À la demande de la mission de l'Union européenne chargée d’apporter une assistance technique au partenariat UE–RDC, des experts du Centre de Recherche en Finances Publiques et Développement Local ont mené une étude consacrée au potentiel fiscal et aux mauvaises pratiques de gouvernance dans six Entités Territoriales Décentralisées de Kinshasa : Gombe, Kasa-Vubu, Lemba, Masina, Kimbanseke et N’sele.
Le travail a porté sur la période allant de 2021 à 2023. Présentant les principaux résultats, l’expert anticorruption Paulin Kibendelwa a indiqué que ces municipalités disposent d’un important potentiel fiscal qui reste toutefois insuffisamment exploité.
Selon lui, certaines communes seraient capables de mobiliser plus d’un million de dollars américains chaque année si l’Impôt Personnel Minimum — l’impôt payé par chaque entreprise pour chacun de ses employés — était effectivement activé.
Le président du collectif des bourgmestres a, pour sa part, affirmé que sa structure s’est engagée à mettre en œuvre cet impôt dans toutes les communes de la ville-province d’ici 2026.
Quid des résultats de cette étude ?
Dans la présentation du rapport, Paulin Kibendelwa a souligné que, sur les trois années considérées, les six communes n’ont mobilisé qu’un peu plus de 21 % des recettes qu’elles auraient pu théoriquement percevoir. L’étude révèle que, parmi les 34 actes générateurs examinés, une faible proportion produit régulièrement des recettes, tandis qu’une partie importante est mal gérée, insuffisamment suivie ou totalement inadaptée au contexte.
Elle recommande aussi que les bourgmestres engagent un dialogue avec la Fédération des entreprises du Congo pour permettre l’activation de la Taxe professionnelle annuelle, une ressource qui pourrait assurer à elle seule le fonctionnement de nombreuses municipalités.
Synthèse des résultats
En ce qui concerne les performances propres à chaque commune, l’étude relève que Kimbanseke n’a réalisé qu’un peu plus du quart des recettes prévues, sur une enveloppe largement supérieure à un milliard neuf cent millions de francs congolais. La Gombe affiche un taux encore plus faible, avec moins de 17 % de ses prévisions réalisées. La commune de Kasa-Vubu est celle qui a mobilisé le plus de fonds au cours de la période étudiée, même si son taux de réalisation demeure inférieur à un quart des prévisions. Masina, Lemba et la N’sele suivent des tendances similaires, oscillant entre 17 % et 22 % de réalisation.
En matière de recettes propres converties en dollars, Kasa-Vubu se retrouve en tête avec un peu plus de 702 000 USD, suivie de la Gombe, puis de Kimbanseke, de la N’sele, de Masina et enfin de Lemba.
Taux de performance
Concernant la performance globale, le rapport distingue Kasa-Vubu comme commune modèle, avec un indice avoisinant 70 %, suivie de Lemba, de Masina, de Kimbanseke et de la N’sele. La Gombe, malgré son potentiel fiscal largement supérieur, arrive en dernière position avec un taux de performance inférieur à 20 %.
Un autre volet important du rapport concerne la rétrocession. Bien que la Constitution et les textes en vigueur imposent au gouvernement central de reverser 40 % des recettes aux ETD, cette obligation reste presque totalement ignorée. En 2022, cinq communes sur les six étudiées n’ont reçu aucun franc en rétrocession, et le taux moyen perçu sur trois ans est resté en dessous de 4 %.
Problèmes majeurs
L’étude met en lumière plusieurs défaillances. Elle constate notamment une budgétisation dépourvue de crédibilité, l’absence totale d’un cadre budgétaire à moyen terme, ainsi qu’un manque de décisions formelles relatives à la reddition des comptes, en violation de la loi des finances.
Les prévisions de recettes sont souvent établies sans concertation avec les services sectoriels, ce qui fausse les statistiques. Les communes ne disposent d’aucun dispositif de gestion des risques susceptible d’aider à anticiper ou à corriger les dérives.
L'étude note aussi un non-respect généralisé du circuit de la recette : des individus non identifiés prélèvent des taxes en dehors du système officiel, certaines autorités locales perçoivent directement des recettes en contournant les organes habilités, et les montants collectés sont parfois dépensés immédiatement sans être versés dans la caisse de l’État.
Obstacles structurels
Les obstacles structurels identifiés touchent au défaut de rétrocession, à la centralisation excessive des actes et à une nomenclature jugée inadaptée. À cela s’ajoutent l’incivisme fiscal, l’absence d’un fichier des assujettis, la corruption, le détournement, ainsi que la prolifération de comptes illégaux et diverses formes d’ingérence fiscale. L’étude souligne enfin que l’absence d’unité de caisse complique encore davantage la gestion financière locale.
Pour remédier à ces dysfonctionnements, elle propose notamment l’adoption urgente d’un édit provincial fixant les modalités d’exécution de la rétrocession des 40 %, la révision de l’ordonnance-loi nᵒ 18/004 afin d’adapter les actes fiscaux au contexte local et d’écarter ceux devenus inapplicables, ainsi que l’activation de l’Impôt Personnel Minimum.
Parmi les pistes techniques et opérationnelles recommandées figurent également la digitalisation complète du circuit financier, la création d’un fichier fiable des assujettis, la garantie de l’unité de caisse, la mise en place d’une autorité de revenu, la formation des agents et l’instauration d’un mécanisme de recouvrement forcé.
ODN