RDC - Journée de la drépanocytose : "Cette maladie n'est pas une fatalité, on peut vivre avec" (Dr Bobo Robert Kitenge)

Samedi 19 juin 2021 - 14:46
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7SUR7

L'humanité célèbre chaque 19 juin la journée de lutte contre la drépanocytose qui est une maladie génétique héréditaire touchant les globules rouges (ou hématies). C'est l'occasion pour plusieurs nations de sensibiliser le public sur cette maladie souvent méconnue et aussi à la base de certaines discriminations. 

Pour ce faire, la rédaction de 7SUR7.CD a échangé avec Robert Bobo Kitenge Milambwe médecin drépanologue, coordonnateur général de la plateforme d'appui de formation et de veille sur la drépanocytose (PAFOVED) associée au centre de formation et d'appui sanitaire de Monkole (CEFA).

Docteur Robert Bobo Kitenge a, au cours de cet entretien, appelé les drépanocytaires à être fort et à lutter contre la maladie puis ce que, estime-t-il, "la drépanocytose n'est pas une fatalité". À l'en croire, c'est une maladie avec laquelle on peut vivre.

(Ci-dessous l'intégralité de son interview)

7SUR7:  L'humanité célèbre chaque 19 juin la journée de la drépanocytose reconnue en 2008 comme urgence de santé publique par l'ONU. Comment définit-on la drépanocytose ?

Dr. R. B: La drépanocytose communément appelée " Anémie SS", c'est une maladie héréditaire qui est transmise par les parents qui sont des porteurs sains aux enfants, qui touche éssentiellement  l'hémoglobine qui est un élément qui fait partie du globule rouge. Le globule rouge, c'est un élément constitutif du sang comme les plaquettes des globules blancs qui a un rôle dans la transmission de l'oxygène dans tout le corps. Et la drépanocytose touche le globule rouge. Donc, le globule rouge qui doit porter l'hémoglobine A normalement dans la drépanocytose, ce globule rouge porte une hémoglobine anormale qu'on appelle hémoglobine SS.

7SUR7 : À travers quels symptômes reconnait- on un drépanocytaire ?

Dr. R. B : La drépanocytose, c'est une maladie qui se manifeste de la tête aux pieds, mais les premiers symptômes vont apparaître déjà à l'âge. Dès six mois, on pourra reconnaître cela par le syndrome mains-pieds, donc les enfants auront les mains qui vont gonfler et qui vont faire très mal. Comme la maman va aller au travail, elle va penser que l'enfant a été battu ou est tombé par hasard à la maison et après ce sont les fièvres à répétition. Donc, l'enfant va faire des fièvres à répétition et c'est des infections et après plus tard, on pourra avoir des anémies. Donc, le taux de l'hémoglobine dans le sang qui va baisser et après l'une des caractéristiques, c'est des crises vaso-occlusives, des crises douloureuses que l'enfant va présenter.

7SUR7 : À quel type de traitement est soumis un patient drépanocytaire ?

Dr. R. B : S'agissant des traitements, il ya le traitement préventif et curatif, l'enfant devra être vacciné contre des germes encapsulées pour ne pas faire souvent des infections et il devra prendre la pénicilline V qui est un antibio-prophylaxie, qui permet de lutter aussi contre les infections, et après pour son anémie, on a la transfusion. Donc, s'il y a baisse du taux d'hémoglobine, on devra le transfuser pour qu'il aille mieux. Et après actuellement, il ya un médicament qui permet aussi de réduire les crises, c'est l'Hydroxyurée, qu'on appelle en Europe le Siklos et ici à Kinshasa l'Hydrea. Ce médicament est essentiel aujourd'hui. Il permet d'améliorer la qualité des vies des patients drépanocytaires. Donc là, c'est dans le volet préventif pour prévenir les crises et après le volet curatif, c'est la greffe de moelle. La greffe de moelle qui est aujourd'hui la seule thérapie qui permet de guerrir de la drépanocytose mais il ne  faut pas oublier qu'actuellement, il ya une nouvelle technique qui vient d'être développée qui est la thérapie génique mais qui est encore en expérimentation. Mais actuellement, le traitement curatif disponible pour les patients, c'est la greffe de moelle. La greffe de moelle est un traitement qui est encore restée au nord, nous au Sud ici, on en a pas par ce qu'on a pas encore le moyen pour le faire. Donc, il y a peu d'enfants qui en ont accès, nous on reste dans un volet préventif ; la sensibilisation et pour les patients drépanocytaires , c'est la prise en charge hydroxiedée.

7SUR7 : Est-il conseillé aux femmes drépanocytaires de mettre au monde ?

Dr. R. B : Les femmes drépanocytaires peuvent se marier et mettre au monde mais à la différence des autres patientes, il doit y avoir un suivi régulier entre le gynécologue et son médecin drépanologue, parce que la grossesse d'une femme drépanocytaire est une grossesse à risque. Elle ne va pas atteindre 37 semaines, c'est déjà à 34-35 semaines, pour certaines écoles, on va faire une césarienne élective pour éviter une certaine complications qui pourront arriver à terme. C'est une  grossesse précieuse et il faut une prise en charge correcte mais après il faut voir aussi, elle devra espacer ses grossesses parce qu'elles ont un risque énorme pendant cette période là.

7SUR7 : Quels sont les risques auxquels la patiente drépanocytaire est soumise pendant sa grossesse ?

Dr. R. B : Le premier risque, c'est le syndrome toraxique qui est une combinaison d'une stase, d'une infection et vous savez avec la grossesse, les femmes, il y a un changement physiologique qui fait qu'elles sont très  disposées à faire le syndrome toraxique mais après il y a une surconsommation , il y a l'enfant qui est là qui doit avoir de l'oxygène, qui doit avoir du sang de sa mère. Hors, sa mère est anémique, il faudra veiller à ça, elle doit avoir un taux acceptable d'hémoglobine, et puis la grossesse est susceptible de déclencher des crises vaso-occlusives, il faudra vraiment une prévention et un bon suivi pour que  cette grossesse arrive à terme.

7SUR7 : Combien d'enfants peuvent-elles mettre au monde?

Dr. R. B : On ne peut pas estimer parce que cela dépend d'une malade à une autre. Donc, le tout dépend de sa culmine, des complications qu'elle a, est ce qu'elle a une insuffisance rénale ?, est-ce qu'elle a un problème des reins?, est-ce qu'elle a une  cardiopathie- drépanocytaire ?, est-ce qu'elle a une antilopathie ?, il y a beaucoup de choses qui entrent en jeu pour décider du nombre d'enfants qu'une patiente drépanocytaire a. Donc, ça sera en évaluant les bénéfices et les risques, une discussion multidisciplinaire entre le gynécologue, le pédiatre, le néomatologiste et le médecin drépanologue.

7SUR7 : Les drépanocytaires sont-ils plus exposés à la Covid-19 par rapport à d'autres patients non-drépanocytaires ?

Dr. R. B : Oui ! En regardant les patients drépanocytaires avec la Covid-19 qui est une maladie infectieuse, les patients drépanocytaires sont à risque de faire des infections parce qu'ils ont un déficit immunitaire. Puis, on pense théoriquement qu'ils sont à risque à faire la Covid-19, mais les données que nous obtenons du nord où on a vu les publications actuellement on s'est rendu compte qu'on pensait qu'ils allaient beaucoup faire la Covid-19, mais ils sont moins infectés. Même au centre hospitalier Monkole, on peut dire que quand on compte les patients qui sont venus au covid-center, on voit que les drépanocytaires y sont moins infectés mais chez nous, il faut dire qu'on ne teste pas aussi tout le monde. Donc, peut-être que probablement dans la cité il y a des porteurs sains qui ne font pas la maladie. Mais ce qui est sûr ce qu'ils font moins la forme grave de covid dans cet épisode. Mais c'est des gens à risque, ils doivent toujours se protéger parce qu'on teste moins, ils doivent se protéger et respecter les mesures barrières par ce qu'ils sont susceptibles d'être infectés.

7SUR7 : Comment lutter contre la drépanocytose ?

Dr. R. B : Je pense que le moyen le plus efficace pour lutter contre la drépanocytose, c'est l'information. L'information passe par la sensibilisation dans les médias, dans les écoles, dans les universités, et après pour très bien lutter sur ça, c'est aussi le dépistage. Les gens doivent connaître s'il est de quel type d'hémoglobine. Ils doivent le connaître, ça doit être un dépistage systématique de tous les enfants qui naissent  pour bien lutter contre cette maladie. D'où, il faudra voir les choses en fonction des niveaux. Donc, il doit y avoir une sensibilisation qui doit se faire au niveau central, au niveau périphérique et après ça doit suivre dans tous les hôpitaux. Et là, on doit mener vraiment une croisade contre cette maladie qui est invisible mais qui existe au Congo par ce qu'on a pas un système efficace de dépistage.

7SUR7 : Un mot à l'endroit des drépanocytaires stigmatisés par la société et à toutes les personnes non-drépanocytaires ?

Dr. R. B : Je commencerai par les personnes qui sont non-drépanocytaires pour leur dire que sensibiliser, c'est bien, dépister, c'est mieux. On doit connaître son électrophorèse et hémoglobine, c'est important, c'est une maladie qui nous guette, qui guette tout le monde. Donc, on doit ouvrir les yeux sur une maladie qui est invisible au Congo.
Par contre, aux patients drépanocytaires, je vais leur dire que la drépanocytose n'est pas une fatalité, c'est une maladie, on peut vivre avec, on peut mieux vivre avec et on peut devenir quelqu'un avec cette maladie on peut se marier, on peut travailler tout en étant drépanocytaire. Donc, ils doivent être forts et doivent lutter contre cette maladie.

Propos recueillis par Christel Insiwe