
Au cours d’un point de presse organisé ce mardi 7 octobre 2025, le procureur général près la Cour des comptes, Salomon Tudieshe, a présenté le bilan de ses fonctions couvrant la période de juin 2022 à décembre 2024. Après un tour d’horizon général, il a dressé un bilan globalement positif, marqué par la réduction des cas de fautes de gestion et de gestion de fait en République démocratique du Congo.
D’entrée de jeu, les orateurs du jour , parmi lesquels les avocats généraux près le parquet de la Cour des comptes ont rappelé les missions de cette juridiction ainsi que ses limites légales. Ils ont précisé que la Cour des comptes se compose d’un parquet, dirigé par le procureur général Salomon Tudieshe, et d’un siège, dirigé par le premier président, Jimmy Munganga.
Selon le procureur général, durant cette période, son parquet a transmis 26 dossiers au siège à travers la Chambre de discipline budgétaire et financière (CDBF). Sur ces 26 affaires, 7 seulement ont été traitées, dont 6 sanctionnées par des arrêts.
« Le parquet général saisit le siège, c’est-à-dire la Chambre de discipline budgétaire et financière, pour les fautes de gestion. La Cour peut se saisir elle-même uniquement lorsqu’il s’agit de cas de gestion de fait. Sur base des rapports parvenus au parquet et des cas de dénonciation, la CDBF a été saisie de 26 déférés. Les déférés sont les actes par lesquels le procureur général transmet au siège une affaire en état d’être jugée. Sur ces 26 déférés, 7 ont été examinés, et 6 ont donné lieu à des arrêts rendus jusqu’en appel. On accusait le parquet de ne pas alimenter la procédure juridictionnelle : vous jugerez par ces chiffres — 26 déférés, 7 affaires jugées, 6 arrêts rendus. Il reste encore 19 déférés en instruction au niveau du siège », a-t-il déclaré.
Le procureur général a révélé que parmi les dossiers non traités figure une affaire de 10 millions USD impliquant Albert Yuma, alors directeur général de la Gécamines, dans laquelle le siège aurait violé la procédure.
« Nous avons relevé des cas d’insuffisance ou de défaut d’instruction concernant certains déférés. L’un d’eux portait sur une affaire de 10 millions USD de la Gécamines dont on ne retrouvait pas la trace. Ce dossier avait donné lieu à des mesures conservatoires. Or, selon l’article 39 de notre loi, la Cour des comptes ne peut proposer de telles mesures à l’autorité hiérarchique ou de tutelle que lorsque de graves irrégularités sont constatées. Ces mesures peuvent concerner la suspension ou la destitution de l’auteur des irrégularités, le blocage des comptes bancaires, l’interdiction de sortie du territoire, ou encore la nomination d’un intérimaire », a-t-il expliqué.
Et d’ajouter :
« Ces mesures ne peuvent être prises que si elles sont sollicitées auprès de l’autorité hiérarchique de la personne mise en cause. En l’espèce, le premier président de la Cour des comptes les avait prises sans se référer à aucune autorité. Elles étaient donc illégales et ont été annulées par le Conseil d’État. Mais le fond du dossier, c’est-à-dire les poursuites engagées devant la CDBF, n’a jamais été examiné. Cela s’appelle un déni de justice.»
Le procureur Tudieshe a également déploré le fait que cinq déférés trasmis au siège, relatifs à l’ancien gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), Déogratias Mutombo, n’aient toujours pas été traités par le siège, sans raison valable.
« Parmi les déférés transmis à la CDBF, cinq dossiers, déposés depuis septembre 2023, n’ont jamais connu d’instruction. Ils concernent tous l’ancien gouverneur de la BCC, poursuivi pour des fautes de gestion, notamment pour violation de la loi sur les marchés publics », a-t-il dénoncé.
Le procureur général a, en outre, relevé plusieurs autres irrégularités commises par le siège de la Cour, notamment sa tendance à se saisir d’office pour des fautes de gestion, ce que la loi ne lui permet pas, comme dans le cas de l’affaire Yuma.
Une autre violation dénoncée concerne les classements sans suite. D’après lui, seul le procureur général est habilité à classer une affaire, même si les faits ont été constatés par le siège.
« Lorsque le siège estime qu’une affaire doit être classée, il doit en proposer le classement au procureur général, qui est seul compétent pour le décider, et un seul motif est prévu par la loi : l’absence de charges. Or, à la Cour, certains dossiers ont été classés parce qu’on ne retrouvait pas la personne mise en cause. Dans un cas, nous avons réussi à contacter un mis en cause par WhatsApp, ce qui a permis de découvrir des éléments ayant conduit à la condamnation de son directeur général. Et pourtant, notre collègue du siège a estimé que le simple fait d’envoyer une invitation par WhatsApp constituait un motif de classement ! », a-t-il illustré.
Pour l’avenir, le parquet général près la Cour des comptes entend renforcer son rôle de levier au service du gouvernement, en veillant à la bonne utilisation des deniers publics et à la transparence dans la gestion des biens de l’État.
Enfin, il convient de rappeler que la Cour des comptes est une juridiction administrative spécialisée, institution supérieure de contrôle des finances et des biens publics, compétente sur toute l’étendue du territoire national. Elle conseille également l’État, le gouvernement et les administrations.
Conformément à sa loi organique, la Cour exerce deux types de contrôle : Le contrôle extrajuridictionnel, exercé par le siège, à travers des rapports, audits et missions de contrôle budgétaire ou de gestion ; et le contrôle juridictionnel, exercé par le parquet et matérialisé par des arrêts de la Cour, notamment dans le cadre du jugement des comptes, de la répression des fautes de gestion et de la gestion de fait.
ODN