Droits de l’homme en RD Congo : Fosse commune de Maluku, le scandale de l’année 2015

Mardi 22 décembre 2015 - 12:13

Des disparitions forcées, plusieurs opposants toujours en prison et sans espoir de retrouver la liberté, terreur et brutalité des forces de sécurité contre les populations civiles, la liberté d’opinion malmenée, parodie de justice dans l’affaire Chebeya,… le bilan est triste

L’affaire qui aura dominé l’actualité au cours de cette année qui s’achève, par rapport aux droits de l’homme, c’est celle de la fosse commune découverte à Maluku, dans la périphérie de Kinshasa.

A en croire des ONG de droits de l’homme, près de 421 corps auraient été inhumés nuitamment dans cette fosse commune. Des habitants de cette zone, des leaders de l’opposition, la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RD Congo (MONUSCO) et des organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, avaient exprimé leurs inquiétudes au sujet de cette inhumation massive effectuée dans la nuit du 19 au 20 mars à la lisière du cimetière de Fula-Fula à Maluku, et à laquelle des forces de sécurité gouvernementales auraient participé.

Le gouvernement n’a jamais fait exhumer ces dépouilles ni révélé les identités des personnes enterrées. Selon Kinshasa, cette inhumation était une « procédure normale et les dépouilles seraient celles des indigents dont les familles n’avaient pas de moyens de financer un enterrement décent, de personnes décédées non identifiées et des bébés morts- nés ».

Toutefois, des responsables de la Croix-Rouge congolaise ainsi que des employés d’hôpitaux et de morgues auraient affirmé à Human Rights Watch que cet enterrement massif n’avait pas respecté la procédure normale.

HRW n’exclut pas que les corps enterrés dans cette fosse commune soient les cadavres des victimes de disparitions forcées ou d’exécutions commises par les forces de sécurité congolaises dans le cadre de l’opération « Likofi » ou lors des émeutes que la ville de Kinshasa a connues en janvier 2015.

L’année 2015 touche à sa fin et laisse un goût amer en République Démocratique du Congo concernant les droits de l’homme et la justice, comme en témoignent un nombre important d’opposants.

Des leaders de mouvements citoyens continuent à croupir injustement dans les cachots à travers le pays et sans espoir de recouvrer la liberté. La brutalité dont font montre les forces de défense et de sécurité à l’endroit de tous ceux qui s’opposent aux manœuvres du pouvoir visant à donner un troisième mandat à Joseph Kabila, reflète également l’image de cette année finissante.

Selon un récent rapport de Human Rigths Watch (HRW), 12 personnes ont été arrêtées le 28 novembre 2015 lors d’une manifestation pacifique organisée à Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, par le mouvement citoyen des jeunes LUCHA.
Ces jeunes ont été arrêtés pour s’être exprimés contre des tentatives de prolonger le mandat du président Kabila.

Traque des mouvements citoyens et défenseurs des droits de l’homme

Le 3 décembre 2015, le maire de la ville de Goma, Dieudonné Malere, a publié une déclaration interdisant les activités de Lucha. Pourtant, la loi congolaise autorise à toute organisation de manifester pacifiquement même sans être enregistrée en tant qu’organisation, a relevé Human Rights Watch.

Après une manifestation de LUCHA, le 3 décembre, une coalition de 33 associations congolaises de défense des droits humains, connue sous le nom de la « Coalition pour le Respect de la Constitution », a fait une déclaration exhortant le gouvernement congolais à respecter le droit à la liberté de réunion pacifique et de manifestation pacifique.

La coalition s’est également inquiétée du fait que le dialogue national annoncé par le gouvernement pour discuter des élections ne puisse occasionner des retards dans le calendrier électoral. Ce qui, a-t-elle souligné, constituerait une violation de la Constitution.

Deux jours plus tard, le ministre congolais de la Communication et des Médias annonçait que le gouvernement avait ouvert une « enquête administrative » sur les 33 associations membres de cette coalition.

Comme si cela ne suffisait pas, les responsables de l’Ondg « Amis de Nelson Mandela pour les Droits Humain » (ANMDH) ont été harcelés par des agents de l’ANR qui les accusaient d’avoir offert aux membres de Filimbi un cadre pour s’exprimer.

Retour à l’Etat policier

Pas plus tard que le week-end dernier, le Commissaire spécial de Lualaba a interdit les manifestations publiques sur toute l’étendue de sa juridiction. Ce qui a poussé le G7 à réagir et dénoncer la politique de deux poids deux mesures, étant donné qu’au même moment, les membres de la MP organisaient leurs activités sans être inquiétés alors que l’opposition est privée d’espace pour s’exprimer.

Dans un autre rapport publié le 6 octobre dernier par Human Rights Watch (HRW), cette ONG internationale accuse les responsables des forces de sécurité et du parti au pouvoir d’avoir recruté des brigands moyennant 65 USD à chacun pour attaquer et perturber la manifestation pacifique organisée par l’opposition le 15 septembre 2015 à la place Ste Thérèse, dans la commune de N’Djili, à Kinshasa.

Le rapport indiquait qu’un groupe de jeunes avait violemment attaqué un rassemblement public organisé le 15 septembre par des dirigeants de l’opposition politique pour appeler le président Joseph Kabila à quitter ses fonctions, à l’issue de ses deux mandats constitutionnellement autorisés, en décembre 2016.

Selon ce document, les assaillants étaient armés de gourdins et de bâtons et ont molesté des manifestants, répandant la peur et le chaos dans la foule mobilisée par l’Opposition sur la place Ste Thérèse.

Pendant ce temps, le pouvoir continue à brandir des menaces d’arrêter tous ceux qui interprètent « abusivement l’article 64 ».
Pour rappel, le 2 décembre 2015, le Procureur général de la République (PGR) a, au cours d’un point de presse, menacé d’arrêter ceux qui interprèteraient abusivement l’article 64 de la Constitution !

« Toute tentative de recourir à des manifestations de rue pour résister contre les institutions en place sera interprétée comme une intention avérée de les renverser », a aussi déclaré le PGR Flory Kabange Numbi.

Terreur et brutalité

D’après plusieurs rapports rendus publics par des ONGDH tant nationales qu’internationales, la police et la Garde républicaine auraient abattu une quarantaine de personnes lors des manifestations organisées en janvier dans la capitale Kinshasa et à Goma contre les propositions de changement de la loi électorale.

Les autorités ont cherché à interdire les manifestations politiques dans des villes à travers le pays. Et des dizaines de jeunes activistes, étudiants, musiciens, journalistes, dirigeants et sympathisants de partis politiques ont été emprisonnés, notent ces rapports.

Ces Ongdh ont accusé l’Agence Nationale des Renseignements (ANR) d’avoir maintenu longtemps en détention plusieurs personnes arrêtées après ces émeutes, sans aucune inculpation et sans qu’elles ne puissent recevoir la visite de leurs familles ni de leurs avocats. Certaines ont été traduites en justice pour des motifs politiques.

L’Affaire G7…

Le 1er décembre, dans la ville de Lubumbashi, la police a lancé des gaz lacrymogènes pour empêcher les supporters de l’équipe de football du TP Mazembe d’entrer dans un stade privé pour assister à un meeting du président de l’équipe, Moïse Katumbi.

Ex-gouverneur de la province du Katanga, Katumbi a quitté le parti politique de Kabila en septembre dernier, évoquant ses inquiétudes sur le retard accumulé dans l’organisation des élections.

Les 4 et 5 novembre, trois membres des Forces Novatrices pour l’Union et la Solidarité (FONUS), parti politique d’opposition, parmi lesquels une femme âgée de 78 ans souffrant d’un handicap moteur, ont été arrêtés à Kinshasa après une conférence de presse tenue par le leader de ce parti, Joseph Olenghankoy, opposé à tout report des élections nationales.

La femme âgée a été libérée après 26 jours de détention, tandis que les deux autres personnes ont été déférées devant le parquet après 33 jours, et inculpées d’atteinte à la sureté intérieure de l’État. Elles sont actuellement détenues à la Prison centrale de Makala.

Plusieurs prisonniers politiques

Au cours des douze derniers mois, le pouvoir a réduit au silence plusieurs personnes qui s’opposaient, à travers des déclarations, aux tentatives de report du scrutin présidentiel prévu en novembre 2016 et de prorogation du mandat du président Joseph Kabila.

Selon la Constitution, le président Kabila dont le second et dernier mandat expire en décembre 2016, ne doit plus briguer un autre mandat présidentiel. Les préparatifs des élections de novembre 2016 n’ont pas encore commencé.

C’est dans cette psychose que plusieurs personnes ont été arrêtées au cours des douze derniers mois, après avoir dénoncé les tentatives visant à proroger le mandat de Joseph Kabila ou participé à des manifestations pacifiques ou d’autres activités politiques. Ces compatriotes victimes de leurs opinions et de l’intolérance politique sont actuellement détenues à la Prison centrale de Makala. C’est le cas, entre autres de :

1. Vano Kalembe Kiboko : Ex-parlementaire membre de la coalition majoritaire de Kabila, arrêté le 29 décembre 2014 après avoir publiquement critiqué la violente répression policière d’une manifestation organisée au Katanga et les tentatives visant à permettre à Kabila de briguer un troisième mandat.

Il est détenu à la Prison centrale de Makala, reconnu coupable et condamné à trois ans de prison depuis le 14 septembre pour haine raciale et tribalisme, et pour avoir « répandu de fausses rumeurs ». Procédure d’appel en cours.

2. Jean-Claude Muyambo : Président du parti politique Solidarité congolaise pour la démocratie et le développement (SCODE) et ex-président du Barreau du Katanga, arrêté à Kinshasa le 20 janvier après avoir mobilisé pour la participation aux manifestations contre les propositions de changement de la loi électorale.

Détenu à la prison centrale de Kinshasa puis transféré dans un centre de santé où il est traité pour des blessures infligées lors de son arrestation, il est en jugement pour « abus de confiance » et pour avoir vendu un bâtiment qui ne lui appartenait pas, probablement sur la base d’une plainte déposée contre lui par un client en 2002 – et retirée par la suite – dans sa province natale du Katanga.

3. Christopher Ngoyi : Défenseur des droits humains impliqué dans la mobilisation de la population pour participer aux manifestations contre les propositions de changement de la loi électorale, il a été arrêté le 21 janvier et détenu par l’ANR pendant 20 jours avant d’être transféré à la Prison centrale de Makala où des procédures judiciaires sont en cours.

4. Ernest Kyaviro : Dirigeant d’un parti politique d’opposition, il a été arrêté à Goma le 22 janvier lors de la semaine des manifestations contre les propositions de changement de la loi électorale. Transféré à Kinshasa et détenu à l’ANR pendant 86 jours avant d’être transféré à la Prison centrale de Makala, il est reconnu coupable et condamné à trois ans de prison le 18 septembre pour provocation et incitation à la désobéissance envers les autorités publiques. Procédure d’appel en cours.

5. Fred Bauma : Activiste du mouvement Filimbi, une plateforme qui encourage les jeunes congolais à remplir leurs devoirs civiques pacifiquement et de manière responsable, et de LUCHA, il a été arrêté le 15 mars et conduit à l’ANR où il a été détenu pendant 50 jours avant d’être transféré à la Prison centrale de Makala où des procédures judiciaires sont en cours.

6. Yves Makwambala : Activiste de Filimbi arrêté le 15 mars et détenu à l’ANR pendant 40 jours avant d’être transféré à la Prison centrale de Kinshasa, Les procédures judiciaires pour son cas sont encore en cours.

7. Léon Nguwa : Etudiant à l’Université de Kinshasa, il est accusé en mars, soupçonné d’imprimer des tracts appuyant le dirigeant de l’opposition Vital Kamerhe, lors de son procès devant la Cour suprême de Justice. Il aurait été transféré au parquet début décembre, après avoir été détenu pendant presque neuf mois à l’ANR.

8. Joël Bokoru : Etudiant à l’Université de Kinshasa, arrêté en mars pour son dynamisme au sein de l’UNC de Kamerhe. 9. Giresse Bangomisa : Etudiant à l’Université de Kinshasa, arrêté en mars alors qu’il imprimait des tracts appuyant Kamerhe. Il aurait été transféré au parquet début décembre, après avoir été détenu pendant presque neuf mois à l’ANR.

10. Junior Mapeke N’Labu (« Radek Suprême ») : Musicien congolais arrêté en mai et accusé d’entretenir des liens avec Filimbi. Détenu à l’ANR sans inculpation ni accès aux avocats.

11. Jerry Olenga : Membre du parti politique d’opposition FONUS, arrêté le 4 novembre après avoir assisté à une conférence de presse du président de son parti. Transféré à la Prison centrale de Makala après avoir été détenu pendant un mois à l’ANR.

12. Paulin Lody : Membre du parti politique d’opposition FONUS, arrêté le 4 novembre après avoir assisté à une conférence de presse du président de son parti. Transféré à la Prison centrale de Makala après avoir été détenu pendant un mois à l’ANR.
A ces victimes, il faut ajouter aussi une dizaine de membres de Lucha arrêtés lors d’une manifestation à Goma le 28 novembre et détenus à la Prison centrale de Goma (Munzenze). Ces personnes sont toutes accusées de rébellion, incitation à la désobéissance, outrage envers les autorités, association de malfaiteurs, coups et blessures volontaires, et destruction méchante.

Déni de justice

L’appareil judicaire congolais connaît un dysfonctionnement inquiétant. Le cas le plus illustratif est celui du procès de l’emblématique défenseur des droits de l’homme, Floribert Chebeya, assassiné dans les installations de la Police le 1er Juin 2010 alors qu’il répondait à un rendez-vous du général John Numbi Tambo Banza, alors inspecteur général de la Police.

Dans son verdict en appel du 17 septembre 2015, la Haute Cour Militaire a acquitté quatre des cinq prévenus en cause et réduit sensiblement la peine prononcée contre le commissaire principal Daniel Mukalay wa Mateso par le premier juge.
Cette parodie de procès au goût inachevé illustre bien l’impunité dont jouissent les auteurs présumés du double assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana.

Dans cette parodie, la HCM a également acquitté quatre autres policiers impliqués dans cette affaire. Il s’agit des policiers George Kitungwa, François Ngoy Mulongoy, Michel Mwila et Blaise Mandiangu Buleri.

Représailles contre les membres du G7 et leurs proches

Par ailleurs, dans un communiqué conjoint, le Centre des Droits de l’Homme et du droit humanitaire (CDH) et Justicia Asbl, deux organisations congolaises de promotion et de défense des droits de l’Homme, ont dénoncé les harcèlements et intimidations suivies de représailles contre des responsables des partis politiques membres de la plate-forme dite « G7 » tant parmi les députés au Katanga qu’à Kinshasa.

Selon ces deux Ongdh, les proches de Dany Maloba travaillant à la société Metalmine dont le siège social est situé à Likasi, ont été victimes d’intimidations, alors que ce membre du G7 avait déjà vendu ses actions au sein de cette entreprise.

Même les agents collaborant à la chaîne de radio et télévision Alfajiri appartenant à la sœur du député Dany Banza Maloba auraient été l’objet d’intimidations et menaces d’arrestation de la part des agents de l’ANR, signalent CDH et Justicia Asbl.
Il en est de même des travailleurs de l’Hôtel River Side de Dany Banza Maloba, situé au quartier Golf, à Lubumbashi. Ces derniers ont été souvent harcelés et intimidés à travers des visites intempestives des agents de sécurité, à en croire les deux ONGDH.

Malgré les fonctions officielles importantes qu’ils ont assumées au pays, Charles Mwando Nsimba (ancien 1er Vice- Président de l’Assemblée Nationale), Olivier Kamitatu (ancien Ministre du Plan), Gabriel Kyungu Wa Kumwanza (Président de l’Assemblée Provinciale de l’ex-province du Katanga), Christophe Lutundula (Député National), Dany Banza Maloba (député national), Pierre Lumbi (ancien Conseiller Spécial du Chef de l’Etat en matière de sécurité), sont souvent dénigrés et vilipendés par leur ancienne famille politique (MP).

Par Godé Kalonji