zaïre a largement bénéficié du soutien d’Israël dans plusieurs domaines, notamment sécuritaire. L’importance géostratégique du Zaïre pendant la Guerre froide y a constitué un facteur déterminant. 
Cependant, les conflits entre le monde arabe et Israël ont eu un impact négatif, dès 1973, sur les relations entre ce dernier et l’Afrique. En octobre 1973, sur recommandation de l'Organisation de l'Unité Africaine, presque tous les pays africains, y compris le Zaïre (RDC), avaient rompu leurs rapports diplomatiques avec Israël par solidarité à l'Egypte dont le territoire de Sinaï était occupé par l’armée israélienne. L'on se souvient de la célèbre phrase du président Mobutu du haut de la tribune de l'Assemblée générale de l'ONU _: "entre un ami (allusion faite à Israël) et un frère (sous-entendu l’Egypte), le choix est clair...". En 1982, considérant qu'Israël s'était retiré de Sinaï, Kinshasa avait, contrairement à plusieurs autres pays africains, renoué diplomatiquement avec Tel Aviv non sans conséquence puisque l'Arabie Saoudite avait alors rompu ses rapports diplomatiques avec le Zaïre. Après le rétablissement des relations diplomatiques entre Israël et le Zaïre en 1982, Honoré Ngbanda fut accrédité à Tel Aviv comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire.
Mais le Zaïre n'était pas parvenu à se repositionner structurellement au cœur de l'agenda africain d'Israël. Après, malgré tout, un soutien israélien à la sécurité privée du président Mobutu, Tel Aviv a contribué à la défenestration de ce dernier. La chute du président Mobutu n’a pas donné lieu à un accroissement des contacts diplomatiques entre les deux pays. Bien au contraire, Kinshasa s'est plus appuyé sur des personnes physiques et morales de nationalité israélienne pour négocier des soutiens extérieurs. D’Etat à Etat, à ce jour, la RDC n'est pas un partenaire privilégié d'Israël dans la Région. 
*7SUR7.CD : Quelle lecture faites-vous du discours du président de la République sur le renforcement du lien diplomatique avec Israël ?*
M.Z. : Le discours du président Tshisekedi relève d'une stratégie de charme et de persuasion pour faire intégrer positivement le pays dans l'agenda du lobby juif aux USA dans la perspective notamment de la promotion des investissements en RDC et de l’obtention d’autres gains, notamment sécuritaire. Pour ce faire, il est capital d'exprimer la volonté de renforcer les relations avec Israël auquel s'identifient les Juifs dont la puissance en entreprenariat est un secret de polichinelle. Cette démarche sera certainement la bienvenue en Israël qui est en quête des partenaires susceptibles de soutenir sa cause au sein des organisations intergouvernementales, notamment à l'Union Africaine dont la RDC est en ordre de dirige, en 2021, la Conférence des chefs d’Etat (organe suprême). Par ailleurs, la RDC devrait veiller sur le risque, dans les postures affichées et à afficher, d’un alignement implicite ou explicite dans les conflits israélo-palestiniens. Il s’agit d’éviter de résoudre un problème en en créant un autre. 
*7SUR7.CD : Le cadre était-il approprié ?*
M.Z. : Le renforcement des relations diplomatiques relève d'une matière interétatique. Il s'agit non seulement, pour le président de la République, d'accréditer un ambassadeur à Tel Aviv mais surtout de persuader Israël de faire montre de réciprocité. Il est fort possible qu'en annonçant sa vision à cet auditoire, composé des personnalités influentes américaines agissant dans l'affermissement des relations entre les USA et Israël, que le président Tshisekedi ait visé d’obtenir leur soutien pour une forte adhésion de Tel Aviv à sa démarche. Reste à savoir le prix à payer à cet effet, pour entrer effectivement au cœur de l’agenda régional d’Israël. C'est un processus qui exige une bonne planification stratégique et opérationnelle eu égard aux défis à relever.
*7SUR7.CD : Quelles sont les étapes à suivre pour rendre effectif ce réchauffement diplomatique ?*
M.Z. : Il n'y a pas d'étapes formelles. Il s'agira pour les deux pays de définir le centre d’intérêt susceptible de booster l'accroissement de leurs interactions diplomatiques. La RDC a un personnel diplomatique permanent mais géré à un niveau inférieur à celui d'ambassadeur. Ce n'est pas très difficile d'accréditer un ambassadeur. Mais, pour Israël, il faudrait une volonté plus forte pour juger utile de mobiliser des ressources budgétaires que requiert la réouverture de sa représentation diplomatique en RDC. 
*7SUR7.CD : Quelles sont les implications de ce réchauffement diplomatique ?*
M.Z. : Les implications du réchauffement des relations diplomatiques entre la RDC et Israël relèvent essentiellement de la cohérence dans la gestion des relations extérieures de la RDC eu égard à des options majeures liées notamment à des partenariats conclus et envisagés. Ceci requiert de mieux cerner préalablement les aspirations et les attentes d'Israël ainsi que ses réseaux dans la région. Puisqu'Israël est cité parmi les acteurs de l’ombre de la reconfiguration géopolitique de la région des grands lacs avec effet de périphérisation de la RDC dont la sensibilité est particulière suite à son potentiel de pivot. Reste à savoir comment assumer cette vision face à Israël pour changer profondément son regard sur la RDC. Le plus dur est à venir pour parvenir à un renforcement effectif des relations diplomatiques avec Israël. 


Propos recueillis par Élysée Odia