Affaire Chebeya : crainte d’un procès bâclé

Mardi 28 juillet 2015 - 11:06

Malgré la requête des avocats des parties civiles, la Haute Cour débute la plaidoirie le jeudi sans instruire suffisamment les infractions association des malfaiteurs, enlèvement et disparition forcée de Fidèle Bazana

L’audience au second degré du procès du double assassinat des deux défenseurs des droits de l’homme, membres de l’Ongdh » La Voix des Sans Voix pour les droits de l’homme (VSV), Floribert Chebeya et Fidèle Bazana tend vers un procès bâclé, avec l’imposition par la Haute Cour Militaire de la plaidoirie sans instruire suffisamment les infractions association des malfaiteurs, enlèvement et disparition forcée de Fidèle Bazana. C’est ce qu’affirment certains observateurs avertis de cette sordide affaire.

Au cours de l’audience publique du lundi 27 juillet courant à la prison centrale de Makala, dans la commune de Selembao, la HCM n’a pas tenu compte de la requête des avocats des parties introduite à la Haute juridiction militaire sollicitant la continuation des infractions d’association des malfaiteurs, enlèvement et disparition forcée de Fidèle Bazana.

Les avocats des parties civiles ont plaidé en vain pour faire comprendre à la HCM les raisons de leurs démarches visant à obtenir de la Haute Cour Militaire la poursuite de l’instruction. D’où leur inquiétude de voir le procès du double assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana se terminer d’une manière bâclée, avec crainte que la lumière ne soit faite sur les circonstances réelles de ce crime, qualifié de » crime d’Etat ».

Piège déjoué

Un communiqué de la Haute Cour Militaire, daté du vendredi 24 juillet dernier, faisait état du report de l’audience publique d’hier lundi 27 juillet. Mais en dernière minute, les avocats des parties civiles ont été surpris par la HCM annonçant la tenue de l’audience publique d’hier comme d’habitude à la prison centrale de Makala.

Bien que surpris, ils avaient marqué leur présence à l’audience agitée d’hier lundi. Ce qui justifie encore la crainte des parties civiles dans ce dossier de voir cette affaire laisser un gout amer. Depuis le double assassinat de Chebeya et Bazana, les voix se sont levées à travers le monde pour exiger toute la lumière sur ce crime. Mais la manière dont cette affaire se déroule, fait craindre que les auteurs intellectuels de la mort de Chebeya et Bazana ne soient pas condamnés.

L’espoir sur la justice sénégalaise

Selon cette disposition du code pénal sénégalais, les tribunaux peuvent juger toute personne suspectée de torture, si elle se trouve au Sénégal, même si la victime ou l’auteur du crime ne sont pas Sénégalais et que le crime n’a pas été perpétré au Sénégal.

A la suite de la plainte déposée à Dakar par la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) sur le fondement de la compétence extraterritoriale, le major Paul Mwilambwe a été inculpé par la justice sénégalaise et placé sous contrôle judiciaire.

En effet, la FIDH et les familles avaient déposé une plainte, avec constitution de partie civile, le 2 juin 2014. Ce qui, en vertu du droit sénégalais, enclenche quasi automatiquement la mise en mouvement de l’action publique.

Major de la Police nationale congolaise à l’époque de l’enlèvement de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, Paul Mwilambwe était en charge de la sécurité du bureau du général John Numbi, le chef de la Police nationale au moment des faits, dans les locaux duquel ont été assassinés les deux défenseurs des droits humains. Peu après les faits, Mwilambwe avait pris la fuite vers un pays d’Afrique avant de se rendre au Sénégal.

Au cours de sa fuite, il avait témoigné devant la caméra de France 24 et dénoncé, outre sa participation, le rôle et l’implication de hauts gradés de la police congolaise, dont le général John Numbi, dans l’assassinat et la disparition forcée des deux défenseurs.

Rendez vous mystérieux

Convoqué le 1er juin 2010 par le général John Numbi , inspecteur général de la police nationale congolaise (IG/PNC), Floribert Chebeya avait été retrouvé sans vie le 2 juin 2010, le matin,dans son véhicule, tandis que Fidèle Bazana est porté disparu jusqu’à ce jour.

A l’issue d’un procès marqué par de nombreux incidents, la Cour militaire de Kinshasa a reconnu, le 23 juin 2011, la responsabilité civile de l’État congolais dans l’assassinat de Chebeya ainsi que dans l’enlèvement et la détention illégale de Bazana par plusieurs de ses agents et a condamné 5 des 8 policiers accusés, dont 4 à la peine capitale et un à la prison à perpétuité.

Trois des condamnés à mort sont toujours en cavale, et trois policiers dont l’instruction avait pourtant révélé le rôle dans la disparition de Fidèle Bazana, ont été acquittés.

Le 7 mai 2013, la Haute cour militaire, saisie en tant que juridiction d’appel, s’est déclarée incompétente pour instruire les questions procédurales et a décidé de saisir la Cour suprême de justice, qui fait office de Cour constitutionnelle, ce qui a suspendu de fait la procédure judiciaire d’appel.

Le 21 avril 2015, après près de deux ans d’interruption, le procès en appel a repris devant la Haute cour militaire.En première instance comme actuellement en appel, aucune procédure judiciaire n’a été engagée par les autorités congolaises pour instruire le rôle joué par le général John Numbi qui a été, depuis, remplacé à la tête de la police nationale. Ce, malgré l’existence des preuves et le dépôt des plaintes nominatives par les familles des deux défenseurs assassinés.

Par Godé Kalonji Muk