Grève des magistrats, ACAJ saisit le PM

Mardi 11 novembre 2014 - 09:51

L’ACAJ écrit à Matata pour obtenir l’amélioration des conditions socio-professionnelles des magistrats qui ont déclenché un mouvement de grève illimité pour revendiquer le paiement de 1600 Usd. Cette exigence se conforme à l’accord signé entre les syndicats et le gouvernement en date du 17 septembre 2011. «Lire ci-dessous la lettre de l’ACAJ à Matata».
Excellence Monsieur le Premier Ministre,
L’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ) a l’honneur de vous adresser le présent plaidoyer pour obtenir l’amélioration des conditions socio-professionnelles des magistrats.
En effet, depuis le 03 novembre 2014 les magistrats ont déclenché un mouvement de grève illimitée pour revendiquer le paiement de leur rémunération de 1600 USD, pour le débutant, conformément à l’accord signé entre les syndicats et le Gouvernement de la république le 17 septembre 2011.
Indépendamment du débat suscité par cette grève quant à sa forme, l’ACAJ est d’avis que l’interdiction des activités syndicales au sein de la magistrature, décidée par le Premier Président de la Cour Justice suivant la note circulaire n° 010 du 27 septembre 2011, a détruit le cadre d’expression idéal des revendications socio-professionnelles des magistrats. Cela a eu comme conséquence que ces derniers ont carrément décidé de s’organiser en un mouvement spontané pour défendre leurs droits fondamentaux notamment celui à une rémunération décente. Car toute personne a droit de défendre les droits fondamentaux soit individuellement ou en association avec les autres; tel est le sens même de l’article 27 de la Constitution qui garanti le droit à la pétition. Au terme des instruments juridiques internationaux des droits de l’homme, le syndicat n’est que l’un de procédés par lesquels cette défense peut s’opérer.

Le Gouvernement qui a la responsabilité première de garantir le fonctionnement adéquat des institutions ou organismes, et de veiller à ce que tous les citoyens jouissent de leurs droits fondamentaux sans aucune discrimination, ne devrait pas laisser la situation pourrir sur terrain, comme c’est le cas depuis quatre jours, sans prendre l’initiative de convoquer un dialogue social. A ce jour, plusieurs détentions préventives sont devenues irrégulières et dossiers qui requièrent un traitement urgent ne les sont pas à Kinshasa comme dans certaines provinces à cause de la grève.
A travers nos antennes établies dans les provinces, nous avons collecté des informations fiables qui confirment qu’effectivement les magistrats travaillent dans des conditions très difficiles. Sans parler de l’absence des frais de fonctionnement, les magistrats malades peinent pour accéder aux soins médicaux de qualité ou appropriés.

A titre d’exemple, le magistrat Boboli (ancien premier substitut au Parquet de Lubumbashi) est mort à Kinshasa par manque de moyens financiers nécessaires pour aller se faire soigner en Inde et Charles Kitenge (Chef de Parquet à Bukama) qui, après son agression à Bukama il y a cinq ans, n’avait pu être évacué vers Lubumbashi pour des soins médicaux que grâce à l’intervention du Gouverneur de province du Katanga. Il n’a plus jamais reçu des moyens financiers pour poursuivre le contrôle post-opératoire, ni pour reconstituer son patrimoine qui avait été totalement pillé. Dernièrement, sa résidence de Luena venait d’être encore attaquée pendant qu’il se trouvait à Lubumbashi. Enfin, il y a le cas du juge-président Freddy Nabangaba (TGI de Bagata au Bandundu), victime d’un accident de circulation à bord d’une moto à Kamina alors qu’il se rendait à l’audience à Kabongo, il y a plusieurs années. Il est malade, marche avec béquille et bloqué actuellement à Kinshasa depuis plus d’une année alors qu’il devait aller se faire opérer le bassin en Inde, et ce, par manque de moyens financiers! Il vit dans une famille d’accueil à Kintambo; tandis que le reste de sa famille, qui l’a rejoint à Kinshasa, est hébergée dans une famille d’un Pasteur de bonne volonté dans la commune de Limete!
Aussi, dans beaucoup des juridictions ou parquets, des magistrats sont contraints d’acheter des mobiliers et fournitures avec leurs maigres moyens; et des missions d’inspection, des audiences foraines ou des déplacements des agents judiciaires pour notification des convocations et mandats pour des dossiers des indigents sont pris en charge par des chefs des juridictions ou des offices ou des magistrats instructeurs. Il en est de même pour les transferts des prévenus ou condamnés entre les lieux de détention et les palais de justice, des voyages des magistrats à l’occasion des congés de reconstitution ou des circonstances de décès d’un membre de famille qui sont toujours soumis au principe de la débrouillardise dans la plupart des cas monitorés par nos antennes!

Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Lorsque l’ACAJ parle de l’amélioration des conditions socio-professionnelles, elle entend précisément la régularisation définitive de la rémunération des magistrats qui prend en compte notamment les frais de transport aller-retour au service, logement, soins de santé y compris de leurs conjointes et enfants, et de congé.
Pour y parvenir, et ce, au vu du niveau moins important du budget de l’Etat, et surtout en application du principe de l’égalité en droits et en obligations, l’ACAJ vous recommande vivement la suppression des écarts énormes qui subsistent actuellement dans les traitements alloués aux membres et fonctionnement de trois pouvoirs (Exécutif, Législatif et Judiciaire) d’une part, et de respecter le principe constitutionnel de l’autonomie financière et de gestion quotidienne de la dotation du pouvoir judiciaire à l’instar de deux autres pouvoirs.

Car, il n’est pas normal qu’un magistrat, membre d’un de trois pouvoirs, touche moins que ceux de deux autres pouvoirs, et plus pire encore qu’un conseiller des cabinets ministériels!
Cette situation constitue non seulement une discrimination prohibée par la constitution, mais surtout une atteinte grave à l’équilibre établi par le principe de séparation de trois pouvoirs. Le respect de ce principe, dans toutes ses facettes, garanti un fonctionnement harmonieux des institutions ainsi que le respect des droits fondamentaux des populations dans une société démocratique.
Cependant, l’ACAJ est consciente que les responsables des Cours et tribunaux et leurs offices devraient aussi fournir des efforts considérables afin de mettre fin au coulage des recettes générées par l’administration de la justice d’une part, et aider le gouvernement à recouvrer dans le meilleur délai les créances notamment fiscales et douanières dues à l’Etat d’autre part afin de permettre au Gouvernement d’avoir les moyens financiers de sa politique d’investissement.

Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Nous vous recommandons vivement de travailler avec l’ensemble du Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), le Parlement, les syndicats représentatifs des magistrats et les ONG des droits de l’homme du secteur de la justice afin que les revendications des magistrats soient prises en compte dans le cadre du budget de l’exercice 2015. La reforme du secteur de la justice, que votre gouvernement a engagée, ne pourra aboutir qu’à ce prix. En faisant cela, le Gouvernement favorisera de meilleures conditions de l’administration de la justice, de la protection des droits fondamentaux des citoyens et de la redevabilité des magistrats vis-à-vis de leurs citoyens. L’ambition de la RDC de rejoindre le carré de pays émergents à l’horizon 2020 ne pourra se réaliser qu’avec une justice dotée des moyens financiers et logistiques pouvant lui permettre de fonctionner suivant les standards modernes.

L’ACAJ rappelle que seule la justice peut contribuer efficacement au rétablissement de l’autorité de l’Etat dans des territoires de la RDC qui sont actuellement en proie à des violences et diverses exactions commises contre les populations civiles et leurs biens.
Veuillez agréer, Excellence Monsieur le Premier Ministre, l’assurance de notre haute considération.
Pour l’ACAJ,
Me Georges KAPIAMBA
Président National

 

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