Tribune -Proclamation de l'état d'urgence: une inconstitutionnalité excusable ! (Ikala Engunda) 

Lundi 13 avril 2020 - 19:15
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LE CONTEXTE

Au regard de lutte contre la propagation du COVID19, le Président de la République a proclamé, le 24 mars 2019, l’Etat d’urgence sanitaire qui a pour conséquence de limiter notamment notre droit de circuler à travers le territoire national. En réaction à cette proclamation, le Président du Sénat et celui de l’Assemblée Nationale ont convoqués un congrès « pour valider l’état d’urgence sanitaire décrété par le Chef de l’Etat ». Face à cet acte, les réactions sont vives de part et d’autre de la classe politique. Complot ! Inconstitutionnalité ! Outrage ! Chacun y va de son qualificatif dépendamment de son bord politique. Face à ce brouhaha juridique, le public s’y perd. Cependant, la question principale qui ressort est de savoir si l’ordonnance proclamant l’état d’urgence sanitaire est conforme à la constitution. C’est ainsi que j’ai jugé opportun, en tant qu’humble juriste, d’analyser cette question de manière extrêmement pédagogique afin d’éclairer l’opinion nationale. 
LA CONSTUTIONNALITE 
Pour conclure à l’inconstitutionnalité de la proclamation de l’état d’urgence pris par le Chef de l’Etat, il faut saisir les différentes étapes de la procédure constitutionnelle permettant ladite proclamation.
Etape n°1 : Les circonstances 
Pour que l’état d’urgence soit proclamé, nous devons être devant des circonstances graves qui menacent d’une manière immédiate :
l’indépendance du territoire national ;
l’intégrité du territoire national ;
l’interruption du fonctionnement régulier des institutions.
Base légale : Article 85 de la Constitution

Etape n°2 : Les concertations 

Le Président de la République doit se concerter avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres.
Base légale : Article 85 de la Constitution.

Etape n°3 : L’autorisation de proclamation de l’Etat d’urgence
 
Le congrès doit se réunir pour statuer sur l’autorisation de l’Etat d’urgence.
Base légale : Article 119 (2) de la Constitution.

Etape n°4 : La prise de l’ordonnance proclamant l’état d’urgence 
Le Président prend l’ordonnance proclamant l’état d’urgence pour une période de 30 jours et en informe la nation par un message. 
Base légale : Articles 79 al.3, 85, 144 al.1 de la Constitution. 

Etape n°5 : Les sessions parlementaires 

L’Assemblée Nationale et le Sénat se réunissent alors de plein droit. S’ils ne sont pas en session, une session extraordinaire en vue d’adopter de la loi portant  modalités d’application de l’état d’urgence. Je précise que cette étape n’est pas systématique. Elle s’applique uniquement dans le présent cas vu que la loi n’existe pas encore à l’heure actuelle. 
Base légale : Articles 85 al.3 et 144 al.2 de la Constitution.

Etape n°6 : La prises des ordonnances des mesures 
Le Président de la République prend, par ordonnances délibérées en Conseil des ministres, les mesures nécessaires pour faire face à la situation d’urgence. Ces ordonnances sont, dès leur signature, soumises à la Cour constitutionnelle qui, toutes affaires cessantes, déclare si elles dérogent ou non à la présente Constitution. 
Base légale : Article 145 de la Constitution.

Au regard de la situation actuelle, force est de conclure que l’ordonnance proclamant l’état d’urgence sanitaire n’a pas respectée l’étape n°3 ni l’étape n°6.  En effet, ladite ordonnance n’a pas été précédée d’une autorisation de proclamation de l’état d’urgence prise par le Parlement réuni en congrès comme l’exige l’article 119 (2) de la Constitution et l’ordonnance portant proclamation de l’Etat d’urgence aurait dû se limiter à  proclamer l’état d’urgence au lieu d’étaler dans son corps les différentes mesures qui rait dues faire l’objet d’autres ordonnances délibérées en Conseil des ministres est soumises à la Cour Constitutionnelle pour vérification de conformité à la Constitution. 

MAUVAISE JUSTIFICATION : LA JURISPRUDENCE 

Afin de justifier la prise de son ordonnance proclamant l’état d’urgence, le Président de la République invoque dans les « visas » de son ordonnance que « considérant l’arrêt sous R. Const. 061/TSR du 30 novembre 2007 de la Cour Supreme de Justice. Toute section réunis siégeant en matière d’appréciation de la  conformité à la Constitution du Règlement Intérieur du Congrès s’agissant de l’article 3 point 3 textuellement repris dans le règlement intérieur du Congrés en vigueur. ». En effet, cet arrêt stipule très clairement que « l’état d’urgence  ou l’état de siège ne peut être soumise à l’autorisation du Congrès ». A mon avis, cet argument ne peut justifier l’absence d’autorisation préalable du Congrès à la prise d’une ordonnance proclamant l’état d’urgence. Je m’explique ! 

Pour chaque législature, le Parlement congolais adopte un règlement intérieur du Congrès qui est communiqué par le Président du Congrès à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur la conformité de ce règlement à la Constitution dans un délai de 15 jours tel que l’exige l’article 120 al.3 de la Constitution. S’agissant du règlement intérieur actuellement en vigueur, il a été jugé conforme à la Constitution via l’arrêt de la Cour Constitutionnelle R.Const 1117 du 12 décembre 2019 qui stipule dans troisième feuillet que « le chapitre 4 est relatif à la procédure devant le congrès et comprend les articles 35 à 42 qui sont conformes à la Constitution »

Dans le cadre de notre analyse, je constate que le règlement intérieur du Congrès dont il est question au paragraphe précédent stipule en son article 36 qu’ « en application de l’article 3 point 3 du présent Règlement intérieur, le Congrès, saisi par le Président de la République, autorise la proclamation de l’état d’urgence ou de siège et la déclaration de guerre à la majorité des deux tiers  de ses membres. Il en est de même lorsqu’il s’agit de la propagation de l’état d’urgence ou de l’état de siège, conformément à l’article 144 alinéa 5 de la Constitution ». 

Au regard de ces faits, force est de conclure que la Cour Constitutionnelle n’a pas maintenu sa position de 2007 sur la question de l’autorisation préalable du congrès à la proclamation de l’état d’urgence lors de sa vérification de la conformité du règlement intérieur du congrès applicable à la présente législature (2019). On ne peut donc s’y fier pour justifier l’absence d’autorisation préalable du congrès comme l’exige l’articles 119 (2) de la Constitution. 

Cependant, je suis d’avis que ce non-respect de la Constitution se justifie par l’état de nécessité. Je m’explique !  

L’ETAT DE NECESSITE 

En effet, l'état de nécessité est une notion juridique qui consiste à autoriser une action illégale pour empêcher la réalisation d'un dommage plus grave. Cette justification est recevable en respectant les trois conditions suivantes : 

L’existence d’un danger imminent ; 
L’absence d’une autre solution légale ;
La proportionnalité du mal infligé et du mal évité. 

L’existence d’un danger imminent

La nation faisait face à un virus extrêmement contagieux qui mettait en danger la santé de la population. Sur ce point, je pense que personne ne peut dire que nous ne faisions pas face à un danger imminent les jours avant la prise de l’ordonnance proclamant l’état d’urgence prise par le Chef de l’Etat.

L’absence d’une autre solution légale   

L’une des mesures urgentes à prendre pour lutter contre la propagation de ce virus à travers la république était de restreindre en toute urgence le droit de circulation des citoyens congolais garanti par l’article 30 de la Constitution. Pour cela, il n’y avait pas d’autres moyens pour le Chef de l’Etat que de déclarer l’Etat d’urgence. Il s’agit du seul moyen légal permettant aux pouvoirs publics de restreindre, pour un temps limité, l’exercice des droits fondamentaux de la population comme le droit de circuler librement à travers le territoire de la République. 

La proportionnalité du mal infligé et du mal évité 

 Il est vrai que l’ordonnance du Chef de l’Etat n’a pas été précédée d’une autorisation de proclamation de l’Etat d’urgence comme l’exige l’article 119 (2) de la Constitution. Cependant, je tiens à rappeler que face à ce danger imminent qu’est le COVID-19, le Parlement avait suspendu ces séances pour éviter la propagation du virus. Face la suspension des activités du Parlement et l’urgence de sauver des vies en limitant de toute urgence la propagation du virus à travers la République, je suis d’avis que mal infligé par l’absence de l’autorisation du Congrès est moindre par rapport au mal évité qu’est la mort de citoyen congolais.

Au regard de cette analyse, je suis d’avis que le non-respect de la Constitution dans ce cas précis se justifie par l’ « état de nécessité » dans lequel se trouvait et se trouve encore la République vis-à-vis du COVID19. Le Président de la République ne pouvait pas dans les circonstances sanitaires qui étaient le nôtre se résigner à limiter son action à cause de lourdeur constitutionnelle, il fallait sauver des vies, il fallait sauver nos vies. 

CONGRES AU FONDEMENT DISCUTABLE 

Au regard des éléments ci-haut, l’organisation d’un congrès n’est pas pertinente. En effet, l’article 119 de la Constitution stipule que « les deux Chambres se réunissent en congrès pour les cas suivants : 
la procédure de révision constitutionnelle conformément aux articles 218 à
      220 de la présente Constitution ;
l’autorisation de la proclamation de l’état d’urgence ou de l’état de siège et de
            la déclaration de guerre conformément aux articles 85 et 86 de la présente
            Constitution ;
      3.   l’audition du discours du Président de la République sur l’état de la Nation
            conformément à l’article 77 de la présente Constitution ;
      4.   la désignation des trois membres de la Cour constitutionnelle, conformément
            dispositions de l’article 158 de la présente Constitution. 

Vu que nous sommes déjà en « état d’urgence », il serait illogique de réunir le congrès pour statuer sur l’autorisation ou non d’une proclamation de l’Etat d’urgence qui est déjà proclamé. Afin de régulariser constitutionnellement cette proclamation de l’état d’urgence, je recommande les mesures suivantes : 

Au Président de : 

convoquer un conseil des ministres en vue de l’adoption du projet de loi des modalités d’application de l’état d’urgence et de l’état de siège ;  
Base légale : Articles 85 al.3 et 144 al.2 de la Constitution
prendre les ordonnances sur les mesures de portant sur l’état d’urgence ; 
Base légale : Article 145 de la Constitution
convoquer un conseil des ministres afin de statuer sur la décision de saisir l’Assemblée Nationale et le Sénat sur une prorogation de l’état d’urgence ; 
Base légale : Article 144 al.4 de la Constitution
saisir l’Assemblée Nationale et le Sénat sur la prorogation de l’état d’urgence.
Base légale : Article 144 al.4 de la Constitution

A l’Assemblée Nationale et au Sénat de :  

 annuler la convocation du Congrès. En effet, si l’objet du congrès est se statuer sur l’autorisation de proclamation de l’état d’urgence, la démarche inutile car nous sommes déjà en état d’urgence. On n’autorise pas une proclamation qui a déjà été proclamée ;
Base légale : Article 119 (2) de la Constitution
annuler la convocation du congrès. En effet si l’objet du congrès est de statuer sur les modalités d’application de l’état d’urgence cela est contraire à l’article 119 de la Constitution qui ne prévoit pas cela comme un objet pouvant permettre la tenue d’un congrès. De plus, les modalités d’application sont du domaine de la loi. Il faut juste attendre le dépôt du projet de loi y relative qui devra suivre le processus législatif normal, nul besoin d’un congrès ;
Base légale : Articles 85 al. 3 et 119 (2) de la Constitution.
d’autoriser la prorogation de l’état d’urgence après la saisine du Président de la République à cet effet.
Base légale : article 144 al.5 de la Constitution
 
CONCLUSIONS

J’écris cette analyse avec beaucoup d’amertume et de déception car je suis navré de constater que devant une crise sanitaire qui met la population en danger de mort, notre classe politique n’est pas en mesure de faire preuve d’unité, de solidarité et de fraternité pour faire face à ce mal commun. Devant le danger qui tapis dans l’ombre notre préoccupation ne doit pas porter sur la constitutionnalité d’un acte qui a permis de sauver des vies (ordonnance proclament l’état d’urgence) mais comment faire pour sauver plus de vie. J’ai honte, j’ai honte que nous ayons, en tant que peuple, un tel débat pendant nous faisons face à une crise sanitaire qui risque causer des milliers et peut être des millions de morts. J’appelle la classe politique à plus responsabilité et maturité. Il serait irresponsable de rajouter à cette crise sanitaire une crise institutionnelle. Faisons preuve de sagesse. 

Merci