Par NKUY KIMBUNGU WALLY-W. Chercheur en Sciences Po
L’accord signé entre Washington et Kinshasa sur les minerais stratégiques est présenté comme un partenariat « gagnant-gagnant ». Mais sa structure, ses priorités et son architecture de gouvernance révèlent une asymétrie profonde qui interroge la souveraineté congolaise. Beaucoup y voient moins une coopération qu’un transfert silencieux de leviers essentiels à un partenaire étranger, avec risque de faire de la RDC un simple protectorat des USA.
Ressources stratégiques : une priorité américaine qui limite le libre choix congolais
L’accord établit un droit de premier choix pour les entreprises américaines sur les minerais critiques congolais. Concrètement, aucun projet d’exploitation ou de transformation ne peut être proposé ailleurs avant d’être offert à Washington.
Cette préemption obligatoire, dissimulée derrière un organe binational, réduit la marge de manœuvre économique de la RDC et place les États-Unis en arbitres des orientations minières du pays.
Le Joint Steering Committee : une “co-gouvernance” à sens unique
Le Joint Steering Committee, structure centrale du dispositif, est officiellement paritaire. Mais ses prérogatives dépassent largement un cadre consultatif :
1. Validation des projets miniers et infrastructurels ;
2. Définition des quotas d’exportation ;
3. Tri des investisseurs ;
4. Supervision fiscale et logistique ;
Contrôle des changements de propriétaires de concessions. Au-delà de l’assistance technique, il s’agit d’une corégulation imposée, où chaque choix stratégique congolais dépend du feu vert américain. L’équilibre institutionnel est donc davantage apparent que réel.
Réformes légales sous contrainte
Le texte demande expressément à la RDC d’adapter ses lois — et potentiellement sa Constitution — en moins d’un an pour harmoniser son cadre juridique avec les exigences du partenariat.
C’est un saut qualitatif : la coopération n’oriente plus seulement les politiques publiques, elle conditionne la souveraineté normative même de l’État.
Surveillance directe des entreprises publiques
L’accord exige la transmission aux partenaires américains de données sensibles sur les entreprises minières étatiques :
organigrammes, bénéficiaires économiques, informations stratégiques.
Une telle intrusion serait inimaginable dans une relation strictement égalitaire. Elle installe un suivi permanent du cœur du secteur public minier congolais.
Un paradoxe politique saisissant
Il n’y a pas si longtemps, Kinshasa dénonçait une Constitution « écrite à l’étranger » et accusée de livrer la souveraineté nationale.
Ironie de l’histoire : le même pouvoir signe aujourd’hui un accord qui place plusieurs leviers essentiels — minerais, gouvernance, réformes légales, entreprises publiques — sous contrôle partagé, mais clairement déséquilibré.
Cet accord peut offrir des opportunités économiques, technologiques et sécuritaires. Mais il crée aussi un précédent dangereux : celui d’une souveraineté négociée, fragmentée, conditionnée. L’enjeu dépasse la mine : il s’agit de la capacité de la RDC à décider librement de ses choix stratégiques. Et à ce stade, l’équilibre penche nettement vers Washington.