Tribune - L'Etat d'urgence en R.D.Congo: SALUS POPULI SUPREMA LEX !( Nicolas Kanyonga-Mulumba)

Lundi 20 avril 2020 - 14:44
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Point nest besoin de revenir sur le débat que nous a ramenés la proclamation par le chef de lEtat, Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo, de lEtat durgence le 24 mars 2020, par ordonnance numéro 20/014.

Cette décision loin dêtre une simple réponse rapide et mesurée à une crise sanitaire, elle sest révélée comme un motif déveil juridique sur une matière réservée par nature aux initiés du droit constitutionnel.
Pour se doter dune dose de précaution, le chef de lEtat a réuni en concertation en date du 23/04/2020 avril 2020, les présidents des deux chambres (haute et basse) du parlement, le premier Ministre et autres personnalités mieux identifiables.
Cependant, la sortie médiatique du Président du sénat, samedi 04 avril 2020, taxant la décision du chef de lEtat dun acte de fait et non de droit, a non seulement suscité des inquiétudes et doutes sur les prétendues intentions cachées du président du sénat mais elle a surtout ramené sur la place publique un débat auquel les juristes, professeurs duniversités, chercheurs et même homme de la rue nont pas hésité à sinviter sans esquive.
Certains, estimant que la proclamation de lEtat durgence sur base de larticle 85 de la constitution est une violation, par omission, des articles 144 et 149 de la même constitution trouvent que pour y remédier, il était compatissant de convoquer le congrès afin doffrir à cette mesure une tunique de droit. Le cadre est vite choisi pour cette cérémonie : LE PALAI DU PEUPLE, sous une bonne dose de désinfection, sans détails sur la distanciation sociale et dautres mesures barrières. Thèse risquée, portée sur lautel par le président du sénat, Alexis Thambwe Mwamba.Piège !! Scandent daucuns.
Dautres par contre, massue à la main, soutiennent que le chef de lEtat a suivi la procédure, du fait de sêtre concerté avec les présidents des deux chambres avant de prendre, en toute responsabilité la lourde décision qui, de toute évidence touche à certaines libertés fondamentales, chères aux défenseurs des droits de lhomme. Et à ce titre, ils soulignent que le chef de lEtat pouvait proclamer lEtat durgence sans recourir à lautorisation préalable et formelle du congrès. Telle, laffirmation de Me Papis Tshimpangila lorsquil rappelle en exemple, larrêt de la Cour Suprême de justice du 5 novembre 2007, faisant fonction de la Cour Constitutionnelle et siégeant en matière dappréciation de la conformité de la constitution. Nous y reviendrons !    
Tout compte fait, la sérieuse gifle bien méritée revient à labsence de la loi sur les modalités dapplication de lEtat durgence ; car le débat suscité par ce vide juridique a réveillé la Cour Constitutionnelle qui, de son confinement momentané, est venue en intervention forcée, mettre fin à un match dont le glissement du terrain sannonçait plus que dangereux.
Devant ce tableau, il se trouve important dexplorer une piste toute aussi recommandable pour comprendre la motivation de la décision du chef de lEtat: Le salut du peuple.
En effet, Un état durgence est un droit dexception, un ensemble de mesures exceptionnelles qui viennent en réponse à une menace de rupture du fonctionnement régulier des pouvoirs publics.
Dans le cas despèce, une crise sanitaire aux conséquences inimaginables pour le genre humain nécessite la rapidité de reflexe dans les décisions des gouvernants. Cette pandémie traversant plus de deux cent pays dans le monde impose des mesures urgentes et radicales en matière de santé publique. Le covid 19, puis quil faut lappeler par son nom, ne choisit ni riche ni pauvre, ni homme ni femme, ni décideur ni administré, ni constitution ni dogme, ni religion ni philosophie, elle menace tous les projets de développement des peuples et en décime les décideurs
Sa fugace vélocité fait hérisser les cheveux des chercheurs et place les victimes tants directes quindirectes devant une réalité irréfutable: La mort. 
Nous sommes en guerre, dit le Président français M.Macron pour illustrer létat desprit que devraient épouser les populations face à cet invisible ennemi dont les déplacements nont besoin ni de passeport ni de visa. Alors, pourquoi ne pas parler de lEtat de siège parce quen réalité les Etats sont attaqués de telle sorte que la police et larmée se trouvent mobilisées pour défendre la nation en faisant respecter les mesures barrières imposées.  
Cest alors que la responsabilité des dirigeants se  trouve au rendez-vous et leurs interventions attendues de toute urgence afin que survivent les peuples appelés à reconstruire le monde. Cette intervention nest pas sans conséquence sur les libertés fondamentales de ce quelle les réduit au strictement nécessaire, devant ces regards impuissants des défenseurs des droits lhomme, tout en caressant de manière proportionnée la protection  des personnes vulnérables selon quil sagisse de lâge ou de lhandicape, la protection des détenus surtout ceux, auteurs des infractions moins graves ainsi que les personnes laissées au bord de la rue.
LEtat durgence qui se présente en sauveur du peuple donne à celui qui lincarne des mesures exceptionnelles qui nont pas besoin ni du temps pour se réaliser encore moins dune attente dautorisation pour celles soumises à une lourde procédure.      
Ainsi, le temps devenant lennemi du peuple, le salut de ce dernier devient une loi suprême : SALUS POPULI SUPREMA LEX.
Ce principe tiré du droit romain tel que révélé par Cicéron dans de Legibus veut que lintérêt cest à dire la santé ou le bonheur du peuple, soit la loi suprême. Tels furent les cas dans lhistoire romaine, en France avec la fameuse loi du 3 avril 1955 (lutte contre la rébellion en Algérie) et récemment, plusieurs mesures prises dans le cadre de lEtat durgence qui, au risque de donner à létat durgence un caractère banal. 
Notons que chaque état durgence correspond à la nature de la crise ; ce qui nest pas demblée facile à imaginer ni prévoir. 
Sagissant de la R.D.Congo, pour mieux aborder la question, il savère nécessaire de rappeler lesprit du constituant par rapport à la proclamation de létat durgence.
 LE CONSTITUANT DU 18 février 2006 et LETAT ACTUELLE DE LA QUESTION
Pour comprendre lesprit du constituant de 2006, il faudrait remonter à lAccord Global et Inclusif de Sun City ( Afrique du Sud) du 1er Avril 2003  ayant débouché au partage du pouvoir, à tous les niveaux, entre les différents belligérants et la préparation aux élections prévues en 2006.Le peuple congolais a payé au fort prix sa liberté confisquée après lindépendance du pays par une longue dictature renforcée par un présidentialisme à outrance : concentration de tous les pouvoirs entre les mains dune seule personne, le président du Mouvement Populaire de la Révolution et Président de la République.
La difficile gestion de la démocratisation des institutions de la R.D.Congo ainsi que la difficulté dadaptation au changement du régime imposé par le cour des événements nont pas épargné ce pays des cycles de violence. Sun City était donc la solution méritée pour mettre fin à une longue transition entamée le 24 avril 1990. Voilà que naît la nécessité dun cadre juridique contraignant, susceptible de promouvoir les droits fondamentaux et les libertés fondamentales de chaque citoyen, asseoir un Etat de droit et garantir le partage équitable des richesses du pays pour un mieux être collectif. Il sagit aussi de promouvoir un macrocosme politique qui mettrait fin au microcosme clanique.
Ainsi, cette constitution avait lambition dêtre rigide tel que pouvaient en témoigner ses verrous              ( articles 218 ; 219 et 220 évoqués par Me Kayembe Claude dans son ouvrage Verrous et Contrôle constitutionnels en Afrique). 
En effet, depuis 2006, cette constitution a été revisitée trois fois dans certaines de ses dispositions dont la dernière en 2011 augmente les prérogatives personnelles du chef de lEtat. Larticle 85 qui renvoie aux articles 144 et 145 de la constitution a été gardé dans son contexte dorigine, celui qui reconnaît au chef de lEtat le pouvoir de déclarer lEtat durgence et lEtat de siège. En effet, la combinaison de ces pertinents articles nimpose pas au chef de lEtat un cumul, en sa qualité du garant de bon fonctionnement des institutions, il a cette alternative que lui reconnaît larticle 85 de la constitution en ces termes : « Lorsque des circonstances graves menacent, dune manière immédiate, lindépendance ou lintégrité territoriale ou quelles provoquent linterruption du fonctionnement régulier des institutions, le Président de la République proclame létat durgence ou létat de siège après concertation avec le Premier ministre et les présidents des deux chambres ».De ce qui précède , il ressort que seule la concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux chambres reste la seule condition à la proclamation de létat durgence ( Art.85 al2 de la Cst). Il sagit dune concertation qui implique laccord des représentants de ces trois institutions sans quil ny ait besoin de la convocation dun congrès avec toutes ses implications. Cet accord trouve son affirmation dans le contreseing du premier ministre qui apparaît sur lordonnance du chef de lEtat proclamant létat durgence(art.79 de la Cst).   
Il est à relever que la situation actuelle est une crise sanitaire qui a ses particularités qui dépassent la lourdeur administrative encore moins toute autorisation préalable pour la riposte.
Ainsi, la qualité du chef de létat devant une urgence de santé publique lui impose de protéger le fonctionnement régulier des  institutions. A cet effet, pour ce qui est de la R.D.Congo, le caractère dangereux de la propagation du Coronavirus menace la sécurité des populations de telle sorte quen labsence de la loi sur les modalités dapplication de létat durgence, ainsi que la non obligation dune autorisation préalable du congrès rappelé par larrêt sus évoqué de la Cour Suprême de Justice, la constitution à son article 85 donne au chef de lEtat le pouvoir de sauver le peuple. Ainsi le salut du peuple est élevé au rang de loi suprême, celle qui dépasse toutes les autres et ce, dans lintérêt de tous : Salus Populi Suprema Lex ! Telle est la motivation profonde qui mérite dêtre retenue au sujet de la proclamation de lEtat durgence par le Chef de lEtat.
La cour constitutionnelle ayant vidé la question de lautorisation préalable du congrès (article 119 al.2 de la Cst), à travers ses différents arrêts ( celui du 5 novembre 2007, celui du 12/12/2019), vient ainsi confirmer son identité de haute cour par son arrêt du lundi 13 avril 2020, conformément à larticle 145 de la constitution.
Cet arrêt de la cour constitutionnelle vient taire tout débat sur lautorisation préalable du congré et ramène désormais nos regards vers les phases suivantes de la gestion de cette crise et la leçon quil faudra retenir dans la phase post covid19.
CONCLUSION : Regarder lavenir avec des instruments juridiques capables de répondre aux questions cruciales face aux impératifs de développement de la République Démocratique du Congo.
Certes, il a été démontrer la confusion créée par les articles de la constitution relatifs à létat durgence et létat de siège ( articles 85, 119, 144), notions toutes aussi confuses et non élucidées par le constituant congolais; il a été décrié labsence préjudiciable de la loi sur les modalité dapplication de létat durgence et létat de siège. Devant lurgence, limpérieuse nécessité, et surtout la nature de la crise, il était normal que le chef de lEtat prenne une décision motivée par le seul souci de protéger son peule. La riposte au Covid19 dans les conditions que nous offre lunivers juridique actuel a besoin de reflexes rapides, en attendant le vaccin envisagé à partir de juin2021.
Ainsi, lorsque le soleil réapparaîtra et que les libertés fondamentales retrouvées croiseront les efforts des gouvernants, il serait regrettable de ne pas tirer leçon de cette crise et se laisser emporter par les retrouvailles et joies post Covid19. Le sens de responsabilité des dirigeants de nos institutions sera mis à lépreuve notamment dans ladoption dune loi sur les modalités dapplication de létat durgence, la loi sur les essaies cliniques, le renforcement de la surveillance épidémiologique, la formation et remise à niveaux de nos épidémiologistes ainsi que ladoption dautres instruments juridiques capables de répondre aux urgences, face à la lourdeur de ladministration... Gouverner, cest prévoir !