L’exploitation du coltan depuis des lustres dans le Masisi, plus précisément à Rubaya, par la SMB (Société Minière de Bisunzu) est émaillée de grandes violations des droits de l’homme dont sa garde industrielle porte la palme d’or. De dizaines de personnes ont perdu ainsi la vie sous la furie des impassibles vigiles soupçonnés d’être des anciens rebelles du RCD, dont Edouard Mwangachuchu (patron de SMB) fut cadre politique, voire de ses appendices CNDP et M23.
Les corps des trois victimes traînent à la morgue de l’Hôpital général de Goma depuis juin 2019 ; leur communauté exigeant de l’Etat, qui manifesterait un certain laxisme eu égard à la souffrance endurée, que justice soit faite. Un coin de voile sur l’identité des recrues de cette garde industrielle vient d’être levé avec le rappel à Kinshasa et la mise à l’écart temporaire du colonel Van Kasongo Ngoy, numéro 2 de la Police au Nord-Kivu. A sa charge, selon des sources bien informées : le recrutement à partir du Rwanda de centaines de personnes non autrement identifiées commises à la protection de la concession minière de la SMB (PE 4731) et leur dotation en tenues de la Police Nationale.
Par sa lettre n°0939/PNC/CIATGEN/DRH/DPTPERS/2022 du 07 avril 2022, le Commissaire Divisionnaire Principal de la Police Nationale Congolaise (PNC), le Général Dieudonné Amuli Bahigwa désigne le Commissaire supérieur principal Fidèle Makambo Gimba, Commissaire provincial adjoint chargé de l’appui et de la gestion du Nord-Kivu, d’assurer l’intérim du colonel Van Kasongo Ngoy, Commissaire provincial adjoint chargé de la Police administrative du Nord-Kivu. Motif : suite à l’absence momentanée du N°2 rappelé à Kinshasa pour consultation.
Jusqu’à nouvel ordre, le Commissaire supérieur principal Fidèle Makambo Gimba va assurer l’intérim concomitamment avec ses fonctions.
Dans sa lettre, ce qui est normal, le patron de la PNC est resté vague sur les vraies raisons du rappel du colonel Van Kasongo Ngoy à Kinshasa. Mais, des sources bien informées laissent entendre qu’il lui serait reproché, notamment, «le recrutement de centaines de personnes non autrement identifiées à partir du Rwanda qu’il aurait dotées des tenues de la PNC et commis à la garde industrielle de la SMB dans le Masisi contre le paiement de 12 000 USD par mois». Et cela sans document officiel, ni autorisation de la hiérarchie.
Par ces temps d’état de siège où les rebelles du M23 sont sortis de leur tanière pour gesticuler dans tous les sens, attaquant même les positions de l’armée et cherchant à conquérir de nouveaux espaces, alors que le Gouvernement peine, malgré la mutualisation des forces avec l’Ouganda, pour venir à bout des ADF qui sèment la mort et la désolation à Beni et les environs, les accusations qui pèsent sur cet officier sont gravissimes. Son rappel à Kinshasa signifie que des précautions ont été prises pour l’isoler et le mettre à disposition des autorités compétentes pour savoir de quoi retournerait ce forfait et démanteler ainsi le réseau qui se fait du beure sur le dos du pays et de son peuple et alimente l’économie de la guerre qui sous-tend l’instabilité que connaît la partie orientale de la RDC il y a plus de 25 ans. Sûrement que l’instruction de cette affaire va déboucher sur un procès qui pourrait éclairer la lanterne aussi bien des autorités que l’opinion sur les pratiques qui résultent de la situation dramatique que connaît l’Est du pays.
En attendant l’aboutissement de l’enquête en cours, cette affaire aura eu le mérite de lever un coin du voile sur l’identité des éléments de la garde industrielle de la SMB à Rubaya qui traitent sans ménagement les populations de cette contrée converties en exploitants artisanaux des minerais des 3 T et autres depuis la faillite en 1985 de la SOMINKI, devenue SAKIMA (Société Aurifère de Kindu-Maniema). Entre temps avec la guerre de l’Est, dont le RCD était un des principaux antagonistes, la concession de la SAKIMA dans le Masisi de plus trois centaines d’hectares a été amputée de 34 carrés, constituant le PE 4731 attribué en 2000 à la SMB, entreprise appartenant à Edouard Mwangachuchu, jadis un haut cadre du RCD.
Député élu de Masisi, Justin Ndayishemiye (voir journal Le Phare n°…….du…….novembre 2021) note que cet ancien haut cadre du RCD a acquis en 2000 cette concession, partie du patrimoine de SAKIMA, comme butin de guerre. Et contre toute attente, ce PE a été renouvelé, contrairement à la loi, par le Gouvernement en 2006, puis en 2017, et court jusqu’en 2030. Pourtant, le code minier, en son article 279, détermine les milieux ne pouvant faire l’objet des titres miniers, entre autres, les lieux d’habitations, les fermes et les zones d’exploitation agricole. Mais, le contraire est vécu dans le Masisi.
Pour Justin Ndayishemiye, «Edouard Mwangachuchu, ancien sociétaire du RCD, a usé de son influence politique d’alors pour bénéficier d’un PE superposé sur celui de SAKIMA, voire sur celui d’exploitation artisanale dont la population, travers la COOPERAMMA (Coopérative des Artisans Miniers de Masisi), est détentrice». Et d’ajouter : «Depuis qu’il occupe abusivement cette concession, il a recours à la force militaire par le biais des anciens rebelles qu’il habille en tenue de la police et qu’il dote en armes en complicité avec les autorités provinciales de la police». A la police des mines s’ajoutait ainsi une garde industrielle impitoyable vis-à-vis de la population, accusée faussement de voler les minerais dans le périmètre minier de la SMB.
Depuis 2000, soutient le député national, plus de 50 personnes ont été tuées à bout portant et les corps de trois d’entre elles sont gardés depuis juin 2019 à la morgue de l’Hôpital Général de Goma. Et pendant que le colonel Van Kasongo est rappelé à Kinshasa, une délégation de COOPERAMMA remue ciel et terre pour obtenir l’exécution du jugement condamnant Edouard Mwangachuchu dans la mort de ces 3 victimes de la SMB, dont les corps sont toujours à la morgue. Ce jugement a été rendu en son temps par la Cour d’appel de Goma à la suite de l’appel interjeté par la précitée contre le jugement du premier degré.
L’issue de cette affaire est de plus attendues. Elle va confirmer ou infirmer l’implication active des officiers tant de la police et des FARDC, voire des agents secrets, dans l’entretien de l’économie de guerre à l’Est de la RDC qui ravive l’instabilité dans cette partie de la République. Si un châtiment est réservé aux officiers trempés, il relève d’une simple logique que les bénéficiaires de ce forfait lugubre soient également inquiétés. C’est une des raisons pour lesquelles on en finit pas avec cette guerre de l’Est : tout le monde y trouve un intérêt.
Par
Kasereka Paulin