En RDC, le téléphone adopte la touche équitable

Vendredi 24 octobre 2014 - 12:12

« Avant ce projet, aucun d’entre nous n’avait jamais travaillé dans la téléphonie mobile. On n’y connaissait rien ! », sourit Bas van Abel, le fondateur et aujourd’hui PDG de Fairphone. Cette start-up néerlandaise au nom évocateur n’ambitionne rien de moins que de commercialiser le premier smartphone « équitable » au monde.

« On s’est dit que si on voulait changer les choses, il fallait offrir une alternative au consommateur », poursuit le jeune homme, autrefois designer, aujourd’hui devenu entrepreneur. Le résultat d’une aventure peu commune qui l’a mené des mines situées dans des territoires en guerre de la République démocratique du Congo aux usines ultra-productives des mégalopoles chinoises.

« Mais, prévient-il, il faut faire attention avec le concept équitable. Il diffère selon le point de vue d’où l’on se place. Ce que nous essayons de faire, c’est le téléphone le plus équitable possible dans les conditions du marché actuelles. »

L’histoire commence en 2011, lorsque la Waag Society, une fondation néerlandaise consacrée à l’art, aux sciences et aux technologies, décide, conjointement avec l’ONG Action Aid, de lancer une campagne de sensibilisation sur la provenance des minerais utilisés dans la fabrication des smartphones. Quatre en particulier sont dans le viseur de l’institution : le tungstène, l’étain, l’or et le tantale.

 

MILICES

 

Ces matières premières sont issues le plus souvent de zones en guerre dans lesquelles sévissent des milices qui terrorisent la population, comme dans le Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo. Ces groupes paramilitaires se financent régulièrement grâce à l’extraction et à la revente de ces produits, utiles à toute l’industrie électronique (on en trouve dans les smartphones mais aussi les ordinateurs, les baladeurs de musique…).

Waag Society demande alors à Bas van Abel de se pencher sur le problème. Le jeune homme, qui n’y connaît rien, étudie la question, se rend une première fois en Afrique et réalise à quel point la situation est complexe. « Dans ce genre de campagnes, la tentation est de désigner un méchant et de le blâmer mais ce n’est pas la bonne manière de procéder », explique le jeune entrepreneur.

Une idée germe alors dans son esprit : peut-être que la meilleure manière de sensibiliser les consommateurs serait de se lancer dans la fabrication d’un téléphone qui ne contient pas ou très peu de ces matériaux.

« Quand nous nous sommes lancés dans l’aventure, explique Bibi Bleekemolen, responsable du développement chez Fairphone et membre du projet depuis ses débuts, nous avons vite découvert qu’il existait des initiatives internationales pour le commerce de minerais qui ne finançaient pas les groupes armés. »

 

C’est notamment le cas du projet Conflict Free Tin Initiative (« initiative étain sans conflit »). Un groupement d’ONG, de représentants des pouvoirs publics de différents pays et de personnalités qui s’assurent que les mines dont sont extraits les matériaux ne servent pas à financer les groupements armés. Mais aussi que les mineurs sont mieux traités qu’ailleurs et que l’expédition des produits répond à certaines normes écologiques.

 

« Nous avions l’étain et le tantale, pas encore l’or et le tungstène, explique Bas, mais nous nous sommes mis à regarder toute la chaîne de production : le transport des produits, mais aussi la fabrication des smartphones. Si c’était pour que les ouvriers des usines chinoises soient mal traités, ce n’était pas la peine. »

 

325 EUROS PAR TÉLÉPHONE

Avec simplement l’idée en tête et avant même de trouver les fonds pour créer l’entreprise, Bas van Abel se lance en quête d’une usine chinoise qui répondrait à ses critères. Entre-temps, il présente, courant 2012, son idée à KPN. Séduit, l’opérateur néerlandais lui promet de commander 1 000 téléphones si jamais le projet se concrétise. « En fait, cette promesse a plus ou moins lancé l’entreprise car nous avons pu la mentionner pour trouver un directeur d’usine chinoise qui accepte de travailler avec nous. »

Ils finissent par dénicher la perle rare à Chongqing (centre de la Chine) qui accepte de relever ses standards, de ne pas faire effectuer d’heures supplémentaires à ses salariés et de ne se servir que des minerais que Fairphone lui ferait parvenir. Ils choisissent alors un modèle de téléphone standard proposé par l’usine.

Reste un problème de taille : le financement. Pour monter l’entreprise, Bas van Abel et ses partenaires reçoivent 18 000 euros d’aide de l’opérateur britannique Vodafone dans le cadre d’un programme pour les jeunes entreprises. Par ailleurs, 400 000 euros de fonds privés sont injectés et l’entreprise est créée en janvier 2013.

 

Mais pour financer le commencement de la fabrication des téléphones, ce n’est pas suffisant. Fairphone lance alors mi-2013 une campagne de financement participatif sur son propre site, à raison de 325 euros par téléphone commandé. « Au début on voulait en vendre 5 000, mais on a eu 10 000 commandes en trois semaines, se rappelle encore incrédule le jeune fondateur, nos partenaires chinois surveillaient eux aussi les compteurs en temps réel sur notre site ; c’était incroyable. »

 

Vient le moment de la commande auprès de l’usine. Une période difficile pour Bas van Abel qui se sentait investi de la responsabilité des fonds confiés par les consommateurs : « J’avais peur, je n’en dormais pas la nuit, je ne savais pas ce que c’était d’être un entrepreneur. Et si les usines ne livraient jamais par exemple ? »

 

Les smartphones ont été finalement livrés et le Bas délivré. Il en a vendu 25 000 et est engagé dans un nouveau cycle de fabrication. Un ingénieur canadien, Olivier Hebert, spécialiste de la téléphonie, a par ailleurs été embauché début 2014 pour que le prochain modèle Fairphone soit entièrement conçu maison. « Nos modèles sont les meilleurs smartphones du marché, nous voulons faire un téléphone équitable mais aussi un terminal qui ait les meilleurs standards en termes de sécurité. »

 

Prochain rendez-vous, le Mobile World Congress de Barcelone en février 2015 où la marque, qui compte une trentaine de salariés, présentera son nouveau bijou. En attendant, Bas van Abel espère avoir montré aux grands groupes qu’un modèle équitable est possible.

 

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