CONTROVERSE AU TOUR DE LA GESTION D’UNE MOTION DE DEFIANCE FACE A UNE MOTION INCIDENTIELLE AUBIN MINAKU JOUE LA CARTE DE LA HAUTE COUR

Lundi 14 décembre 2015 - 06:03

Pour mettre fin à la polémique née de la motion incidentielle ayant cassé le vendredi dernier la motion de défiance contre le Vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur, Aubin Minaku n’a pas tardé un seul instant à jouer à fond le jeu des institutions. Le speaker de la Chambre a déposé le même jour à la Cour Constitutionnelle, une requête en interprétation des dispositions des articles 146 et 147 de la Constitution.
Question pour le Président de l’Assemblée nationale d’inviter la haute cour à trancher une fois pour toute. La démarche d’Aubin Minaku est saluée par tous ceux qui ne jurent que par le respect de la légalité. Car, il n’y a que la Cour constitutionnelle qui est habilitée d’interpréter les dispositions de la Constitution.
A propos du sujet qui fait polémique, Aubin Minaku n’est pas à son premier geste républicain. Il avait déjà initié la création d’une commission dont le but est d’examiner en amont la recevabilité des motions de défiance. Cette initiative est restée longtemps en veilleuse du fait de certaines pesanteurs provenant de l’Opposition, confient des observateurs croisés dans le Hall du Palais du peuple. Maintenant que cette controverse remonte encore à la surface, il appartient à la Cour constitutionnelle saisie par Aubin Minaku de trancher ce débat.

L’ambiance qui a régné vendredi dernier dans les travées de l’Hémicycle, pose à nouveau la question basique de la configuration de la Chambre. Ici comme ailleurs, le Parlement fonctionne sous le régime de la Majorité et de l’Opposition. Sur fond du respect de la Constitution et du Règlement intérieur, c’est en fait le vote de la majorité qui détermine le cours de débats et non l’inverse. Pas la peine de chercher à inventer la roue en la matière, estime un connaisseur de la vie parlementaire.
D’autre part, la motion de défiance contre le VPM en charge de l’Intérieur pose un problème autrement plus délicat, celui de l’irresponsabilité politique du chef de l’Etat devant le Parlement. Car, les commissaires spéciaux et leurs adjoints ont été bel et bien nommés par le Président de la République. Devrait-on aller jusqu’à discuter des actes posés par le chef de l’Etat au sein de l’Assemblée ? Ce qui reviendrait, ni plus ni moins, à violer la Constitution.

Une controverse règne depuis un certain temps à l’Assemblée nationale concernant la gestion d’une motion de défiance face à une motion incidentielle. C’est ce qui ressort de la mise au point du Président de cette chambre lors de la plénière agitée du vendredi 11 décembre dernier. Des questions se posent à l’hémicycle si une motion incidentielle peut interrompre une motion de défiance. Face à cette problématique, le président de la chambre basse s’en remet à la Cour constitutionnelle pour l’interprétation de l’article 146 de la Constitution relative à la procédure de débat sur la motion de défiance contre les ministres.
Aubin Minaku recadre les choses. Pour le speaker de la chambre basse du Parlement, le rôle du bureau de cette institution est de faire en sorte que la Majorité n’écrase arbitrairement l’Opposition. De même pour l’opposition, si cela peut arriver, a-t-il ajouté. " Notre rôle est de faire jouer les règles de la démocratie afin que tout le monde puisse s’exprimer dans le délai imparti ". Il a tenu à apporter des éclaircissements sur la personne interpelée ou la personne frappée par une motion.
Le président de l’Assemblée nationale est d’avis que cette question devait être gérée soit au niveau du bureau soit à la conférence des présidents pour tamiser ces différentes motions. « Aussi, il faut éviter le retrait de signatures pour des motions afin d’améliorer la pratique au sein de notre chambre et vaincre la corruption donc l’essentielle de la démarche ».
Le même vendredi la requête sur la saisine de la Cour était déposée au bureau du Président de cette haute institution de la République.

BOSHAB SAUVE PAR UNE MOTION INCIDENTIELLE
La plénière du vendredi dernier à la chambre basse du parlement était consacré essentiellement à l’examen et vote de la motion de défiance contre le vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité Evariste Boshab. Après l’exposé du porte parole de l’opposition signataire de cette motion répertoriant tous les griefs retenus à l’endroit du patron de la territoriale, Une motion incidentielle du député Ramazani Shadari a clos le débat.
Pour cet élu du peuple Evariste Boshab ne porte aucune responsabilité dans la nomination des commissaires spéciaux et leurs adjoints. D’après lui, cette motion ne présentait aucune chance de recevabilité avant de poursuivre, la motion de défiance remet en selle le débat sur les questions que la Cour avait déjà tranchées. " Les commissaires spéciaux ont été nommés par une ordonnance présidentielle contre signée par le Premier ministre qui en a la responsabilité politique ", a expliqué le président du groupe parlementaire PPRD. Et de lâcher : " Mauvaise cible de la motion ".
Les députés de l’opposition signataires de la motion contre Evariste Boshab ont claqué la porte pour ne revenir qu’après interprétation de la Cour sur l’article 146 de la loi fondamentale. Mathy MUSAU

REQUETE EN INTERPRETATION DES DISPOSITIONS DES ARTICLES 146 ET 147 DE LA CONSTITUTION DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO DU 18 FEVRIER 2006, MODIFIEE PAR LA LOI N°11/002 DU 20 JANVIER 2011 PORTANT REVISION DE CERTAINS ARTICLES DE LA CONSTITUTION
A :

Image retirée. Monsieur le Président de la Cour Constitutionnelle ;
Image retirée. Messieurs les Membres de la Cour Constitutionnelle
à Kinshasa/Gombe

Messieurs les Hauts Magistrats,
L’Assemblée nationale ayant son siège au Palais du Peuple, dans la commune de Lingwala, dans la ville de Kinshasa, poursuites et diligences de l’Honorable Aubin MINAKU NDJALANDJOKO, son Président, agissant en vertu des dispositions de l’article 161 de la Constitution et de l’article 29 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale adopté le 16 mars 2012 et déclaré conforme à la Constitution par la Cour Suprême de Justice, faisant office de Cour Constitutionnelle, par l’arrêt R.Const. 184/TSR du 26 mars 2012 ainsi que de l’article 54 de la Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
A l’honneur de saisir la Cour Constitutionnelle aux fins d’interpréter les articles 146 et 147 de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 modifiée par la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution, et d’exposer à cet effet ce qui suit.
Aux termes de l’article 146 de la Constitution, l’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement ou d’un membre du Gouvernement par le vote d’une motion de censure ou de défiance.
L’article 138 de la Constitution précise que les moyens de contrôle de l’Assemblée nationale sur le Gouvernement s’exercent dans les conditions déterminées par le Règlement intérieur et donnent lieu, le cas échéant, à la motion de défiance ou de censure conformément aux articles 146 et 147 de ladite Constitution. Ces motions de défiance ou de censure sont examinées en séance plénière.
Au cours de la séance plénière organisée le 04 mai 2015 par l’Assemblée nationale à la suite d’une motion de défiance dirigée contre un membre du Gouvernement, une motion incidentielle a été soulevée par un Député national.
Lors du débat sur le bien-fondé de ladite motion incidentielle, deux tendances se sont dégagées sur la question de savoir si une telle motion incidentielle peut être soulevée dans le processus du débat et du vote d’une motion de censure ou de défiance déjà programmée en plénière,
La première tendance soutient qu’une motion incidentielle peut être soulevée à tout moment et son examen est préalable à tout débat sur une question principale, en l’occurrence elle peut arrêter le débat et le vote d’une motion de censure ou de défiance dirigée contre le Gouvernement ou un membre du Gouvernement.
Cette tendance fonde son argument sur le prescrit des articles 69, alinéas 1 et 6, et 70 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, du reste déclaré conforme à la Constitution, aux termes de l’arrêt R.Const.184/TSR du 26 mars 2012 prérappelé.
En effet, l’article 69 du Règlement intérieur, qui organise la procédure de débat parlementaire en séances plénières, donne à tout membre de l’Assemblée nationale la faculté de demander, avant ou au cours d’un débat, la parole par motion d’ordre, motion de procédure, motion d’information, motion préjudicielle ou par motion incidentielle. L’alinéa 6 de cet article 69 précise que la motion incidentielle est celle qui intervient au cours des débats et sur laquelle l’Assemblée nationale doit se prononcer avant de commencer ou de poursuivre les débats sur une question principale.
Et pour renchérir, l’article 70 dudit Règlement Intérieur stipule que la motion a priorité sur la question principale. Elle suspend la discussion et la motion est mise aux voix.
Cette tendance estime que la motion de défiance ou de censure est une question principale dont le débat et le vote peuvent être suspendus par l’Assemblée plénière à la suite d’une motion incidentielle sollicitée par un membre de l’Assemblée nationale conformément aux dispositions des articles 69 et 70 susvisés.
Cette tendance soutient aussi que la motion incidentielle ou préjudicielle permet à l’Assemblée plénière de veiller au respect de la Constitution et de la législation nationale lors de l’examen de toute matière ou de toute question principale, en l’occurrence la motion de défiance ou de censure.
La deuxième tendance estime quant à elle qu’une motion incidentielle ne peut arrêter le débat et le vote d’une motion de censure ou de défiance dirigée contre le Gouvernement ou un membre du Gouvernement. Cette tendance fonde son argumentaire sur le prescrit des articles 146, alinéas 2 et 3, et 147 de la Constitution et 209, alinéas 1, 2, 3, 4 et 5 du Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale, qui déterminent les conditions de leur recevabilité, ainsi libellés :
" L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement ou d’un membre du Gouvernement par le vote d’une motion de censure ou de défiance. La motion de censure contre le Gouvernement n’est recevable que si elle est signée par un quart des membres de l’Assemblée nationale. La motion de défiance contre un membre du Gouvernement n’est recevable que si elle est signée par un dixième des membres de l’Assemblée nationale.
Le débat et le vote ne peuvent avoir lieu que quarante-huit heures après le dépôt de la motion. ( ... ) ",
Cette tendance soutient que la recevabilité de la motion est appréciée par le Bureau de l’Assemblée nationale au regard des signatures requises par la Constitution et le Règlement intérieur de cette Chambre législative.
En outre, cette tendance opine que la motion de censure ou de défiance est une question déterminée tant par la Constitution que par le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. De ce fait, elle ne rentre pas dans la catégorie d’une question principale au sens de l’article 69 du Règlement intérieur susvisé. Elle serait une question spéciale dont la procédure et les conséquences seraient déterminées par les articles 146 et 147 de la Constitution. Elle estime également que la motion incidentielle soulevée à la suite d’une motion de défiance ou de censure n’est pas une question principale au sens de l’article 69, mais constitue un élément de débat susceptible d’influencer le vote dans un sens ou dans un autre.
Elle considère que dès lors que, après vérification du nombre des signatures requises par le Bureau de l’Assemblée nationale et la convocation de l’Assemblée plénière pour débat et vote, aucune motion incidentielle ne peut empêcher le déroulement du débat et le vote de la motion selon la procédure et les délais de quarante-huit heures fixés par les articles 146 de la Constitution et 209 du Règlement intérieur.

Recevabilité de la requête
Cette requête est mue conformément à l’article 161 ce la Constitution et à l’article 54 de la Loi organique n013/026 c, 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle ainsi que de l’article 29 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
Elle sera dès lors déclarée recevable.
Par ces motifs,
Plaise à la Cour Constitutionnelle, d’interpréter les articles 146 et 147 de la Constitution pour savoir si l’Assemblée nationale, lors de l’examen et des débats sur la motion de défiance contre un membre du Gouvernement et/ou d’une motion de censure contre le Gouvernement, peut faire usage des motions incidentielles ou préjudicielles.

Fait à Kinshasa, le 11 DEC 2015
Pour l’Assemblée nationale
Demanderesse en interprétation

INVENTAIRE DES PIECES
Image retirée. Le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale adopté le 16 mars 2012 ;
Image retirée. L’Arrêt de la Cour Suprême de Justice R.CONST.184/TSR du 26 mars 2012 en en matière d’appréciation de la conformité à la Constitution du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale ;
Image retirée. Le procès-verbal de la Séance plénière de l’Assemblée nationale du 12 avril 2012 ayant élu l’Honorable Aubin MINAKU NDJALANDJOKO comme Président de l’Assemblée nationale.
Image retirée. Le procès-verbal de la séance plénière de l’Assemblée nationale du 04 mai 2015 consacrée à l’examen de la motion de défiance contre le Vice-Premier Ministre, Ministre de l’Intérieur et Sécurité.