Dr Michel Courteaud : « Ne désespérons pas »

Mardi 16 décembre 2014 - 09:00

Des inquiétudes sur l'épidémie Ebola, la plus grave depuis l'identification du virus en 1976, subsistent et suscitent des interrogations. Michel Courteaud, docteur et spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, attaché à l’hôpital La Pitié-Salpêtrière à Paris, a accepté de répondre aux questions de Robert Kongo, notre correspondant en France, sur cette maladie dont le bilan frôle les 6 500 morts, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

C’est quoi la maladie à virus Ebola ?

Au tout début de cette maladie, on a eu du mal à savoir ce que c'était. Au fil du temps, on s'est aperçu qu'il s'agit d'une maladie qui se transmet rapidement et qui entraine une fois sur deux le décès du patient. C'est la maladie à virus Ebola. C'est un tout petit microbe, beaucoup plus petit qu'une bactérie, inaccessible aux antibiotiques usuels. Pour l'instant, il n'existe aucun médicament pour tuer ce virus, qui se transmet par contact des sécrétions (sueurs, vomissements, diarrhées), voire par contact avec les sécrétions même d'un défunt.

Quels sont les symptômes de cette maladie ?

La maladie à virus Ebola se caractérise par une soudaine montée de fièvre, des vomissements, des diarrhées, des saignements diffus... suivis du décès par choc cardiorespiratoire dans 50 à 90% des cas.

Où et quand ce virus a-t-il été découvert pour la première fois?

Pour l'histoire, le virus Ebola a été nommé ainsi en référence à une rivière passant près de la ville de Yambuku, dans le Nord du Zaïre, aujourd'hui République démocratique du Congo. C'est à l'hôpital de cette localité que le premier cas de fièvre hémorragique Ebola fut identifié, en septembre 1976 par le médecin belge Peter Piot de l'Institut de médecine tropical d'Anvers, annonçant une première épidémie qui allait alors toucher 318 personnes et en tuer 280.

Pourquoi se transmet-il aussi rapidement ?

Il s'agit d'un tout petit virus; il ressemble à un fil qui passe à travers la peau. Il passe donc très rapidement dans l'organisme. En 2, 3 jours, il s’y  diffuse. Et en moins d'une semaine, le malade va présenter brutalement une fièvre élevée avec des frissons. On se croirait face à une infection virale aigüe provoquée par un virus grippal. Le patient ne présente aucun signe d'infection respiratoire. Pourtant, le virus est bel et bien dans l'organisme. Au bout de 8 jours à 3 semaines maximum, la maladie se déclare.

Comment peut-on éviter la contamination ?

Ebola est une maladie qui se transmet par la voie cutanée. Pour l'éviter, il ne faut pas simplement toucher le sujet malade.

Quelle stratégie faut-il mettre en place pour lutter contre cette maladie?

C'est d'éviter tout contact direct avec le sujet suspect d'héberger le virus. C'est la stratégie intelligemment mise en place par les pays touchés par cette maladie,  même si cela a pris quelques mois. Il est ainsi recommandé de séparer les gens entre eux pour qu'il n y ait pas trop de promiscuité. Car, laisser les gens se toucher dans un Taxi-Brousse, dans un autocar, dans une mosquée... peut forcément favoriser la transmission.

Pourtant, l'isolement ou la mise en quarantaine des individus n'a pas suffi à empêcher le virus de se propager. Comment expliquez-vous cela?

L'isolement est difficile à être complet parce que nous sommes des êtres sociables et nous avons besoin de contact les uns avec les autres, c'est-à-dire de nous serrer les mains, de nous embrasser en famille...Vivre séparément des siens n'est pas naturel pour l'espèce humaine. Malheureusement, on doit s'y faire. Tant que la maladie n'est pas déclarée, on ne peut pas savoir si la personne que l'on côtoie est déjà atteinte du virus. Ou d'ailleurs vous même. Pendant les 8, 15 premiers jours, nul ne peut le savoir. Pourtant, ils sont multipliés dans l'organisme. Entre-temps, on va faire des voyages et on va transporter le virus partout.

Aujourd’hui, on parle d’Ebola en Guinée, en Sierra Leone, au Liberia voire au Mali. Y a-t-il un risque réel d’extension sur le continent africain ?

Ce qui frappe dans l'épidémie actuelle d'Ebola, c'est qu'au-delà d'une flambée, on a un vrai incendie qui touche trois pays et qui peut entraîner une grande frayeur pour les autres capitales de l'Afrique de l'Ouest. C'est la raison pour laquelle les contrôles sanitaires dans les pays de cette région sont devenus sévères. C'est une bonne chose.

Le risque d’une pandémie existe-t-il dans les pays occidentaux ?

Le virus Ebola n'est pas tributaire de la température du pays dont il est issu. Il s'agit d'une fièvre hémorragique qui peut subvenir sur toutes les latitudes. Evidemment, on pense souvent à une origine due aux rongeurs sauvages et aux chauves-souris; aux pays à climat tropical humide. Mais ce virus peut aussi se transmettre dans des pays à climat tempéré, parce qu'il touche l'homme et se transmet par contact.

Peut-on, aujourd’hui, parler  d’une catastrophe humanitaire?

Il y a 6 mois, personne n'aurait pensé que cette petite flambée épidémique, qui est restée depuis près de 40 ans géographiquement très circonscrite, prendrait des proportions particulièrement inquiétantes. Le virus s'est répandu beaucoup plus vite qu'on pouvait l'imaginer. Tout le monde a été pris au dépourvu. On a ainsi pensé à une catastrophe. Donc, pour circonscrire les choses, des mesures de santé publique draconiennes ont été prises, notamment séparer les individus afin d'éviter le contact.

L’action de la communauté internationale face à cette menace est-elle assez efficace, selon vous ?

La gestion actuelle de l'épidémie d'Ebola par la communauté internationale est efficace, mais elle a été trop tardive et d'ampleur insuffisante pour endiguer rapidement la progression de l'épidémie. L'OMS a déclaré l'état d'urgence en août, et la résolution du Conseil de sécurité date de septembre. Mais, mieux vaut tard que jamais!

Arrivera-t-on à freiner un jour la propagation de cette épidémie?

Freiner oui, mais  pas endiguer. Pour le moment.

Y'a-t-il bon espoir que l’on puisse lui trouver un vaccin dans les mois à venir ?

La recherche vaccinale a été boostée par cette épidémie Ebola 2014 qui, je l'espère, ne tournera pas à la pandémie. En tout cas, il y a bon espoir mais pas avant un an. Le délai de fabrication est très long.

Le monde n’est-il pas en train de perdre la course contre ce virus ?

Nous avons déjà gagné des combats contre certaines maladies. Donc, il n y a pas de raison que nous ne puissions pas gagner celui contre Ebola. Ne désespérons pas. Surtout, pas de panique! Prenons plutôt toutes les précautions afin d'éviter la propagation du virus. Eviter au maximum tout déplacement qui occasionne le contact. La chaine d'isolement des individus doit être continue.