Adolphe Muzito donne l'alerte:Nouvelles provinces et élections locales; la faillite de l'Etat, la vérité en chiffres

Lundi 20 avril 2015 - 09:15

Les opérations liées aux élections provinciales, urbaines, municipales et locales ainsi que celles relatives à l’installation des nouvelles provinces et entités locales relèvent, constitutionnellement, de la responsabilité du Gouvernement central.

Les dépenses y relatives pourraient ainsi être financées par le budget du Gouvernement central dans l’hypothèse où celui-ci disposerait des crédits à cet effet.
Le Gouvernement pourrait s’en sortir en recourant à des ressources extraordinaires, pour ces dépenses, qui restent ponctuelles. Cela pourrait se faire dans le cadre d’un budget rectificatif que le Gouvernement pourrait présenter au Parlement, au second semestre de l’année en cours.
La présente réflexion n’a donc pas pour préoccupation d’examiner les difficultés financières du Gouvernement liées à ces dernières opérations. Nous sommes conscient de leur coût élevé et de leur impact sur le budget du Gouvernement central, qui du reste ne l’a pas programmé pour l’année en cours.
Notre préoccupation ici concerne plutôt l’examen de la capacité financière de nouvelles provinces et entités territoriales décentralisées, à supporter leurs dépenses courantes, qui seront issues du démembrement et des élections locales, c’est-à-dire :
a) les crédits de fonctionnement et des rémunérations du personnel des nouvelles provinces, de leurs institutions et administrations ;
b) les crédits de fonctionnement et rémunérations des élus locaux, du personnel administratif et d’appoint desdites entités.
La réflexion porte sur la situation financière desdites provinces et ETD pour la période qui couvre le second semestre de l’exercice 2015 et l’exercice 2016, après leur mise en place.
Après leur mise en place les nouvelles provinces ainsi que l’ensemble des ETD, au niveau actuel de leur potentiel fiscal et de la rétrocession leur versée par le Gouvernement central, seraient-elles capables de couvrir leurs dépenses de rémunération du personnel politique et administratif ?

I. Découpage : Impasse budgétaire de nouvelles provinces pour l’Exercice 2015
Nous partons de la clef habituelle de répartition des 40% des recettes à caractère national, telle que fixée par le Gouvernement de la République, au courant de la période 2012 - 2015, pour voir si, avec la quotité de ces recettes, soit 241 milliards de FC en 2015, les 26 provinces pourront couvrir les dépenses de fonctionnement, celles des rémunérations de leur personnel et rétrocéder aux entités administratives, les 40% qui leur reviennent.
Comme on l’a relevé dans la précédente tribune, le Gouvernement en 2015 repartit de la manière ci-après les 2.033 milliards de FC, soit 40%, alloués aux 11 provinces :
- les 1.790 milliards de FC affectés aux investissements provinciaux et aux rémunérations des personnels des domaines à compétences exclusives (EPSP, Santé, Agriculture, Affaires coutumières,….) ;
- les 241 milliards de FC aux fonctionnements des provinces et leurs entités administratives (rémunérations du personnel politique) et fonctionnement des institutions provinciales et des ETD.
En répartissant le crédit de fonctionnement (241 milliards de FC) entre les 26 provinces, on constate qu’en moyenne chacune de nouvelles provinces va encaisser une tranche inférieure à 14 milliards de FC, crédit minimum de fonctionnement versé au Maniema en 2015.
En accordant ainsi à chaque nouvelle province ce minimum de 14 milliards de FC pour son fonctionnement, le crédit total nécessaire pour le fonctionnement de ces 26 provinces s’élève à 411 milliards de FC.
Par rapport au crédit total de fonctionnement disponible pour les 26 provinces en 2015, soit 241 milliards de FC, le montant de 411 milliards de FC ne peut être couvert que partiellement par ces 241 milliards de FC.
D’où l’impasse de 170 milliards de FC qui implique le déficit de toutes les nouvelles provinces en dehors de l’Ituri et du Haut Katanga.
Le déficit ou besoin de financement pour les 19 nouvelles provinces va donc s’élever à 170 milliards de FC (soit 411 milliards - 241 milliards de FC) pour ledit exercice, comme l’indique l’Annexe n°1.
Il est à noter bien évidemment qu’il faut considérer plutôt la moitié de ce besoin de financement, soit 85 milliards de FC, car celui-ci ne couvre que la moitie de l’année, c’est-à-dire le dernier semestre 2015.
Ce déficit pour 2015, soit 170 milliards de FC lié au découpage ne va pas être couvert en 2016, en dépit du fait que le budget en ressources propres du Gouvernement central va augmenter de près de 12% (notre hypothèse, Tableau ci-après). La quotité additionnelle de la part que le Gouvernement central va verser aux nouvelles provinces, soit 44 milliards de FC (285 milliards de FC - 241 milliards de FC) en 2016, ne va pas couvrir ce besoin de financement lié à l’opération du démembrement (170 milliards de FC).
Evolution du budget de l’Etat et prise en charge du coût lié aux nouvelles provinces (Budget 2016)
II. Elections locales : Déficit inhérent à la mise en place des organes délibérants et exécutifs locaux issus des élections locales
L’impact sur les budgets des ETD est ici double. Il concerne les dépenses de rémunérations des personnels politiques et administratifs des ETD et les dépenses de fonctionnement de celles-ci.
2.1. Elections locales : Impact lié aux rémunérations des personnels politiques et administratifs des ETD (Annexe n°2)
Avec les nouvelles provinces, la République Démocratique du Congo compte 1.433 Entités Territoriales Décentralisées (ETD) dont 97 villes, 336 communes urbaines, 267 communes rurales, 474 secteurs et 259 chefferies.
A l’issue des élections locales et municipales projetées en 2015, le personnel politique des institutions locales aura un effectif de près de 40.948 dont 16.452 élus comprenant :
- 1.344 Conseillers urbains élus au suffrage indirect à raison de 4 conseillers par commune urbaine ;
- 194 Maires et Maires adjoints ;
- 7.844 Conseillers communaux (pour une moyenne de 13 conseillers par commune) ;
- 1.206 Bourgmestres et Bourgmestres adjoints ;
- 3.318 Conseillers de secteurs ;
- 474 Chefs de secteurs ;
- 1.813 Conseillers de chefferie et
- 259 Chefs de chefferie.
A cela s’ajoute 2.963 Echevins dont 291 urbains, 1.206 communaux et 1.466 pour les secteurs et chefferies.
Quant au personnel d’appoint, il est estimé à 21.533 avec une moyenne de 2 agents pour les membres des bureaux des organes délibérants et exécutifs locaux.
Avec un barème de :
- Maire 500 $
- Maire Adjoint 450 $
- Conseiller Urbain 400 $
- Echevin 400 $
- Bourgmestre 400 $
- Bourgmestre Adjoint 350 $
- Conseiller communal 300 $
- Chef de secteur ou chefferie 400 $
- Conseiller de secteur ou chefferie 250 $
L’impact annuel des rémunérations est de 110 milliards de FC soit 118 millions de USD qu’il faut rechercher en 2016.
2.2. Elections locales : Impact lié aux dépenses de fonctionnement des ETD (Annexe n°3)
Si le fonctionnement minimal d’une ETD est estimé à 5.000 $ pour une ville, 3.500 $ pour une commune et 1.300 $ pour un secteur ou une chefferie, l’impact annuel est de 40 milliards de FC, soit 43 millions de USD.
Les ressources additionnelles de la rétrocession en 2016 soit 44 milliards de FC ne pourront pas couvrir non plus les dépenses additionnelles liées aux rémunérations des ETD et au fonctionnement des organes issus des élections locales et municipales, soit 150 milliards de FC, c’est -à- dire :
- 110 milliards de FC de rémunérations des ETD
- 40 milliards de FC de fonctionnement des ETD.
Comme on le voit le fonctionnement des organes issus des élections locales et municipales combiné avec celui lié à l’installation de nouvelles provinces nécessite des crédits de 320 milliards de FC en ressources courantes, soit :
- 170 milliards de FC de l’impasse de nouvelles provinces
- 110 milliards de rémunérations des ETD
- 40 milliards de FC de fonctionnement des ETD, que le budget des provinces et des ETD ne pourront couvrir en 2016 et qu’il faudra chercher.
Il nous revient de rappeler que le Gouvernement central ne verse pas aux provinces la totalité de l’enveloppe des 40 %. Les provinces, elles aussi, de ce fait, éprouvent du mal à le faire au profit des ETD, sur les quotités leur versées par le pouvoir central, comme sur leurs ressources propres.
Deux raisons expliquent clairement cette situation :
D’abord, celle liée à la modicité des montants que leur verse le Gouvernement central, deuxièmement celle liée au faible taux de mobilisation de leurs budgets en ressources propres, qui se situe autour de 30 et 40%.
Pour cette raison, les ETD auront ainsi des difficultés pour couvrir les déficits ci-haut relevés de leurs budgets.
Il apparait clairement qu’après leur installation en 2016, les 1.433 ETD seront dans leur quasi-totalité en faillite, puisqu’elles ne disposeront pas de crédits nécessaires, soit 150 milliards de FC pour financer leur fonctionnement et payer les salaires des élus et du personnel administratif.

III. Démocratie locale et tendance à l’augmentation du train de vie de l’Etat au détriment des dépenses de développement local
Nous rappelons que le budget du Gouvernement congolais en ressources propres connaît, depuis 2001, un taux d’accroissement très impressionnant.
Il est passé de 300 millions d’USD en 2001 à 6 milliards d’USD en 2015. Ce dont le pays doit se féliciter.
Cependant, il reste encore très bas par rapport aux défis d’un pays qui a un grand retard à combler, dans la construction d’un appareil de l’Etat digne de sa taille.
Le Gouvernement au courant de ces dernières années (2001-2015), a toujours eu tendance à consacrer les augmentations successives des ressources publiques, à l’amélioration du train de vie de l’Etat pour ramener celui-ci à la normalité. D’où l’augmentation dans la période plus que proportionnelle des dépenses de souveraineté au détriment de celles des infrastructures.
C’est ainsi que le budget en ressources propres du pays bien qu’ayant passé de 2 milliards de USD en 2008 à 6 milliards de USD en 2015, les quotités relatives au social (salaires) et aux infrastructures, n’ont pas respectivement augmenté dans les mêmes proportions.
Bien au contraire, c’est le train de vie de l’Etat qui a augmenté plus que proportionnellement.
Cette tendance qui correspond à un besoin légitime de rattrapage, présente un danger.
Nous pouvons illustrer cette affirmation avec un petit exemple historique. En 2008, avec un budget de 2 milliards de USD en ressources propres, le Gouvernement de la République, avait signé un accord de financement de 3 milliards de USD avec les partenaires au profit du programme des infrastructures publiques. Ce programme prévoyait des décaissements annuels sur 5 ans de 600 millions de USD.
Ce crédit a, à ce jour été faiblement mobilisé. Cependant, entre 2008 et aujourd’hui, le Gouvernement a su augmenter son budget en ressources courantes qui sont passées de 2 milliards à 6 milliards de USD, soit une augmentation de 4 milliards de USD.
Bien que le crédit chinois n’a pas été mobilisé significativement pour financer l’ambitieux programme des infrastructures, les ressources nationales propres qui ont augmenté dans l’entretemps, n’ont pas été utilisées pour combler le gap.
Et, on constate tristement que les infrastructures routières n’ont pas été modernisées, celles commencées n’ont pas été parachevées (RN 1) à cause d’un certain penchant de notre part à chercher à normaliser le confort de l’Etat et son train de vie à chaque fois que ses ressources budgétaires augmentent.
On peut dire que la démocratie locale avec la mise en place des entités des organes politiques à la base est en train de prendre le pas sur la construction, le développement économique et le renforcement administratif desdites entités.
Pour financer les nouvelles charges liées à l’installation des organes des entités locales, le Gouvernement devra orienter les ressources courantes additionnelles, aux salaires d’un personnel politique improductif, au dépens de la modernisation des routes de dessertes agricoles et des dépenses de salaires des enseignants dont 250.000 unités restent non payées depuis de nombreuses années.

L’ETAT CONGOLAIS EN FAILLITE NON DECLAREE
La RDC est un Etat en faillite non déclarée et cela dès sa naissance. Elle n’est pas encore parvenue à sortir de cet état. Bien que son budget connait un taux de croissance impressionnant depuis 2001, celui-ci n’a pas encore atteint son niveau optimal du fait du retard historique à rattraper économiquement parlant.
La tendance pour le Gouvernement, entre-temps, de privilégier le retour à la normalité dans son effort de refondation de l’Etat (renforcement de la défense, de la justice, de la diplomatie et en perspective de la mise en place des institutions locales) ne devrait pas nous faire oublier certaines obligations pour lesquelles, l’Etat est, là aussi, en retard de normalisation.
Notre Etat, en effet, peine encore :
- à payer ses factures d’eau et d’électricité ;
- à subventionner ses entreprises publiques, toutes aussi, en faillite non déclarée ;
- à payer les salaires de 250.000 enseignants non mécanisés ;
-à payer sa dette intérieure ;
- etc.
Si ces créanciers étaient organisés en force sociale, la faillite de l’Etat serait déjà déclarée.
En plus de ce passif, les dépenses des nouveaux élus, à la base, vont constituer une menace à l’équilibre politique et social déjà précaire. Car le Gouvernement va, à travers ces nouveaux élus, se créer un type de créanciers (dont du reste les prestations seront sujet à caution), qui vont le mettre en difficulté, par leurs revendications.
Que faire ?
Propositions
Puisque le programme de la mise en place de nouvelles provinces est résolument engagé,
1. Pour financer les déficits financiers desdites provinces, le Gouvernement doit obtenir le vote rapide par le Parlement de la loi relative à la caisse de péréquation dont les fonds pourront dégager, de manière exceptionnelle, des ressources pour faire tourner les nouvelles provinces, en attendant l’augmentation, dans la période, du budget courant de l’Etat.
De manière exceptionnelle, parce que la vocation des ressources de la caisse est de financer les dépenses d’investissement dans le but d’équilibrer le développement des provinces.
Le Gouvernement devra éviter de financer les déficits de nouvelles provinces avec les crédits des investissements provinciaux ou des rémunérations du personnel des domaines de compétences exclusives (Santé, EPSP, Agriculture, Affaires coutumières,….).
2. Pour les déficits consécutifs à la mise en place des organes délibérants et exécutifs des entités locales
1) Mise en garde
a) Pour la caisse de péréquation
Le Gouvernement doit s’interdire de financer dans la période le déficit courant des ETD avec les ressources du fond de péréquation, une fois ce fonds mis en place, car ce serait le détourner de leur objectif constitutionnel, celui de corriger les déséquilibres de développement des provinces.
b) Pour les crédits d’investissements provinciaux
L’option du Gouvernement consistant à consacrer 50% de l’enveloppe de la rétrocession aux investissements provinciaux est appréciable, même si nous aurions aimé voir le Gouvernement donner aux provinces la gestion de ces crédits.
Le Gouvernement devrait s’interdire d’orienter ces crédits aux financements des déficits courants des entités locales ni réduire leur augmentation au profit des finances desdits déficits.
c) Les crédits des rémunérations du personnel
(EPSP, Santé, Agriculture, Affaires coutumières,…)
Ces crédits devraient plutôt augmenter pour rattraper les arriérés salariaux de ces secteurs et financer de nouveaux recrutements.
2) Faute des ressources pour couvrir les charges liées à la mise en place des organes délibérants et exécutifs des ETD, le Gouvernement devrait reporter pour 2021 les élections locales en attendant que le pouvoir central atteigne le seuil budgétaire annuel de 10 milliards de USD en ressources propres et que les gouvernements provinciaux améliorent la capacité de mobilisation de leurs ressources propres, et mettent à profit cette période pour :

o construire et moderniser les routes provinciales et de desserte agricole ;
o financer l’équipement des ETD ainsi que le renforcement des capacités de leurs personnels politiques et administratifs.

Fait à Kinshasa, le 20 avril 2015.
Adolphe MUZITO

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