Une coalition de mouvements citoyens et ONG a demandé à plusieurs reprises au Premier ministre de retirer du géant des matières premières Trafigura un contrat de cobalt artisanal controversé mais lucratif, affirmant que l’entreprise « ne respecte pas » les exigences strictes de son contrat avec le gouvernement congolais.
Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde envoyée en juin, le groupe de 33 organisations de la société civile a exigé que l’accord entre Trafigura et Entreprise Générale du Cobalt (EGC) soit annulé, en raison d’allégations selon lesquelles l’accord aurait enfreint les lois visant à empêcher la corruption.
Dans une seconde lettre, publiée la semaine dernière, le groupe a affirmé que Trafigura avait enfreint les principes clés des normes d’approvisionnement responsable et du guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour les chaînes d’approvisionnement responsables qui sous-tend l’accord.
« Sur trois chefs d’accusation – corruption, complicité de crimes de guerre et non-paiement des taxes gouvernementales – nous craignons que la preuve suggère que Trafigura ait peut-être déjà enfreint la Norme. Pour ces raisons, l’accord EGC devrait être déchiré, » a écrit le groupe.
Selon les termes de l’accord, signé en octobre 2020, Trafigura commercialisera 50 % de tout le cobalt artisanal produit dans le pays, estimé à 10 % de tout le cobalt de la RDC. Mais dans leur deuxième lettre au Premier ministre, les mouvements citoyens et ONG ont affirmé que les antécédents de Trafigura montrent qu’elle ne se conformera pas aux exigences stipulées dans les normes d’approvisionnement responsable, publiées en mars 2021.
« En tant que partenaire principal de l’EGC, ayant accès à 50 % du cobalt artisanal extrait à travers le pays, nous nous attendrions à ce que Trafigura démontre un historique de conformité solide à chacun de ces critères. Mais comme il est démontré ci-dessous, Trafigura a été accusée à maintes reprises de ne pas être à la hauteur des exigences les plus élémentaires, » a expliqué le groupe dans sa lettre.
Le groupe a en outre affirmé que Trafigura est accusée d’avoir enfreint l’article 11 de l’annexe II du guide de l’OCDE qui stipule : « Nous n’offrirons, ni promettrons ni accorderons des pots de vin et nous résisterons aux sollicitations de pots de vin. »
Parmi les exemples mentionnés dans la lettre, le groupe a cité les allégations de corruption auxquelles Trafigura est confrontée en Jamaïque, où une enquête est en cours sur des allégations selon lesquelles Trafigura aurait versé des pots-de-vin totalisant 31 millions de dollars au Parti national du peuple.
Le groupe a également fait référence à des allégations, apparues pour la première fois dans un rapport de Global Witness en 2005, selon lesquelles Trafigura aurait versé des pots-de-vin de 472 millions de dollars à Denis Gokana, le chef de la compagnie pétrolière publique du Congo-Brazzaville.
« Avant la signature de l’accord EGC, il y avait déjà des doutes évidents quant à l’engagement de Trafigura à lutter contre la corruption, comme stipulé à l’article 11 de l’annexe II du Guide de l’OCDE. Par conséquent, nous sommes d’avis qu’il y avait, et qu’il reste, des motifs raisonnables de disqualifier l’entreprise en vertu de la Norme d’approvisionnement responsable de l’EGC, » a soulevé le groupe dans sa lettre.
Le groupe a également souligné des allégations selon lesquelles Trafigura avait été complice de crimes de guerre comme raison de la disqualifier de l’EGC.
« Si les allégations de corruption n’étaient pas suffisantes pour disqualifier Trafigura de l’accord EGC, il y a aussi des questions sur l’engagement de l’entreprise à respecter un autre article du Guide de l’OCDE » ajoute le groupe. Surtout, il souligne l’article 1 v) de l’annexe II du guide, qui stipule : « Lors de l’approvisionnement dans des zones de conflit ou à haut risque ou si nous opérons dans ces zones, nous ne tolérerons, ni profiterons, contribuerons, assisterons ou faciliterons en aucune manière la perpétration par les crimes de guerre, ou autres violations flagrantes du droit humanitaire international, les crimes contre l’humanité ou le génocide. »
Le groupe a cité des informations selon lesquelles Trafigura a continué à vendre du pétrole russe après que le président Vladimir Poutine a lancé son invasion de l’Ukraine, et ce « aux niveaux d’avant-guerre, tandis que ses concurrents réduisaient leurs livraisons ». La lettre fait également référence aux affirmations d’Oleg Ustenko, conseiller économique en chef du président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a déclaré : « Si vous décidez de donner la priorité à vos actionnaires et à l’industrie des combustibles fossiles en continuant à faire le commerce de carburant russe, vous serez complice des crimes de guerre commis en Ukraine par les forces de Poutine. »
« Trafigura a maintenant accepté de cesser l’achat du pétrole de la société d’État russe Rosneft. Cependant, elle ne l’a fait qu’après une pression politique et médiatique considérable soulevant des inquiétudes raisonnables quant à l’engagement de Trafigura à éviter de tirer profit des crimes de guerre. En tant que tel, nous nous demandons si l’on peut faire confiance à l’entreprise pour respecter ce principe essentiel du Guide de l’OCDE, » a affirmé le groupe dans sa lettre.
Le groupe a également fait part de ses inquiétudes quant au fait que Trafigura a des antécédents de non-paiement de ses impôts, une obligation selon le guide de l’OCDE, en particulier l’article 13 de l’annexe II, qui stipule : « Nous ferons en sorte que soient payés aux gouvernements tous les droits, taxes et redevances au titre de l’extraction, du commerce, du traitement, du transport et de l’exportation de minerais provenant de zones de conflit ou à haut risqué. »
La lettre a indiqué l’exemple du Nigeria dont le gouvernement affirme que Trafigura doit des impôts pour la manutention de 12,5 millions de tonnes métriques de pétrole brut. Selon le service fédéral de perception des impôts d’Abuja, le négociant en matières premières n’a pas fait de déclaration fiscale.
Dans la conclusion de sa lettre, le groupe a déclaré : « Lors du lancement de l’EGC en 2019, l’organisation a été saluée comme la solution à des années d’exploitation minière artisanale dangereuse qui n’a servi qu’à enrichir des conglomérats multinationaux sans scrupules et à appauvrir les Congolais ordinaires. Nous craignons cependant qu’en choisissant Trafigura comme partenaire commercial, l’EGC ne résolve aucun de ces problèmes.
« Cette lettre a montré qu’il existe de nombreuses preuves suggérant que Trafigura n’est pas en mesure de se conformer aux exigences stipulées dans la Norme d’approvisionnement responsable de l’EGC. En tant que tel, il est maintenant temps de résilier l’accord et de repartir à zéro pour le bien de l’exploitation minière artisanale en RDC et pour le bien du peuple de la RDC. »
CP
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