Dans un document publié hier mardi 23 juin, la Ligue congolaise de lutte contre la corruption (LICOCO) regrette que la corruption et la mauvaise gouvernance continuent à ternir le processus REDD+. Ce, malgré l’approbation du R-Package de la République démocratique du Congo par le comité des participants du Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF).
En effet, du 17 au 19 Mai 2015 à Washington, à la réunion du Comité des Participants du Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF), le rapport d’auto évaluation du R-Package de la RD Congo avait été accepté par le comité des participants.
Trois semaines avant cette réunion, la Ligue Congolaise de lutte contre la Corruption (LICOCO) attirait l’attention du secrétariat du FCPF, basé à la Banque Mondiale à Washington, sur le fait que l’acceptation sans condition du R-Package de la RDC donnerait un signal négatif aux responsables du ministère de l’Environnement et Développement durable sur la nécessité de mettre en place les outils de lutte contre la corruption, la promotion de la transparence et de redevabilité dans le processus REDD+ en République Démocratique du Congo.
Cette approbation sans condition conduirait les autorités dudit ministère à ne pas prendre de mesures concrètes pour produire les outils de lutte contre la corruption, de transparence et de redevabilité dans le processus REDD+.
Le rapport de l’atelier d’évaluation du risque de corruption, organisé par ce ministère, en collaboration avec UNREDD et FCPF en 2012, relevait déjà quelques cas de risques de corruption.
Par exemple, l’impunité des décideurs politiques, le manque de structures de régulation indépendante, la non implication de toutes les parties prenantes, plus particulièrement les collectivités locales, à la prise de décision et à la gestion des affaires publiques, l’instabilité institutionnelle et les conflits armés, les appartenances politiques…
Le dernier rapport du Centre de Recherche U4-Norvège, publié le 15 Avril 2015, sur le risque de corruption dans le processus REDD+ en RDC, relevait déjà l’appartenance politique du coordinateur de la Commission Nationale REDD+ au parti politique du ministre de l’Environnement et Développement durable. Malgré cette dénonciation du chercheur d’ U4-Norvège, les membres du Comité des Participants ont approuvé le rapport R-Package de la RDC.
Du cadre légal
La révision de la loi forestière et autres lois affectant le secteur forestier (ex. loi foncière) est nécessaire pour s’attaquer aux risques de corruption dans le processus REDD+. Or, jusqu’à présent, la loi foncière n’a pas encore été reformée et l’attribution des terres se passe dans un processus non transparent et rempli d’actes de corruption.
De la gestion des fonds
Les informations sur la gestion du budget du secteur forestier et des dons des partenaires financiers pour le secteur forestier ou autres ressources naturelles sont disponibles et accessibles au ministère de l’Environnement et Conservation de la Nature et Tourisme (MECNT), des Finances, du Plan, du Budget, de l’Agriculture et Développement Rural. Cependant, ces informations ne sont pas mises à la disposition du public afin de permettre à la population de demander des comptes.
Au niveau des promoteurs des projets REDD+, la gestion des fonds pose aussi problème, constate LICOCO. Et les populations vivant dans les zones de projets pilotes REDD+ ne sont pas au courant des montants alloués pour financer ces projets. Un exemple concret est le projet pilote REDD+ d’Ibi Village, sur le Plateau des Bateke.
En effet, après une activité menée par la LICOCO au Plateau des Bateke, les participants à cette activité ont affirmé ne pas être au courant du montant de financement alloué au projet d’Ibi Village, alors que la communauté de Mbakana avait attribué 4 500 ha au promoteur des projets d’Ibi Village.
Plusieurs autres fonds alloués au ministère de l’Environnement sont mal gérés, ce qui a permis à la LICOCO de demander au Premier ministre et aux partenaires de la RDC de diligenter des audits auprès de ce ministère.
C’est notamment les cas de 20 millions $ US, à en croire la LICOCO, financement de l’Union Européenne, que SGS avait gérés à travers le Projet de Contrôle de la production et de la commercialisation du bois (PCBCB). Ces fonds auraient été détournés, et aucun audit lancé pour sanctionner les coupables.
Il y a également, poursuit la LICOCO, 20 millions des dollars US, du programme PFCN, financement de la Banque Mondiale, mal géré par l’ancien coordonateur du projet.
La mauvaise gestion des ces fonds a amené la Banque Mondiale, après évaluation, à menacer de mettre fin à ce programme. Selon certaines informations, la Banque Mondiale planifie la fermeture de ce projet en ce mois de juin 2015, ce qui aura comme conséquence, la non affectation de 70 millions des USD à la RDC.
De même, 8,2 millions des dollars US, financement de l’ONU-REDD, mal géré par les services du ministère de l’Environnement. Cette mauvaise gestion a obligé l’ancien ministre Endundo de demander un audit sur l’utilisation de ces fonds. L’audit n’a jamais été diligenté jusqu’à ce jour.
De la reddition des comptes
Le système de vérification de l’intégrité, qui consiste à auditer les avoirs et style de vie des officiels, prévu dans la Constitution, fonctionne malheureusement dans l’opacité, à cause de l’absence de mesures d’application.
Un système de mesure de performance des services ministériels en charge de la REDD+, en termes de transparence et responsabilité, existe à travers les institutions interministérielles et organes de la société civile (par exemple le Comité National REDD, le Comité Interministériel et le GTCR).
Plaintes et application de la Justice
Les mécanismes impartiaux de résolutions des conflits, plaintes et réclamations existent au sein de différentes structures gouvernementales; cependant, ces derniers ne sont pas très opérationnels. Ils ne sont pas accessibles à tous. Dans le cadre du processus REDD+, un mécanisme de gestion des plaintes est en discussion afin de résoudre des plaintes spécifiques dans la mise en œuvre du processus.
Ce mécanisme prévoit la résolution des conflits entre parties prenantes, soit de manière pacifique ou devant les instances judiciaires du pays. Les préalables pour un tel mécanisme dans REDD+ seraient, entre autres, la formation des peuples autochtones sur leurs droits et responsabilités, le renforcement des capacités des juges et avocats sur le processus REDD+ et la formation des journalistes d’investigation.
Au niveau des promoteurs des projets, le mécanisme des plaintes et recours n’existe pas, alors qu’il y a déjà une dizaine des projets REDD+ qui est en réalisation en RD Congo. Conséquences, des conflits surgissent dans plusieurs coins où se déroule le projet REDD+ dont par exemple le Mai-Ndombe, au Bandundu, où les populations manifestent avec beaucoup de violences contre certains promoteurs de projets.
Les éléments ci-haut énumérés sont contenus dans les 34 critères du rapport R-Package, présenté par la RDC au Comité des participants du FCPF au mois de mai 2015.
Ceci permet à la LICOCO de penser que l’approbation du rapport R-Package de la RDC par le Comité des participants du FCPF a été plus politique qu’objective, car les 7 éléments du rapport d’évaluation du risque de corruption produit en 2012 ne sont pas encore mis en application par le ministère de l’Environnement et les promoteurs des projets REDD+.
Financement de la phase d’investissement dans un contexte de corruption et de mauvaise gouvernance du processus REDD+
Les risques de corruption dans la phase d’investissement ont été énumérés notablement: (i) dans l’élaboration des politiques et mesures, (ii) dans le système judiciaire, (iii) dans le système national de suivi de forêt et MRV, (iv) risques liés au niveau de Référence/Réduction de carbone, (v) risques liés au partage des bénéfices, (vi) risques de violations des standards socio-environnementaux.
Alors que tous ces éléments ne sont pas encore résolus par le ministère de l’Environnement, via la Coordination nationale REDD+, la RDC a été parmi les premiers pays à bénéficier des fonds pour les investissements carbones.
Un montant de 60 millions des USD a été déboursé par la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement. Un cadre institutionnel a été créé pour gérer ces fonds, et les premiers projets ont été approuvés par le ministère de l’Environnement ainsi que la Banque Mondiale.
Des ONG environnementales, travaillant sur la question de REDD+, que la LICOCO a interviewées, ont affirmé haut et fort que « la sélection des ONG qui vont bénéficier des premiers fonds pour des activités liées à l’investissement carbone s’est effectuée dans une opacité totale car l’information n’a pas circulé comme l’exige la procédure ».
Des recommandations
La LICOCO estime que le Comité des Participants du FCPF est allé vite en besogne en approuvant le R-Package de la RDC, sans que les outils de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption ne soient mis en place par le ministère de l’Environnement et le Comité national REDD+.
Selon cette institution de lutte contre la corruption, il y a urgence pour que le gouvernement demande urgemment au Comité national REDD+ de mettre en place les outils de gouvernance énumérés plus haut, à tous les porteurs des projets de mettre en pratique ces outils de gouvernance lors de la réalisation du projet REDD+, et aux bailleurs des fonds, plus particulièrement la Banque Mondiale, la BAD et l’Union Européenne, de poser des conditions de gouvernance et de lutte contre la corruption avant tout transfert de fonds au gouvernement de la RDC pour soutenir la mise en œuvre du processus REDD+.
Quant aux ONG internationales et nationales, elles sont appelées à faire pression auprès des bailleurs de fonds pour que la gouvernance et la lutte contre la corruption soient effectives dans le processus REDD+ en RD Congo.
Par Lefils Matady