Tribune : Bien longtemps  avant le procès Mwangachuchu, le PE 4731 était en position de déchéance

Lundi 19 juin 2023 - 17:39
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Où en est-on avec le procès Edouard Mwangachuchu plus de trois mois après son arrestation ? Les audiences se succèdentdevant la Haute cour militaire sans toutefois qu’une lueur,au regard des griefs gravissimes à charge du prévenu, ne s’aperçoive dans le firmament quant à son issue. Ceci au point que ce dernier, ses avocats et ses parents trouvent prétexte pour soutenir sur certaines plateformes que la procédure en cours viserait à déchoir l’entreprise SMB SARL (Société Minière de Bisunzu) de son titre sur le PE 4731, dans le Masisi. Pourtant, les conditions d’acquisition de ce PE en marge des lois du pays et d’exploitation dans ce site, sur fond de violations graves des droits humains et de non-respect du Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence,militaient dès le départ, et très longtemps avant ce procès, pour sa déchéance. Non sans compter ce rajoute la réputation qu’il revêt présentement en tant que repaire des anciens rebelles du RCD, CNDP, M23, voire d’autres miliciens déguisés en éléments de la Police nationale, et decaches d’armes.

La Haute cour militaire poursuit ce mardi 20 juin l’instruction de l’affaire Mwangachuchu. Encore une fois, les anciens et nouveaux responsables de la police dans le Nord-Kivu, notamment le commissaire divisionnaire Vital Awashango(2013-2017), le commissaire divisionnaire adjoint Placide Nyembo (2017-2019), le commissaire divisionnaire François Xavier Aba Van (de 2020 à ce jour), ainsi que le commissaire supérieur principal Van Kasongo (relevé de ses fonctions en avril 2022 pour le recrutement des Rwandais), seront devant la barre. L’instance veut creuser davantage dans les dossiers de ces renseignants pour établir l’implication personnelle de tout un chacun, ainsi que la responsabilité pénale. 

En effet, lors de leur comparution, ces officiers de la police se sont non seulement contredits, mais se sont aussi révélésincapables de présenter une seule version des faits devantrefléter la gestion transparente des hommes, des armes et munitions au sein de SMB SARL. Excédé par l’attitude de ces responsables, qui ont versé dans la compromission et dont les intérêts ont pris le pas sur la mission leur confiée par l’Etat, le colonel Hyppolite Ndaka, ministère public dans cette cause, a carrément demandé des poursuites à leur encontre.

Et du fil en aiguille, la question sur le propriétaire du PE 4731, réputé repaire des anciens rebelles du RCD, CNDP, M23, ainsi que d’autres miliciens déguisés en éléments de la Police nationale dont ils revêtissent l’uniforme, est survenue au cours de la dernière audience. A cet effet, la Haute cour militaire a relevé que des PV d’audition du prévenu renseignent qu’il avait reconnu être le propriétaire de SMB SARL. Cette affirmation a été rejetée aussitôt par l’intéressé, déclarant que certains propos contenus dans lesdits PV n’émanent pas de lui. Il a été contraint, sous menace d’arme, de les signer à la Demiap.

A l’en croire, la société ne lui appartient plus. Tout a changé. La concession exploitée par SMB SARL est couverte par un PE qui a été transformé. Il suffit de se renseigner auprès du CAMI (Cadastre Minier) pour s’en rendre compte. Paradoxalement, ce service avait contribué activement au dol.

D’autre part, ses avocats ont affirmé que leur client a fait des démarches régulières pour la cession du PE dont il disposait. Ils ont promis d’en produire les preuves à la prochaine audience, donc ce mardi 20 juin. Aux statuts de 2014 exhibés par la cour faisant de leur client associé, ils ont opposé ceux déposés le 1eroctobre 2018 au Greffe du Tribunal de commerce de Goma à travers lesquels ses enfants sont les seuls actionnaires. 

Nul doute. Mwangachuchu joue à la diversion devant la Haute cour militaire. A la limite, il la tourne en bourrique. Il pense ainsi se tirer d’affaires vu qu’il n’aurait aucun lien avec son ancienne société. Et ses enfants ne pouvant venir en RDC pour répondre de leurs responsabilités, l’affaire serait de la sorte renvoyée aux calendes grecques. Toutefois, cette société a un directeur général statutaire en la personne de Ben Mwangachuchu, un citoyen américain, qui se trouve être le frère cadet du vrai propriétaire, Edouard Mwangachuchu. Il s’active sur plusieurs plateformes pour alléguer des faits invraisemblables, alors qu’il devait se retrouver devant la barre, au vu des responsabilités qu’il assume dans la société, pour éclairer la cour. Il ne serait donc pas un renseignant de trop.

Pour mémoire, SMB SARL, au départ un comptoir d’achat des minerais des 3 T, essentiellement le coltan, s’appelait initialement (1999) MHS (Mwangachuchu Hizi Susman). Le«S » est l’initial du nom de l’associé d’Edouard Mwangachuchu, Robert Susman, un citoyen américain qui a œuvré au Nord-Kivu dans «l’humanitaire» comme médecin pendant la rébellion du RCD à l’Est du pays. Par la suite, elle est devenue MHI (Mwangachuchu Hizi International). Et enfin, elle s’est muée en SMB SARL, dont la majorité des actionnaires sont plus tard ses enfants. Il s’en est suivi, à la suite de la plainte de son associé, la condamnation d’Edouard Mwangachuchu par la justice américaine pour escroquerie. Et dans la foulée de cette sentence, il a procédé à la modification des statuts pour se déposséder.  

SMB SARL en position effective de déchéance

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L’on se doit de faire la part des choses entre la position effective de la déchéance du PE 4731 et le procès en cours dans l’affaire Mwangachuchu. Le cours du procès actuel, de par les révélations qui en résultent, ne fait que confirmer les allégations des populations locales il y a belle lurette, dénonçant le PE 4731 comme une forteresse des anciens rebelles du RCD, CNDP, M23, voire d’autres miliciens déguisés en éléments de la Police nationale. Et par-delà un repaire de caches d’armes. Ce qui en rajoute à la problématique.

a. De l’acquisition de la concession minière

Contrairement aux lois régissant le secteur minier en RDC, SMB SARL s’est adjugée le PE 4731, une quotité minière en plein PE 76 de SAKIMA SA (Société Aurifère du Kivu et de Maniema).Le PE de cette entreprise publique tire son origine de la concession C57 de l’ancienne SOMINKI. Lors de la mise en conformité de ses concessions avec le nouveau Code Minier(CM), le C57 fut divisé en deux PE, l’actuel PE 76 (360 carrés) dans le Masisi (Nord-Kivu) et le PE 2598 à Kalehe (Sud-Kivu).En atteste le Certificat d’Exploitation N°CAMI/CE/1122/2005 ci-dessous lui délivré le 10 juin 2005 avec une superficie de 360 carrés et remis en cause par celui N°CAMI/CE/1322/2005 lui attribué le 18 mai 2022 avec 324 carrés comme superficie. C’est la différence, soit 36 carrés, qui revient anarchiquement à SMB SARL.

En 2001, Edouard Mwangachuchu Hizi, cadre du RCD qui occupe l’Est de la RDC de 1998 à 2003, s’est vu ainsi octroyerune portion du PE 76, devenue le PE 4731 (36 carrés) à la suite des Accords de Sun City au motif de régler un différend politique. Et malicieusement, il va s’investir pour obtenir des Arrêtés ministériels afin de tenter de légitimer ses droits de propriété. C’est là que repose tout le problème de droit.

En effet, la décision d’amputer une portion de la concession de SAKIMA SA pour l’octroyer ensuite à SMB SARL n’a suivi ni la voie administrative, ni la voie judiciaire, mais plutôt une voie exceptionnelle prévue par aucun texte règlementaire. Les prescrits des articles 32 et 33 du Règlement minier (RM) n’ont pas été respectés. Le requérant ainsi que le CAMI (Cadastre minier) en ont fait fi avec comme conséquence la superposition du titre du PE 4731 attribué à SMB SARL, postérieur à celui de SAKIMA SA, le PE 76. Vraisemblablement, l’article 33 bis du RM semble n’avoir pas été aussi respecté. C’est à se demander donc si l’accès à l’exploitation du gisement a été assorti du versement d’un pas de porte, même alors, ceci serait incompatible du fait de l’existence d’un titre antérieur non déchu.

Pis encore, le RCD a violé lui-même ses propres textes en tant qu’Autorité ayant administré de fait le Nord-Kivu. Ses Arrêtés controversés N°033/RCD/CAB/DTME/2000 du 12 janvier 2001 et N°004/RCD/CAB/DTME/2001 du 11 mai 2001, portant respectivement octroi d’un PR et d’un PE à SMB SARL, ont été pris en violation de l’article 4 de l’Arrêté N°059/RCD/DTME/2000 du 05 décembre portant attribution de l’Autorisation personnelle de prospection. Cet article dispose que «la prospection est interdite à l’intérieur des zones couvertes par des titres miniers et des parcs nationaux». 

Par ailleurs, sans cession formelle par SAKIMA SA d’une partie de son patrimoine ou un quelconque acte de vente y relatif, la décision de mise en conformité d’office du PE n° 001/DTME/2001 en PE n°4731 au nom de Mwangachuchu HiziEdouard évoqué dans le Certificat d’Exploitation  N°CAMI/2430/2006 n’est pas moins un dol et viole l’esprit et la lettre des articles 47, alinéa 1er, 51, alinéa 2, et 339 du CM (Loi n°007 du 11 juillet 2002) ainsi qu’aux dispositions des articles 583 (alinéas 2 et 3) et 596 du RM (Décret n°038/2003 du 26 mars 2003).

b. Des obligations des titulaires des droits miniers de carrières 

L’article 196 du CM et bien d’autres prescrivent des obligations qui, faute de les remplir par les titulaires des droits miniers, entraîne la déchéance de leurs titres. C’est notamment le respect de ses engagements vis-à-vis des obligations sociales telles que repris dans le Cahier des charges et la responsabilité du fait de l’occupation du sol.  

Il s’avère cependant qu’après vingt-deux ans d’exploitation du PE 4731 et exportation des minerais pour plusieurs millions de dollars américains, SMB SARL n’a jamais signé le «Cahier des charges des responsabilités sociétales», entendu, aux termes du CM, comme «un ensemble d’engagements pris par l’entreprise titulaire des titres miniers pour la réalisation des infrastructures socio-économiques et services sociaux de base au profit des communautés impactées par son projet minier». Plusieurs faits l’attestent, à savoir l’inexistence des études et enquêtes démographiques et socio-économiques sur les personnes à déplacer, le défaut de l’étude d’impact environnemental et social et le manque des preuves de consultations et de sensibilisation des populations sur le projet minier de SMB SARL. Ce qui lui fait tomber sous le coup des articles 286 à 291 du CM pour défaut de «Cahier des charges des responsabilités sociétales» plus de vingt ans après le début de ses activités. Et il va de soi que les populations affectées par ses activités minières n’ont jamais été dédommagées. 

Dans ce cas, il n’est donc pas surprenant qu’aucune école, aucune route, aucun hôpital, voire un dispensaire, bref rien n’a été construit en faveur des communautés alors que de centaines de tonnes de minerais évalués à des centaines de millions USD sont sortis des terres du Masisi pendant plus de 20 ans.

c. Du respect du Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence

L’exploitation minière peut être un moteur important de la croissance inclusive, emplois et compétences, mais celle-ci, ainsi que le commerce de minerais qui en résultent, peuvent être associés à des violations sérieuses des Droits de l’Homme, au financement des conflits et du terrorisme, au blanchiment d’argent et à la corruption. De ce fait, le devoir de diligence est perçu comme un outil efficace permettant aux entreprises d’identifier des risques afin de prévenir leur survenance et/ou d’atténuer leur impact.

En marge de cette philosophie, SMB SARL se distingue plutôt par une politique délibérée aux antipodes des prescrits du«Guide de l’OCDE». Elle est championne en violation des droits humains dans sa «concession» et en dehors de celle-ci en excellant par des actes de meurtres, tortures, extorsions et autres traitements inhumains et dégradants infligés aux populations locales par sa garde industrielle. Point n’est besoin de rappeler que celle-ci compte, entre autres, des éléments irréguliers sous couvert de la Police nationale, soupçonnés d’être des anciens du RCD, CNDP, voire du M23 et porteurs de bulletins de service de la Police nationale sans indication des unités de provenance ou des numéros matricules. Ce qui a coûté son poste au Colonel Van Kasongo, Commandant second de la Police provinciale du Nord-Kivu, rappelé depuis avril 2022 à Kinshasa et présentement renseignant dans l’affaire Mwangachchu.

Sans sépultures, trois corps des victimes de SMB SARL sont gardés depuis juin 2019 à l’Hôpital général de référence de Goma ; les familles et les communautés réclamant que justice soit faite. Des actions en justice ont été intentées à Goma comme à Kinshasa contre cette société, mais aucun jugement n’a été exécuté. C’est ici que la comparution de M. Ben Mwangachuchu, directeur général statutaire de SMB SARL, s’impose.

Par ailleurs, contrairement au Guide de l’OCDE, SMB SARL réceptionne des minerais des creuseurs et les exporte sans lesdésintéresser au préalable. Ceux-ci restent ainsi impayés plusieurs mois, voire des années, devenant ainsi incapables de subvenir à leurs besoins élémentaires et ceux de leurs familles. La société d’Edouard Mwangachuchu reconnaît, du reste, le solde de l’ordre de 4 675 317, 24 USD dû aux creuseurs dont elle a pris l’engagement d’éponger. Comment expliquer cette situation alors que les minerais reçus ont été exportés et réceptionnés par des consommateurs finaux bien identifiés ?C’est aussi l’une des causes majeures de la tension entre les creuseurs, donc les communautés locales outrées par ce traitement, et SMB SARL.

De ce qui précède, il appert, et ce de manière non équivoque, que SMB SARL est plus qu’effectivement en position de déchéance.  Aucun des prescrits des textes règlementaires sus évoqués n’ont ou ne sont pas respectés.  Son exploitation est caractérisée par le défaut d’un «Cahier des charges des responsabilités sociétales», d’une étude d’impact environnementale et du non-respect du Guide de l’OCDE. Non sans compter l’insécurité persistante à Rubaya, alimentée par la présence des infiltrés sous couvert de la Police nationale. Tous ces faits sont liés au caractère irrégulier des Arrêtés en sa faveur.

                                                                                                                                     Paul Kasereka Paluku