
Dans un climat où l’unité et la stabilité politique devraient être consolidées, la Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo (RDC) a surpris l’opinion en relançant, de manière précipitée, l’affaire du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, impliquant l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo. Cette relance, que certains assimilent à une traque politique, évoque l’image d’un félin rôdant patiemment avant d’abattre sa proie, dans une mise en scène judiciaire soigneusement orchestrée.
Pourtant cette affaire soulève de sérieuses interrogations quant à la régularité de la procédure engagée par la Cour constitutionnelle.
Voici quelques clés de lectures qui mettent en lumière la politisation manifeste de ce dossier et les nombreuses irrégularités procédurales qui l’entourent.
En 2021, la Cour constitutionnelle de la RDC s’était expressément déclarée incompétente pour juger un ancien Premier ministre en dehors de l’exercice de ses fonctions. Cette position s’appuyait sur une lecture de la Constitution et des lois organiques régissant les juridictions nationales. L’arrêt de la Cour constitutionnelle avait été salué par plusieurs juristes comme une décision respectueuse de la hiérarchie des compétences juridictionnelles.
Cependant, contre toute attente, la Cour constitutionnelle est revenue sur sa propre décision et se saisit de nouveau du dossier Bukanga Lonzo. Ce revirement a soulevé de nombreuses interrogations, non seulement sur le plan juridique, mais aussi sur le plan institutionnel. Comment une haute juridiction peut-elle revenir sur une incompétence qu’elle avait elle-même actée, sans évolution normative majeure entre-temps ?
Ce changement de cap est perçu par plusieurs analystes comme une rupture de la sécurité juridique, affaiblissant la prévisibilité des décisions de justice et donnant l’impression d’une instrumentalisation ponctuelle du droit à des fins politiques.
La question de compétence devient ici centrale et déterminante, car elle conditionne la validité même de toute la procédure. En d’autres termes, si la Cour constitutionnelle n’est pas compétente, alors toutes les décisions qu’elle pourrait rendre dans ce dossier seraient entachées de nullité. Cette insécurité juridique alimente la suspicion d’un procès ciblé, davantage dicté par des considérations politiques que par le respect rigoureux du droit.
En tant que député national élu lors de la 4ᵉ législature, Matata Ponyo bénéficie, à ce titre, d’une immunité parlementaire garantie par la Constitution. Cette immunité n’est pas symbolique : elle constitue une protection juridique contre toute poursuite, arrestation ou détention arbitraire, sauf en cas de flagrant délit ou de levée formelle de ladite immunité par l’Assemblée nationale.
Or, dans la procédure actuellement engagée contre lui, rien n’indique qu’une demande officielle de levée d’immunité ait été formulée et votée en séance plénière par la chambre dont il est membre. Cette absence de procédure préalable constitue une violation manifeste du droit parlementaire et des garanties fondamentales prévues pour les élus de la Nation.
Ce manquement est d’autant plus grave qu’il contraste avec la procédure institutionnelle appliquée lors de la 3ᵉ législature, lorsque Matata Ponyo siégeait comme sénateur : le bureau du Sénat avait alors été saisi officiellement par la justice avant toute initiative de poursuite. La non-reproduction de ce mécanisme de dialogue interinstitutionnel dans le cadre actuel témoigne d’un certain mépris pour les règles élémentaires du fonctionnement républicain.
De plus, la Cour constitutionnelle elle-même aurait dû, par souci d’élégance institutionnelle et de respect du principe de séparation des pouvoirs, saisir le bureau de l’Assemblée nationale pour solliciter la levée de l’immunité du député concerné, avant d’entamer ou de reprendre toute procédure.
En l’absence de cette étape fondamentale, toutes les actions judiciaires posées risquent d’être entachées de nullité, et la légitimité de la démarche s’effrite davantage. Cette situation alimente le sentiment que la justice est sélective, précipitée et politiquement orientée, plutôt qu’impartiale et respectueuse du droit.
Plusieurs spécialistes et analystes ne cessent de dénoncer un “procès politique”, affirmant que les poursuites engagées contre l'ancien premier ministre Matata Ponyo Mapon sont davantage motivées par des calculs politiques que par une véritable recherche de vérité judiciaire. Cette dénonciation ne relève pas seulement d’une stratégie de défense, mais s’inscrit dans un contexte où plusieurs observateurs indépendants pointent la sélectivité des actions judiciaires à l’égard de certains opposants ou anciens membres du gouvernement.
Le moment choisi pour relancer l’affaire, alors que le pays traverse une crise sécuritaire majeure et une instabilité politique croissante, renforce le soupçon d’une instrumentalisation de la justice à des fins de règlement de compte. Dans ce climat, la procédure semble davantage chercher à affaiblir une figure publique d’envergure, connue pour ses prises de position critiques à l’égard du régime, qu’à établir les faits avec rigueur et impartialité. Un procès entaché de soupçons politiques compromet non seulement l’intégrité de la procédure, mais jette également le discrédit sur l’ensemble de l’appareil judiciaire, déjà fragile.
Par ailleurs, un autre élément troublant réside dans les incohérences manifestes des montants évoqués dans l’acte d’accusation. Cette indétermination financière jette un doute sur la solidité de l’accusation et sur la rigueur de l’instruction.
Une procédure pénale d’une telle ampleur exige une précision comptable irréprochable, faute de quoi elle pourrait être perçue comme hasardeuse, voire manipulée.
Pourquoi une telle fixation sur Matata Ponyo ?
Une question fondamentale demeure sans réponse claire : quels sont les ministres et hauts responsables qui ont concrètement signé les contrats dans l’affaire Bukanga Lonzo ? Où sont les gestionnaires de ce projet ?
Le ministre de l’Agriculture a-t-il validé les conventions techniques ? Le ministre de l’Industrie a-t-il été impliqué dans l’exécution opérationnelle ? Le ministre du Portefeuille a-t-il engagé l’État dans les montages juridiques et financiers du projet ? Le ministre délégué aux Finances a-t-il autorisé les décaissements ?
Autant de questions légitimes, qui restent étonnamment absentes de la procédure judiciaire en cours. Ce silence sélectif interroge.
Si l’on reconnaît que le projet Bukanga Lonzo était un programme d’envergure gouvernementale, mobilisant plusieurs ministères, agences et services spécialisés, il est alors difficilement compréhensible que seul le Premier ministre de l’époque, Matata Ponyo, fasse l’objet d’un acharnement aussi ciblé. Pourquoi lui seul, alors même qu’il ne signait pas directement les contrats d’exécution ?
Cette personnalisation de la responsabilité, en occultant le rôle des autres acteurs institutionnels, affaiblit la crédibilité de la procédure et renforce l’idée d’une manœuvre politique plutôt que d’une véritable quête de justice.
Tribune de Claude-Victoire Omalanga Okito, membre fondateur du Cercle des Juristes Indépendants du Congo (CJIC).