Le Katanga n'aurait pas été la première province à vouloir se scinder du Grand Congo 11 jours seulement après l'indépendance que les soubresauts politiques qui s'y observent passeraient par perte et profit. L'hypothèse d'un forum pour la réconciliation entre katangais, répartis en quatre provinces aux termes de la Constitution telle qu'appliquée depuis 2015, autour de Monseigneur Fulgence Muteba Mugalu, archevêque de Lubumbashi, s'est enfin concrétisée.
Ce n'est pas comme si personne n'avait vu venir cette éventualité. Le premier Gouverneur du Haut-Katanga démembré, Jean-Claude Kazembe Musonda, emporté par la covid-19, en avait été investi héraut jusqu'à se voir éconduire sous les huées par une cohue enragée aux abords de Kashobwe, l'emblématique résidence de campagne de Moïse Katumbi.
Les politiques étant très mal placés pour des bons offices entre politiciens prétendument "ennemis", charge a été subrepticement confiée à une calotte sacrée pour faire diversion. Mais qui a bien pu diviser ces katangais qui se souviennent abruptement qu'ils ont besoin de faire bloc ? Jadis évêque du diocèse de Kasenga, le même Monseigneur Fulgence Muteba n'était-il pas de tous les combats de rue des forces politiques acquises au changement sponsorisées à l'époque par un Moïse Katumbi déterminé à déloger un autre Katangais du palais de la nation à Kinshasa ? Pourquoi le même Fulgence Muteba doit-il passer par le dos de la cuillère en entraînant toute une contrée dans une opération de rabibochage dont tout le monde sait qu'elle a été conçue pour deux leaders politiques que personne d'autre n'avait poussé à se comporter en chiens de faïence ? Pourquoi ce repli identitaire à peine deux semaines après la table ronde organisée par le Président de la République entre les katangais et les kasaïens qui, eux, avaient effectivement des choses à se reprocher ?
Que plusieurs têtes couronnées, professeurs d'universités et intellectuels d'origine katangaise, ayant assumé des responsabilités à l'échelle nationale, se ravalent à une cabale régionaliste dans l'espoir de récupérer le strapontin présidentiel perdu est tout ce qu'il y a de pathétique. Au moment où le pays a grandement besoin d'unité nationale face aux risques de plus en plus évidents de balkanisation et de scissiparité, cette messe noire entre oligarques d'une ancienne province aux atavismes sécessionnistes décriés devient à n'en point douter un danger pour la survie de la nation. Certes l'on avancera que les grands ensembles sont constitués de petits et sous groupes.
Néanmoins, la conjoncture politicienne qui sous-tend cette démarche est pour le moins questionnable. À première vue, tout porte à croire que la motivation, le but et la téléologie des metteurs en scène de ce pandemonium n'ont rien à voir avec le renforcement de la cohésion nationale.
Faut-il rappeler que le Katanga, grand ou petit, n'existe plus depuis l'entrée en vigueur du démembrement constitutionnel des 11 anciennes provinces en 26 nouvelles provinces ?
Il va sans dire que ceux qui se cachent derrière l'appellation « Grand katanga » ne sont en réalité qu'à la recherche fébrile d'un tremplin pour se projeter à la conquête du fauteuil présidentiel que cette région a pourtant monopolisé pendant près de 22 ans, avec deux chefs d'État successifs sans que d'autres congolais n'y voient une velléité hégémoniste.
D'où vient hélas cette propension à être pressé de ramener la présidence de la République au Katanga, trois ans seulement après le passage de flambeau à un ressortissant de l'espace kasaïen; espace qui n'a jamais exercé le pouvoir suprême depuis l'indépendance ? Est-ce plaider en faveur de l'unité du pays que de ne pas supporter voir d'autres compatriotes présider aux destinées de notre patrimoine commun ?
Plusieurs congolais qui étaient satisfaits que Joseph Kabila ait réservé une fin de non recevoir à une troisième succession katango-katangaise au nom du nationalisme doivent être déçus de le voir souscrire à la démarche régionaliste en cours à Lubumbashi.
Qui peut convaincre que l'unité de l'espace katangais est mis à mal alors que les balubakat, les tshokwe, les ruund, les bayeke et autres bembe filent le parfait amour sur la terre de leurs ancêtres ? En effet, l'on ne devrait parler réconciliation que si et seulement si les populations qui composent cet espace de 4 provinces démembrées, anciennement appelé Katanga, ne vivaient pas en paix.
Et pourtant, il ne nous revient pas que les bemba ne s’entendraient pas avec les hemba, ou que les sangas s’entretueraient avec les ruund, etc. Donc, sur le plan sociologique, la messe célébrée par Monseigneur Fulgence Muteba est totalement superfétatoire.
A quel niveau se situerait alors le mal ? Simplement au niveau des hommes politiques en quête de positionnement. C'est l'unique vérité. Et ces hommes politiques ne sont autres que ceux qui, hier, étaient derrière Joseph Kabila, d'une part, et ceux qui jusqu’à ce jour sont derrière Moïse Katumbi, d'autre part.
Le destin a jusqu'ici préservé l'unité nationale en répartissant l'exercice du pouvoir suprême entre les quatre aires linguistiques du pays. C'est une erreur fatale pour certains swahiliphones que de se réjouir béatement de la conjuration de Lubumbashi en caressant le rêve de voir un muswahili récupérer le pouvoir des mains d'un kasaïen.
Il n'y a qu'à imaginer que les évêques du Kongo Central, du Grand Bandundu, du Grand Équateur, de la Grande orientale, du Grand Kivu ou du Grand Kasaï se mettent à imiter Monseigneur Fulgence Muteba, pour réaliser l'absurdité des assises de Lubumbashi qui risquent, à ce rythme, de devenir un antécédent fâcheux d'une chienlit annoncée.
Le diable logeant dans les détails, que quelqu'un à Lubumbashi vienne répondre aux interrogations ci-après :
1. Pourquoi n'organiser cette rencontre que maintenant, à une année des élections, alors que feu Baba wa Katanga Kyungu wa Kumwanza avait en vain réclamé ce forum en 2015 pour notamment empêcher justement le démembrement du Grand Katanga ?
2. Pendant 18 ans, la plupart de katangais, ou ceux qui se réclament tels, ont été derrière Joseph kabila. Pourquoi ce front commun n'avait-il pas profité aux populations katangaises qui continuent à croupir dans la misère ?
3. Pourquoi l'archevêque de lubumbashi ne se joindrait-il pas à ses collègues de l'est de la RDC pour une messe de réconciliation des filles et fils de cette partie du pays où l'on compte des morts chaque jour ?
4. Pourquoi certains katangais au pouvoir hier et en fonction actuellement sont-ils prêts à composer avec Moïse Katumbi alors qu'ils étaient les premiers à le taxer d'apatride ? Qu'est ce qui a changé dans l'entre temps ?
En conclusion, aucune initiative partisane ne saurait contribuer au rayonnement d'une contrée aux dépens des autres. La RDC est une entité ontologique dont il faille avant tout promouvoir l'osmose. Le katanga minier d'aujourd'hui a été rentabilisé par l'ivoire, le caoutchouc, le coton et l'huile du domaine de la couronne (Maïndombe).
Les ressources minières étant par définition tarissables, nos compatriotes katangais doivent se réserver le droit d'être fiers de bénéficier de l'électricité du Grand Inga, ou demain du pétrole de la cuvette centrale et du Graben Albertine, pourquoi pas des tourbières ou de la faune et flore de la forêt équatoriale. Encore qu'avec les mariages mixtes, la tendance est plutôt à la mixité des origines provinciales qui doivent demeurer marginales et contingentes sous la bannière du sursaut patriotique. Unis, nous sommes plus forts.
Divisés, nous n'aurons aucun avenir. Nos efforts et nos luttes en faveur de l’unité doivent davantage concerner le Congo dans son entièreté que nourrir des sinistres envies tribales et régionalistes au nom de la boulimie du pouvoir. Que les brebis égarées reviennent rapidement à la bergerie Congo pour le bonheur des générations futures auxquelles nous nous devons de léguer le même don béni dont nous avons gracieusement hérité des aïeux.
Tribune de Jean-Thierry Monsenepwo, analyste politique