Affaire Lubanga : vers un nouveau plan de mise en œuvre de réparations collectives des victimes

Mercredi 4 mars 2015 - 11:19

Au cours de l’audience publique, la Chambre d’appel de la CPI modifie l’ordonnance de la Chambre de première instance relative aux réparations en faveur des victimes

La Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI) a rendu hier mardi 3 mars 2015, en audience publique, son arrêt relatif aux appels interjetés contre la décision fixant les principes et procédures applicables en matière de réparations rendue par la Chambre de première instance dans l’affaire concernant Thomas Lubanga Dyilo.

Au cours de cette audience publique, la Chambre d’appel a modifié l’ordonnance de la Chambre de première instance et a chargé le Fonds au profit des victimes (FPV) de présenter à la Chambre de première instance I nouvellement constituée un projet de plan de mise en œuvre de réparations collectives, et ce, dans un délai de six mois à compter de l’arrêt rendu le mardi.

En effet, le projet de plan de mise en œuvre préparé par le Fonds au profit des victimes devrait également comprendre un processus de renvoi aux organisations non gouvernementales compétentes, présentes dans les zones touchées, qui offrent des services aux victimes des violences sexuelles et sexistes, note un communiqué de la CPI.

La Chambre d’appel a modifié l’ordonnance de la Chambre de première instance afin de charger le Fonds au profit des victimes de consulter les victimes qui ont participé au procès et celles ayant présenté des demandes individuelles sur des questions relatives, entre autres, à la conception et à la nature des réparations collectives.

Le juge Erkki Kourula plaide pour toutes les victimes

Lors du prononcé de l’arrêt et de l’ordonnance modifiée rendu hier mardi, Erkki Kourula, juge président, a expliqué que la Chambre d’appel avait établi les éléments minimums nécessaires requis aux fins d’une ordonnance de réparations, ainsi que les principes régissant les réparations accordées aux victimes, y compris le fait que toutes les victimes devaient être traitées équitablement et de la même manière, qu’elles aient ou non participé au procès.

La Chambre d’appel a confirmé la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle les programmes de réparations devraient comprendre des mesures conçues pour réintégrer les anciens enfants soldats, ceci pour éviter que ces jeunes gens se retrouvent en position de victimes et fassent l’objet de discrimination et de stigmatisation.

Elle a également souligné qu’une approche tenant compte des différences entre les sexes devrait gouverner l’élaboration des principes et des procédures applicables en matière de réparations.

Elle a conclu que la Chambre de première instance n’avait commis aucune erreur en décidant d’accorder uniquement des réparations à titre collectif, et non à titre individuel, le nombre de victimes ayant été un élément important pour décider que les réparations à titre collectif étaient plus appropriées.

La Chambre d’appel a confirmé la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle les victimes des crimes, qu’elles aient ou non participé au procès ou déposé des demandes de réparations, doivent être en mesure de participer aux réparations collectives, tout comme les membres de leur famille et de leur communauté remplissant les conditions requises pour obtenir des réparations. Elle a décidé que la Cour devrait consulter les victimes sur des questions telles que l’identité des bénéficiaires des réparations et leurs priorités.

En outre, la Chambre d’appel a confirmé la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle les réparations devraient, chaque fois que possible, s’inspirer de la culture et des coutumes locales, à moins que celles-ci ne soient source de discrimination ou d’exclusion, ou n’empêchent les victimes d’exercer leurs droits en toute égalité.

Elle a confirmé également que les réparations accordées par la Cour n’exonèrent pas les États de leur responsabilité d’octroyer des réparations à des victimes en vertu d’autres traités ou de leur législation nationale.

Le projet de plan de mise en œuvre des réparations que le Fonds au profit des victimes est chargé de soumettre devrait comprendre une estimation du montant nécessaire à la réparation du préjudice causé par les crimes dont Thomas Lubanga a été reconnu coupable. La Chambre d’appel a conclu que la Chambre de première instance a commis une erreur en ne rendant pas M. Lubanga personnellement responsable des réparations collectives en raison de son état actuel d’indigence.

La Chambre d’appel a estimé que l’ordonnance de réparations devrait établir la responsabilité personnelle de la personne déclarée coupable à l’égard des réparations accordées et informer celle-ci de cette responsabilité, et indiqué que, si le Fonds au profit des victimes avançait les fonds pour permettre la mise en œuvre de l’ordonnance, il pourrait à une date ultérieure réclamer à Thomas Lubanga les fonds ainsi avancés.

La Chambre d’appel a confirmé l’instruction de la Chambre de première instance indiquant que le Fonds au profit des victimes devait, dans le cadre de l’élaboration des mesures de réparations, envisager d’apporter aux victimes des services médicaux (notamment des soins psychiatriques et psychologiques) en plus d’une aide à la réhabilitation en général, au logement, à l’éducation et à la formation.

Il est nécessaire d’orienter les réparations vers des programmes autonomes, afin de permettre aux victimes, à leurs familles et à leur communauté de bénéficier de ces mesures sur le long terme. La Chambre d’appel a confirmé le principe que la Chambre de première instance avait établi, à savoir que les réparations doivent être accordées sur la base du préjudice subi du fait de la commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour.

Elle a notamment examiné la question de savoir si les violences sexuelles pouvaient être qualifiées de » préjudice » résultant des crimes dont Thomas Lubanga avait été reconnu coupable.

Elle a estimé que ce n’était pas possible, celui-ci n’ayant pas été reconnu coupable de crimes de violences sexuelles, et la violence sexuelle n’étant pas inclue à des fins de détermination de la peine dans l’évaluation de la gravité des crimes pour lesquels il a été condamné. Cela n’empêche toutefois pas les victimes de violences sexuelles de bénéficier des mesures d’assistance offertes par le Fonds au profit des victimes, dans le cadre du mandat d’assistance discrétionnaire dont il dispose.

Différentes péripéties

Il y a lieu de rappeler que le 7 août 2012, la Chambre de première instance I s’était prononcée, pour la première fois dans l’histoire de la CPI, sur les principes applicables aux réparations en faveur des victimes dans le contexte de l’affaire portée contre Thomas Lubanga Dyilo et ordonné que des réparations collectives aux victimes soient mises en place par le biais du FPV.

Le 14 mars 2012, Thomas Lubanga avait été reconnu coupable des crimes de guerre consistant à avoir procédé à l’enrôlement et à la conscription d’enfants de moins de 15 ans et à les avoir fait participer activement à des hostilités.
Le 10 juillet 2012, il avait été condamné à une peine totale de 14 ans d’emprisonnement ; le 1er décembre 2014, la Chambre d’appel, à la majorité des juges, avait confirmé le verdict de culpabilité et la peine prononcée à son encontre.

Par Godé Kalonji Mukendi