Tshuapa : Enclavées dans les blocs pétroliers 4 et 4b, les communautés locales craignent de perdre leurs terres et leur biodiversité en cas d’exploitation pétrolière (Grand reportage)

Samedi 22 juillet 2023 - 09:09
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L’appel d’offres pour l’octroi des 27 blocs pétroliers, pratiquement sur l’ensemble du pays, suscite déjà des réactions au sein des communautés locales. A Befale, l’un des territoires de la province de la Tshuapa, le processus lancé par le gouvernement le 28 juillet de l’an dernier ne rencontre pas l’assentiment du peuple.

Avec ses 16 797 km2, ce territoire qui est enclavé en pleine cuvette centrale est touché par les blocs 4 et 4b. Il est également riche en biodiversité : des cours d’eau qui alimentent le fleuve Congo, la forêt, des tourbières et même un parc de 3 625 km2, la réserve de faune de Lomako-Yokokala.

Dépendant exclusivement de l’agriculture, de la pêche et de la chasse, ces communautés ont la peur au ventre quand on leur parle de l’exploitation pétrolière dont le processus de l’attribution des blocs est en cours à Kinshasa. 

« C’est à travers des gens que nous avons appris que le processus d’exploitation du pétrole sur nos terres a commencé à Kinshasa.  Aucun émissaire du gouvernement est déjà venu nous informer que les terres qui nous ont vus naître seront bientôt cédées aux sociétés pétrolières. Sachant que nous vivons principalement de la pêche, de l’agriculture et de l’élevage, serons-nous encore en mesure de pratiquer ces activités au cas où nos terres devenaient un champ d’exploitation pétrolière ? », s’est interrogé le chef du groupement de Baringa, Longele Eke Adolph, dans une interview accordée à 7SUR7.CD et à d’autres médias de passage dans cette partie du pays.

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Pour ce chef traditionnel dont son terroir est submergé dans le bloc 4, la population a besoin du développement mais pas à n’importe quel prix.

« La population que je représente n’est pas prête à quitter ses terres au profit des sociétés pétrolières. Que le gouvernement nous amène plutôt des sociétés agricoles et de pêche car nous avons faim. Certes, nous voulons le développement mais pas en abandonnant nos terres, pas en cautionnant la pollution de nos eaux. Nous sommes totalement dépendants de nos eaux, de nos rivières. Moi et la population nous sommes prêts à les défendre jusqu’au sacrifice suprême », a-t-il fulminé.

A presque 100 km de Baringa, il y a le groupement de Lisoko qui est à quelques encablures de la réserve de faune de Lomako-Yokokala. Là aussi, le peuple tient mordicus à la protection de ses terres, forêt et faune.

« Si vraiment notre pays est une démocratie, le peuple doit avoir un mot à dire. Ce projet d’exploitation pétrolière ne doit pas avoir lieu ici. Et si le gouvernement voudra à tout prix s’imposer, nous les communautés locales nous nous prendrons en charge. Déjà nous avons pas mal de problèmes avec les sociétés forestières, donc il faudra que les sociétés pétrolières viennent en rajouter ? Si le gouvernement tient sincèrement à notre développement, qu’il trouve d’autres moyens et pas celui de l’exploitation du pétrole car nous avons déjà cédé une partie de notre forêt pour la conservation de la faune », a dit Gauthier Bolenge, animateur communautaire et membre de la famille régnante dans ce village de 4044 habitants.

Ce son de cloche des communautés locales de la cuvette centrale conforte la position d’une frange de la société civile opposée à l’appel d’offres du gouvernement. Pour Greenpeace Afrique, le gouvernement doit écouter la voix du peuple qui tient à la protection de ses ressources naturelles.

« C’est curieux de voir que les communautés ont une autre façon de voir le développement. Visiblement elles comprennent mieux qu’est-ce que le développement durable car elles tiennent mordicus à protéger leurs terres, rivières et forêts. Je crois qu’elles sont à soutenir et le gouvernement devrait normalement les appuyer dans cette façon de gérer leurs ressources naturelles. D’où, le gouvernement devrait informer les communautés sur ce qui est en train d’être préparé à Kinshasa afin qu’elles aient un mot à dire », a commenté Patient Muamba, responsable de la campagne forêt à Greenpeace Afrique.

Et de poursuivre : « La RDC n’a pas commencé à exploiter ses ressources naturelles aujourd’hui. Si c’est un problème de développement, avec toutes les ressources que nous exploitons depuis plusieurs années, nous serions déjà développés. (…) Si à Muanda le développement tant attendu n’est pas arrivé, je ne crois pas qu’il arrivera dans la forêt équatoriale. Nous avons donc intérêt à préserver cette biodiversité pour les générations futures ».

Une autre frange de la société civile, un peu modérée sur la question, pense que la gouvernance actuelle du pays ne rassure pas. Le coordonnateur de l’Asbl Groupe d’action pour sauver l’homme et son environnement (GASHE) propose que la gestion du pays soit d’abord assainie avant qu’on procède à l’exploitation du pétrole, uniquement dans les zones où il n’y a pas la concentration de la biodiversité.

« Il y a une autre inquiétude qui est la gouvernance. Déjà le pays exploite plusieurs ressources naturelles mais la population n’en bénéficie pas. Seuls quelques individus s’enrichissent. Qu’est-ce qui garantit que les recettes issues de l’exploitation pétrolière vont profiter équitablement à la population ? Cette inquiétude nous rend perplexe même en ce qui concerne les blocs qui ne chevauchent pas les zones riches en biodiversité ou les aires protégées », a indiqué Julien Mate, interrogé à Mbandaka.

Pour sa part, le gouvernement rassure qu’il veillera à la protection de la biodiversité, conformément à ses engagements internationaux.

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« S’il faut aborder la question dans sa globalité, je dirai que les gens ont des appréhensions par rapport à un futur. Dans certaines aires protégées, les gens oublient qu’il y a des groupes armés qui ont fait beaucoup de dégâts. Est-ce qu’on est en droit de parler de la biodiversité simplement si c’était par l’action de l’Etat? Je suis un peu circonspect de voir que la seule inquiétude de ceux qui s’opposent à ce projet c’est par rapport à un Etat responsable qui ne s’est pas dédié de ses engagements internationaux, un Etat qualifié de pays solution, un Etat qui envisage le développement de sa population », a déclaré Alain Mutombo, président de la commission de l’appel d’offres.

Pour celui qui est en même temps conseiller juridique du ministre des Hydrocarbures, s’il y a des pays qui exploitent actuellement le pétrole dans les zones sensibles sans causer des dégâts sur l’environnement, la République démocratique du Congo y arrivera également.

« Quand nous parlons d’une offre technique que les entreprises doivent proposer, nous pensons à la technologie. Si la Norvège continue d’exploiter dans la mer du Nord sans trop de dégâts, c’est grâce à la technologie. Il y aura des exigences technologiques qui seront dans les contrats de partage de production et nous y serons très regardants. Que la population et la société civile soient rassurées car tout sera fait dans la transparence. Raison pour laquelle, les séances de dépouillement des plis sont publiques », a-t-il ajouté.

Alors que le dépouillement des plis de candidatures pour les blocs 4 et 4b était prévu pour le 6 juillet dernier, il a été ramené au 24 janvier 2024. Ce report a été « demandé par les entreprises qui ont manifesté l’intérêt de soumissionner afin de bien peaufiner leurs offres techniques », à en croire Alain Mutombo. Ceux qui s’opposent à l’appel d’offres pensent, quant à eux, que « ce projet n’intéresse pas les entreprises sérieuses ».

Bienfait Luganywa