16ème anniversaire de la Constitution : Le Doyen de la Faculté de Droit de l'UNIKIN plaide pour que le 18 février soit proclamé jour férié et chômé 

Vendredi 18 février 2022 - 09:03
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7SUR7.CD

Promulguée le 18 février 2006, la Constitution de la RDC totalise 16 ans d'existence ce vendredi 18 février 2022. La rédaction de 7SUR7.CD a, à cette occasion, interviewé le doyen de la faculté de Droit de l'Université de Kinshasa (UNIKIN), le professeur Jean-Louis Esambo. 

Constitutionnaliste et l'un des rédacteurs de cette Loi fondamentale, le professeur Esambo plaide pour que la date du 18 février soit déclarée jour férié afin de commémorer ce jour qui a donné à la RDC un texte fondamental qui lui a permis de rétablir l'équilibre sociétal et institutionnel, nécessaire à la planification du développement.

Ci-dessous, l'intégralité de l'interview 

7SUR7.CD : Professeur Jean-Louis Esambo, la Constitution de la RDC totalise 16 ans d'existence ce 18 février 2022. En tant que l'un de ses rédacteurs, que vous inspire cette date ?

Jean-Louis Esambo : C'est une date importante. Cette date là a évité à notre pays beaucoup de choses. Il ne faut pas qu'elle passe comme ça inaperçue.  Pour une Constitution qui a amené le pays vers les élections, pour une Constitution qui a permis de changer le visage de notre pays, il est tout de même triste que le pays ne célèbre pas cette date comme une date historique, au besoin, qu'il en fasse une date fériée et chômée. Si aujourd'hui on parle des élections de 2006, 2011 et 2018, si on parle de l'alternance démocratique au sommet de l'Etat, c'est parce qu'il y a eu une Constitution qui a été à la base de ça. 

7SUR7.CD : Quel bilan dressez-vous de la Constitution congolaise 16 ans après ?

Jean-Louis Esambo : La Constitution du 18 février 2006 a rapporté beaucoup dans notre pays. Sans cette Constitution, on aurait pas connu les élections en 2006, non plus en 2011, et tout récemment en 2018. La Constitution a permis à ce que les élections se tiennent au travers de ces 3 cycles électoraux. Souvenez-vous que c'est depuis 1984 qu'avaient été organisées les dernières élections sous le régime du monopartisme. Et donc,  de 1984 à 2006, c'est beaucoup d'années que l'on a pas connu les élections dans notre pays. C'est cette Constitution qui a permis que les élections se tiennent et que le pouvoir soit, cette fois-ci, distribué de manière démocratique. Une deuxième avancée est que cette Constitution a résisté à l'épreuve du temps. En 16 ans, elle n'a connu qu'une seule révision. 

7SUR7.CD : De 2006 à ce jour, l'environnement politique et social de la RDC a considérablement évolué. Pensez-vous qu'il soit opportun aujourd'hui de parler de la révision de certaines dispositions de cette Constitution devenues anachroniques ?

Jean-Louis Esambo : La révision d'une Constitution s'inscrit dans la normalité des choses. Une Constitution est toujours révisable pourvu que la révision respecte la procédure prévue et que l'on sache pourquoi on doit réviser. Notre Constitution a 16 ans d'existence. Et, curieusement, beaucoup de congolais ne la connaissent pas. Pourquoi réviser une constitution qui n'est pas connue. L'effort que nous devons faire est de savoir comment cette Constitution peut-elle entrer dans les mœurs des congolais. Il faut d'abord la vulgariser, la faire connaître aux Congolais moyens.

7SUR7.CD : Vous ne trouvez pas qu'il soit important aujourd'hui de réviser les dispositions en rapport avec l'élection du président de la République ?

Jean-Louis Esambo : Il convient avant tout de savoir pourquoi on a quitté le système de deux tours pour celui d'un seul tour. Et maintenant qu'on a expérimenté le système à un seul tour à deux reprises, qu'est ce que ça nous a donné comme gain ou comme déficit ?. On peut toujours rentrer à deux tours, mais il faudra que l'on sache qu'est ce que le système à un tour a donné comme déficit pour que l'on rentre à deux tours. Comme acteur et observateur de la vie politique de notre pays, j'ai eu à faire une étude sur cette question là avec l'actuel président de la CENI. Les conclusions de cette étude qui a été destinée au mécanisme de suivi de l'accord d'Addis Abeba existent. 

7SUR7.CD : Pensez-vous que la révision constitutionnelle de 2011 a-t-elle été opportune ? 

Jean-Louis Esambo : A mon avis, je n'ai pas souhaité que la Constitution soit révisée de si tôt. Je suis content que depuis 2011, les tentatives de révision n'aient pas abouti. Je suis de ceux qui pensent que la Constitution puisse d'abord être expérimentée. Il n'y a pas une Constitution qui soit parfaite au monde. Il faut maximiser ce qu'elle a de positif et minimiser ce qu'elle a de négatif. Pour moi, la Constitution congolaise a besoin d'être appliquée, connue, plutôt que de la réajuster au gré des vagues et des intentions politiques.

7SUR7.CD : En tant que l'un des rédacteurs de cette Constitution, pourriez-vous nous dire ce qui est de si particulier dans cette Loi fondamentale ?

Jean-Louis Esambo : Cette Constitution est la première pour notre pays à avoir consacré 30% de ses articles sur les doits et libertés fondamentaux. Cette Constitution a aussi le mérite d'avoir assuré un certain équilibre entre les 3 pouvoirs de l'État, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Je ne vous parle pas seulement comme professeur de Droit constitutionel, mais aussi comme artisan de cette Constitution. On peut se féliciter pour notre pays. C'est l'une des meilleures, si pas la meilleure Constitution que notre pays a connu. C'est l'une des meilleures en Afrique. Ça s'enseigne ailleurs. Si nous l'appliquons, nous serons un bel exemple pour les autres. 

7SUR7.CD : La Constitution de 2006, compromis des belligérants ou compromis pour un véritable équilibre politique et sociétal ?

Jean-Louis Esambo : La Constitution de 2006 n'est pas une œuvre des belligérants comme certaines personnes le pensent. C'est une Constitution de compromis entre acteurs politiques et même militaires nationaux, d'une part, mais aussi entre acteurs politiques nationaux et la communauté internationale. Donc, ce n'est pas une Constitution des belligérants même s'ils y ont participé. Deuxièmement, c'est une Constitution d'équilibre entre les institutions nationales, mais aussi entre les institutions nationales et les institutions provinciales. S'il faut la qualifier, c'est une Constitution de compromis et d'équilibre. Le compromis a été trouvé entre les acteurs internes d'abord, mais aussi entre et les acteurs internes et internationaux.

7SUR7.CD : Quelle lecture faites-vous de l'indépendance de la Justice à l'ère du président Felix-Antoine Tshisekedi ?

Jean-Louis Esambo : Ça ne doit pas être un slogan. Ça doit être un état d'esprit qui reflète et traduit le comportement des uns et des autres. Le magistrat est indépendant dans sa mission de dire le Droit. L'indépendance, ce n'est pas le chef de l'État qui la donne. C'est la Constitution qui la donne. Comment les magistrats s'assument-ils par rapport à leur indépendance ? Ce n'est pas une vision du chef de l'État. C'est une obligation constitutionnelle.  

Interview réalisée par Orly-Darel Ngiambukulu