La Gécamines dans la tourmente

Mardi 9 septembre 2014 - 11:30

Le fleuron de l‟industrie minière congolaise peine à s‟extirper de 50 ans de mauvaise gestion. La récente révocation de son directeur pour surfacturation affaibli de nouveau l‟entreprise et son président, le très en vue Albert Yuma. Juré, craché : « la Gécamines va renaître de ses cendres ». C‟est ce qu‟avait promis en 2011 la nouvelle équipe chargée, autour du nouveau président Albert Yuma, de moderniser le monstre minier. A la tête de l‟exécutif, Ahmed Kalej Nkand, le nouveau directeur devait proposer un nouveau plan d‟investissement pour remettre en selle la vieillissante Gécamines, pillée jusqu‟au dernier sou par le régime Mobutu. En deux ans et à grand renfort de millions de dollars, le géant minier a tout de même réussi à tripler sa production pour extraire péniblement 40.000 tonnes de minerais fin 2013. Une goutte d‟eau, lorsque l‟on compare au formidable potentiel des différents sites miniers la Gécamines. Car si l‟entreprise a su optimiser sa production sous l‟impulsion d‟Albert Yuma et de Kalej Nkand, la déliquescence de ses installations reste un lourd handicap pour l‟entreprise katangaise. Pendant ce temps, des investisseurs américains s‟activent pour constituer de gigantesques infrastructures minières, comme le site de Tenke-Fungurume, installé lui aussi dans la province du Katanga. Son actionnaire de référence, l‟américain Freeport a lancé un programme de 2 milliards de dollars. Descente aux enfers Ce qui mine le géant minier depuis 50 ans ce sont surtout les « mauvaises pratiques » : corruption, détournement des recettes au profit du régime en place, pillage des ressources, manque d‟investissement, absence de maintenance des outils de production et personnels en surabondance… la Gécamines continue sa lente descente aux enfers. La nouvelle de la révocation d‟Ahmed Kalej Nkand en juillet 2014 sème le trouble dans l‟entreprise minière. Une ordonnance présidentielle débarque le directeur de la Gécamines pour « manquement grave dans l‟exercice de ses fonctions ». La mauvaise gestion d‟antan n‟aurait donc pas disparu comme l‟affirmait la communication bien huilée du géant minier. En cause : l‟achat de 73 équipements miniers d‟occasion « dont la valeur réelle est largement inférieure au montant facturé à la Gécamines ». En clair, Ahmed Kalej Nkand aurait surfacturé ces matériels, pour un montant de 13,5 millions de dollars. Des machines qui s‟avèreront toutes obsolètes. En attendant, les travaux de maintenance de certains sites auraient été stoppés, faute de machines en bonne état. Le duo Yuma-Kalej Nkand prend l’eau
Mais très vite les regards se tournent vers Kinshasa. Pour certains observateurs, il y a une autre explication au débarquement d‟Ahmed Kalej Nkand que la simple démonstration de «bonne gouvernance» que souhaite afficher le pouvoir. Car si la Gécamines a coupé en 2010 une partie des liens qui la rattache au régime en place à Kinshasa, en modifiant notamment ses statuts, il faut bien chercher du côté du cercle présidentiel pour comprendre les raisons de l‟éviction de Kalej Nkand. Nommés ensemble en 2011 aux commandes de la Gécamines, le duo Albert Yuma (président du Conseil d‟administration) et Kalej Nkand (directeur), répond au fragile équilibre qui s‟était instauré par « le clan des Katangais » autour de Joseph Kabila. A cette époque, Albert Yuma représentait la proximité avec le président, alors que Kalej Nkandd était l‟homme du principal conseiller de Joseph Kabila, Augustin Katumba Mwanke. Mais en février 2012, l‟éminence grise du président congolais disparaît dans un accident d‟avion, laissant Kalej Nkand « orphelin » de son mentor. Augustin Katumba Mwanke disparu, certains proches de Joseph Kabila se sont alors activés, pensant remplacer en coulisse l‟influent conseiller. Parmi eux, on trouve entre autre Albert Yuma, président du Conseil d‟administration de la Gécamines, également puissant président de la Fédération des entreprises du Congo et candidat « non-déclaré » pour remplacer le Premier ministre Matata Ponyo. Kalej Nkand : le fusible Depuis le départ de Kalej Nkand, les langues se délient à Lubumbashi. On évoque la proximité d‟Albert Yuma avec le « clan Kabila » : des entrepreneurs, comme le sulfureux homme d‟affaires israélien Dan Gartler qui ne cache pas ses relations avec Joseph Kabila, mais aussi le cercle familial du président congolais. Le propre frère de Joseph Kabila, Zoé, aurait constitué son propre réseau de « creuseurs » sur des sites miniers de la Gécamines avec la protection de soldats de la Garde républicaine. Des syndicalistes ont même envoyé une lettre au Premier ministre pour dénoncer ce qui apparaît alors comme un « pillage de ressources minières ». Ahmed Kalej Nkand aurait voulu y mettre fin, avant d‟être révoqué. Mais en faisant sauter un fusible facile, le président du Conseil d‟administration, Albert Yuma, en sort plus affaibli qu‟il n‟y paraît. Car si Kalej Nkand a bien surfacturé des engins miniers sans en référer au Conseil d‟administration comme c‟est la règle, des interrogations se posent sur la bonne gestion de la Gécamines… et de son président. Plusieurs ONG mettent en cause le manque de contrôle du Conseil d‟administration de la société minière. En d‟autres termes, Kalej Nkand ne doit pas être le seul à payer pour « mégestion ». La Ligue contre la Corruption et la Fraude (LICOF) et Justicia estiment que le Conseil d‟Administration devrait être sanctionné. Car en dehors de la surfacturation de machines d‟occasion, ces deux ONG dénoncent « des contrats léonins signés en faveur d‟entreprises domiciliées dans les Iles Vierges, des revenus provenant des divers partenariats de la Gécamines dilapidés au point que les travailleurs totalisent près de 5 mois d‟arriérés de salaires » ainsi que « la corruption de délégués syndicaux dont le mandant a été reconduit sans organisation d‟élection pour couvrir une mauvaises gestion ». Pour l‟heure rien n‟a bougé depuis l‟annonce de la révocation d‟Ahmed Kalej Nkand. Albert Yuma est toujours aux commandes de la Gécamines, Kalej Nkand est toujours à Lubumbashi, sans être inquiété par la justice, aucun nouvel administrateur délégué général n‟a été nommé… et la Gécamines continue de s‟enfoncer dans la crise.

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