Tribune : Les ennuis judiciaires de PERENCO aux USA : une alerte pour la RD Congo (Moïse Musangana)

Samedi 27 juin 2020 - 15:42
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Spécialiste de la reprise de champs dits « matures » qui a, entretemps étendu son champ d’activités, PERENCO, société franco-britannique et propriété de la famille Perrodo (16ème fortune française en 2013), collectionne des controverses au fur et à mesure de son expansion. Guatemela, Equateur, Pérou, Colombie, Tunisie, RDC, Gabon….partout où elle s’installe, les accusations sont les mêmes. Et l’absence totale de la transparence financière est le plus grand commun dénominateur. Elle est présentement, de même que la banque russe GASPROMBANK, sous les projecteurs des procureurs américains en Floride (District du Sud) pour pots-de-vin en vue d’un traitement préférentiel dans le cadre des Joint-Ventures avec la compagnie nationale pétrolière du Venezuela, PDVSA, sur laquelle pèse en plus les soupçons de blanchiment d’argent. C’est une alerte pour la RDC où elle opère en toute opacité, excellant, du reste, dans les crimes écologiques sous couvert des contrats dont la teneur est secrète.

 
Unique entreprise pétrolière opérationnelle dans cet immense pays d’Afrique centrale qu’est la RDC, Perenco y a repris une concession de l’Américaine Chevron en 2000. Elle extrait entre 23 000 et 28 000 barils par jour de ses champs onshore et offshore situés dans la contrée de Muanda, province du Kongo Central, à l’embouchure du fleuve Congo. Les royalties pétrolières versées à la RDC en 2018 ont été évaluées, au terme de la reddition des comptes de l’exercice 2018 à 165 millions USD. Difficile d’apprécier si ce chiffre est en deçà ou au-dessus du montant qui devait être réellement payé ; la société franco-britannique se révélant une véritable boîte noire. L’expression est des deux ONG françaises, Sherpa et Amis de la Terre qui, en appui aux vitupérations des populations locales et des ONG congolaises, ont engagé présentement une procédure à son encontre devant la justice française pour préjudices environnementaux en RDC. Elles la qualifient également de boîte toxique en RDC. 

Au Congo-Kinshasa, Guatemela, Pérou, Gabon, en Tunisie, Colombie et Equateur…, bref partout où PERENCO s’installe, les accusations sont les mêmes : pratiques peu précautionneuses entraînant pollutions et dégradations environnementales, manque de respect pour les populations locales, répression des voix critiques et absence totale de transparence financière. Boîte noire, elle préfère ne pas dévoiler son chiffre d’affaires ni sa structure de gouvernance. Elle sait jouer de sa structuration opaque, de ses relations haut placées, et de son siège social aux Bahamas pour se dérober aux accusations. Le lien formel ou la nature des flux financiers entre la société mère PERENCO et ses filiales est difficile à appréhender. Et d’après les ONG précitées, il est impossible de mettre en cause sa responsabilité pour des atteintes aux droits humains ou à l’environnement, et encore moins savoir comment l’entreprise s’acquitte de ses obligations fiscales, ni où vont ses profits. La situation serait complexe pour la RDC où la teneur des contrats la liant à ladite société n’est pas connue en dépit d’un décret de 2011 stipulant que tous les contrats miniers et pétroliers doivent être rendus publics. Aussi, en sus du fait que le Congo-Kinshasa ne contrôle pas la production ni l’exportation, se contentant ainsi des déclarations de sa partenaire, il sied de relever que, jusque dans un passé récent, la gestion des affaires pétrolières était extrêmement centralisée et entièrement contrôlée par la Présidence de la République. Est-ce toujours le cas sous Félix Antoine Tshisekedi ? D’où la procédure enclenchée par la justice américaine mettant en cause GAZPROMBANK et PERENCO est une alerte pour le Gouvernement congolais dont le pays devrait s’abstenir d’être le transit de l’argent sale.

La justice américaine aux trousses de PERENCO à travers PDVSA

La justice américaine est vent debout depuis novembre 2018 (Reuters, 04/11/2018) eu égard aux pots-de-vin versés à un haut fonctionnaire de PDVSA par des entreprises étrangères en vue d’un traitement préférentiel dans le cadre des Joint-ventures avec cette dernière, suspectée en plus de blanchiment d’argent. Déposant sous serment devant les procureurs en Floride, l’ancien Directeur financier de PDVSA, Abraham Ortega, parce que c’est de lui qu’il s’agit, avait déclaré avoir reçu à cet effet plusieurs millions de dollars, dont trois d’une compagnie pétrolière française, PERENCO, et deux d’une banque russe, GAZPROMBANK. 

Au départ, les allégations concernaient uniquement le fait que  PERENCO avait  payé entre 2014 et 2015 trois millions USD à PDVSA, dans le but de mettre en place des prêts permettant des transferts d'argent en dehors de ce pays d'Amérique latine. En effet, la société franco-britannique participe à  deux Joint-Ventures avec PDVSA, cette dernière étant la partenaire majoritaire. Bien que ces accords soient en contravention avec les sanctions américaines, il semblerait que le Département américain du Trésor n'ait pas encore engagé des poursuites contre eux. Mais, les  pots-de-vin dont question sont apparus à travers une autre procédure en cours dans le District Sud de Floride, se focalisant sur le rôle de PDVSA dans le blanchiment d'argent détourné de l'État du Venezuela et d'argent du trafic de stupéfiants. Ils ont été versés comme pièces au  dossier. Et il y a lieu de noter que l'opération "Money Flight en cours de la Task Force en charge du Trafic de Drogue Organisé au Département américain de la Justice (OCDEFT), joue un rôle central dans le développement de ce dossi er.

Vraisemblablement, ces pots-de-vin prétendument payés par PERENCO et GAZPROMBANK ont été payés pour permettre au partenaire minoritaire dans les Joint-Ventures avec PDVSA  de récupérer des profits au travers d'un système de prêts. Et de fil en aiguille, PERENCO, en particulier, aurait joué un rôle dans le mouvement de fonds en provenance du Venezuela au travers de crypto-monnaies, en passant par l'Espagne, le Royaume Uni et enfin les Etats-Unis, où les fond ont été utilisés pour acheter des bons du Trésor.

Le fait que ces crimes soient intimement liés aux Etats-Unis, à son sol, et à des produits financiers sur place, rend ce dossier explosif pour les accusés. Et certaines voix de s’élever pour dire qu’il n’est plus tolérable de PERENCO agisse comme par le passé sans que des conséquences s’en suivent. 

Dans cette procédure, les procureurs ont maintenant des témoins directs et des pièces de dossier montrant le rôle de PERENCO. Au-delà de l'implication des cadres actuels, à savoir le Directeur Général Benoit de la Fouchardière et son sherpa Denis Chatelan, il transpire également le nom d'un autre homme-clef du dossier, Jean-Michel Jacoulot. Ancien Directeur Général de la société avant Fouchardiére, à la tête de PERENCO durant des années, il a entretenu des relations avec PDVSA pour le compte de la famille Perrodo. Il a rejoint Trident Energy en 2017. Au travers de ce nouveau véhicule, il est engagé dans une campagne d'acquisition d'actifs en Afrique et en Amérique latine, avec le financement de l'illustre fond d'investissement américain Warburg Pincus.

Quelles incidences pour l’Afrique
La procédure en cours devant la justice américaine aura-t-elle des incidences pour l’Afrique ? Rien n’est moins sûr. Tout dépend des charges qui seront retenues contre les acteurs dans la chaine de responsabilité de la société PERENCO, objet durant des années de plaintes d’abus contre les droits de l'homme et contre I’environnement en RDC. 

D’autre part, l' Afrique pourrait-elle jouer un rôle direct dans ce dossier alors que les procureurs américains enquêtent sur un "pipeline" de blanchiment d'argent, cette fois-ci, entre le Gabon et la France, qui aurait joué un rôle dans le dossier vénézuélien ? Entretemps, selon Africa Confidential, rapportant les méfaits de PERENCO au Gabon, le Président Ali Bongo Ondimba, aurait trouvé un nouveau moyen de pénétrer le marché immobilier à Paris. Et la clé de ce retour dans la cité des lumières serait PERENCO, premier producteur de gaz et de pétrole au Gabon. Dans tous les cas, il y a fort à parier que la procédure en Floride va certainement déboucher sur une avalanche d'informations qui intéresseront aussi bien les journalistes, les dirigeants que la justice en RDC, au G abon, en France,  en Espagne et au Royaume-Uni.