La Rdc : un Etat sans Budget

Lundi 6 avril 2015 - 07:55

* Risque de démembrement sans transfert des responsabilités et des ressources

Et de deux pour Adolphe Muzito ! Le brillant économiste très Palu revient à la charge. Cette fois-ci pour tirer la sonnette d’alarme quant à la viabilité des nouvelles provinces côté budget. A mille lieues des incantations stériles et des postures, l’ancien Premier ministre pose les vraies questions. Et y apporte des réponses puisées dans sa connaissance du sujet. A l’arrivée, une tribune qui interpelle et qui propose. Cadre du principal parti lumumbiste, Adolphe Muzito innove dans la façon de faire de la politique. Un exemple à suivre. Trêve de digression. Place à la tribune.

Pour la mise en place de nouvelles provinces et Entités territoriales décentralisées (ETD), notre souhait est que le choix politique, cristallisé dans la Constitution, du régionalisme constitutionnel et de la décentralisation, se traduise cette fois-ci par un transfert effectif, aux provinces et aux ETD, de leurs responsabilités, charges et ressources prévues par la Constitution et les lois de la République.
En effet, la mise en œuvre du régionalisme constitutionnel et de la décentralisation ne se limite pas au simple démembrement des entités existantes, sans opérer un réel transfert des compétences, des charges et ressources au profit des provinces et ETD installées.
A cet effet, rappelons que les démembrements de l’ancienne province de Léopoldville (qui a donné naissance aux provinces du Bandundu, du Bas-Congo et de Kinshasa), de l’ancienne province du Kasaï (qui a donné naissance aux provinces du Kasaï occidental et du Kasaï oriental) ainsi que de la province du Kivu (qui a donné naissance aux provinces du Maniema, du Nord et du Sud Kivu) n’ont pas donné lieu en leur temps, à une réelle décentralisation ou à un régionalisme politique. Ces démembrements ont consisté uniquement en de simples subdivisions territoriales de l’Etat, traitées comme des entités déconcentrées.
Ainsi, le Gouvernement actuel pourrait installer les nouvelles provinces, mais en les maintenant dans le même système de gestion, celui de la centralisation des pouvoirs par l’accaparement de leurs ressources et le non transfert de leurs compétences exclusives.
Ceci est d’autant plus vrai que le Gouvernement n’a pas aujourd’hui besoin d’installer les nouvelles provinces pour appliquer le régionalisme constitutionnel et la décentralisation en ce qui concerne les provinces existantes.
Pour n’avoir pas mené avec succès la réforme pour les anciennes provinces, notre pays n’a pas pu mettre en place des outils politiques, juridiques, comptables et financiers qui auraient pu l’aider, à l’étape actuelle, à réaliser avec succès l’opération d’installation de nouvelles provinces, dans les délais et les formes prescrits par la loi de programmation.
En effet, l’installation de nouvelles provinces telle que programmée, va se buter à une difficulté majeure qu’il faudra au préalable résoudre pour, entre autres, réussir une répartition harmonieuse de l’héritage des provinces à démembrer, au profit de nouvelles provinces. Il s’agit de la difficulté liée à l’inexistence pour le pays d’un budget de l’Etat (voir détails ci-dessous) pour l’exercice en cours, comme pour les précédents exercices, depuis 2012.
A cette dernière difficulté s’ajoutera consécutivement une seconde, celle liée à l’état de faillite congénitale qui va caractériser les nouvelles provinces, au lendemain de leur installation du fait que les budgets pour l’exercice en cours, aussi bien du Gouvernement central que des provinces, n’ont pas prévu des crédits conséquents à cet effet.
Cette seconde difficulté sera aggravée par le poids de nouvelles charges que devront supporter les nouveaux budgets provinciaux, poids consécutif au personnel politique additionnel (20.000 élus locaux) ainsi qu’aux institutions politiques qui résulteront des élections locales de 2015.

DE L’ABSENCE D’UN BUDGET DE L’ETAT

L’absence d’un budget de l’Etat à ce jour pour notre République, et cela depuis 2012, prive le pays des repères quantitatifs et qualitatifs nécessaires à l’établissement du passif et de l’actif de chaque province à démembrer, base à partir de laquelle devraient être répartis de manière simultanée, les patrimoines de l’Etat et des provinces à démembrer ainsi que les ressources, les dettes et charges de ces dernières.
Nous parlons de l’absence du budget de l’Etat depuis 2012 jusqu’à ce jour, parce que nous faisons la différence, conformément aux dispositions de la Constitution, entre le budget de l’Etat et celui du pouvoir central.
En effet, conformément à notre Constitution, il faut faire la distinction :
- entre le budget de l’Etat et celui du pouvoir central ;
- entre le budget provincial et le budget de la province.
Tout part de la différence entre les finances du pouvoir central et celles des provinces, les finances de l’Etat étant la somme des finances du pouvoir central et celles des provinces.
En effet, le budget de l’Etat, c’est le document contenant les prévisions des recettes et des dépenses du pouvoir central consolidées avec celles des provinces et voté par le Parlement national.
Tandis que le budget du pouvoir central ou la loi de finances de l’année, c’est un acte par lequel sont prévues et autorisées, par le Parlement, les ressources et les charges du seul pouvoir central pour un exercice budgétaire donné.
Quant au budget provincial, il est un document contenant les prévisions des recettes et des dépenses des entités territoriales décentralisées intégrées dans celles de la province.
Et le budget de la province, en ce qui le concerne, est le document contenant les prévisions des recettes et des dépenses de la province, compte non tenu des budgets des entités décentralisées.
Quelles sont les difficultés liées à l’établissement des passifs et des actifs des provinces à démembrer ainsi qu’à leur répartition entre l’Etat et les nouvelles provinces ?
Il faut d’abord noter que seuls le budget et la comptabilité générale d’un Etat retracent de manière intégrée les données sur le patrimoine et le passif de l’Etat, celles sur le patrimoine et le passif des provinces pour un exercice considéré.

AUCUNE INSTANCE POLITIQUE N’A PROGRAMME L’INSTALLATION DE NOUVELLES PROVINCES
Or, depuis 2012, aucune instance politique n’a programmé l’installation de nouvelles provinces qu’il s’agisse du Gouvernement central à travers son budget, que des provinces à démembrer elles-mêmes, à travers les leurs.
D’où les difficultés ci-après que les commissions ad hoc vont rencontrer pour installer les nouvelles provinces.
Pour l’actif à repartir entre les nouvelles provinces :
" La première difficulté pour les commissions ad hoc sera de distinguer lors des inventaires, les éléments actifs du domaine de l’Etat et ceux des domaines des provinces à démembrer.
" La deuxième difficulté pour la commission sera celle liée à la détermination des normes de répartition des éléments du patrimoine de la province à démembrer entre les nouvelles provinces.
Quels seront les critères politique, économique et financier de répartition ? Ceux-ci seront définis et fixés quand et par quelle instance ?
A titre d’exemple, la commission provinciale du Bandundu devra, lors de l’inventaire des éléments d’actifs de la province du Bandundu, statuer sur le cas du Parc Agro-industriel de Bukanga-Lonzo.
Suivant sa source de financement, s’agit-il d’un actif du domaine de l’Etat congolais ou de celui de la province du Bandundu ?
S’agit-il d’une copropriété de l’Etat et de la province du Bandundu et/ou de Kinshasa ? Politiquement, serait-il judicieux d’exclure les communautés autochtones, se prévalant des droits fonciers, dans la composition du capital social ?
Et dans ce dernier cas, comment évaluer les parts sociales de l’Etat, du Bandundu et/ou de Kinshasa, des privés etc. au regard du capital du Parc Agro-industriel de Bukanga-Llonzo, dans l’hypothèse où ce Parc (y compris la concession foncière) est juridiquement entré dans le domaine privé.
Et enfin, quelles pourraient être les quotités respectives du capital social du Parc à attribuer aux nouvelles provinces du Kwilu, du Kwango et du Maï-Ndombe et selon quel principe ?
Les mêmes difficultés se poseront pour la répartition des patrimoines de toutes les provinces à démembrer.
En effet, pour le Katanga par exemple, la question de la répartition de son patrimoine sera complexe.
Ainsi, par exemple les tronçons routiers ci-après :
- Kasumbalesa - Lubumbashi ;
Image retirée.  Lubumbashi - Likasi ;
Image retirée.  Likasi - Kolwezi ;
Image retirée.  Lubumbashi - Kasenga,
Tronçons générateurs des recettes de péages dans la province du Katanga à démembrer, sont dans le domaine public de l’Etat, même si leurs recettes sont collectées au profit de la province du Katanga.
La problématique de la répartition de ces recettes entre les nouvelles provinces issues du Katanga va se poser à la Commission ad hoc. La question sera celle de critères de répartition, en dehors de tout cadre budgétaire de l’Etat.
Dans la répartition, devra-t-on prendre en considération les 4 nouvelles provinces issues du Katanga ou les seules provinces que les tronçons précités couvrent, à savoir : le Haut Katanga et le Lualaba ?
Par conséquent, des options politiques devraient être levées pour une répartition harmonieuse. Celles-ci devraient permettre d’éviter tout conflit entre les nouvelles provinces et entre celles-ci et l’Etat.
POUR LE PASSIF DES PROVINCES :
Outre le passif social lié aux arriérés des salaires, bien de provinces portent aujourd’hui un lourd fardeau du service de la dette qui pose, pour certaines, des graves problèmes de sa soutenabilité budgétaire. Non pas seulement en terme du volume dudit service, mais aussi en terme de la qualité de ladite dette.
La République n’a peut-être pas encore conscience du risque systémique que cette dette fait peser sur la Nation, faute d’un budget consolidé de l’Etat.
Il s’agit de dettes à court et moyen terme dont des conditions financières sont prohibitives, contractées non pas auprès des institutions financières non bancaires, comme l’exigent les lois de la République, mais auprès des banques commerciales (contrairement à la Loi relative aux finances publiques) et des fournisseurs.
Comment les stocks de ces dettes et leurs services devront être répartis entre les nouvelles provinces ?
Il faudra définir le critère, car toutes les nouvelles provinces ne seront pas logées à la même enseigne, en terme de capacité contributive et en terme de bénéfice des investissements financés par les dettes à répartir.

POUR LA REPARTITION DES RECETTES A CARACTERE NATIONAL ENTRE LES NOUVELLES PROVINCES.
On peut lire, dans les tableaux ci-après, qui donne la répartition entre les 11 provinces, des recettes à caractère national, quelques faits majeurs.
Les provinces dites riches, à savoir la ville de Kinshasa, le Katanga et le Bas-Congo, contribuent pour plus de 70% au budget de l’Etat, concernant les recettes à caractère national.
Elles se voient de ce fait affecter (à ne pas confondre avec les décaissements effectifs à leur profit) les 49% des 40% des recettes à caractère national. Tandis que les 8 autres provinces, dites pauvres, se répartissent les 51% restants.
Sur ces 3 provinces, 1 seule est en passe d’être démembrée, c’est le Katanga. Notre analyse sur les difficultés de répartition des ressources à caractère national entre les nouvelles provinces, porte sur cette dernière.
En effet, comme on le voit sur le Tableau ci-contre, le Katanga qui est dans le giron des provinces dites riches (Bas Congo, Kinshasa et Katanga), se voit affecter 549 milliards de FC (environ 560 millions de $US) sur un total de ± 1.000 milliards de FC (environ 1 milliard de $US) des crédits affectés par le Gouvernement central au profit des 3 provinces, soit 55% du montant total.
Face à la question de la répartition de cette part des recettes à caractère national, revenant au Katanga, aux nouvelles provinces qui en seront issues, deux solutions sont possibles.
La première solution est celle qui consiste à répartir cette enveloppe de 549 milliards de FC entre les 4 nouvelles provinces issues du Katanga, suivant le critère de capacité contributive, pondérée à celui de leur poids démographique respectif (de chacune de ces 4 nouvelles provinces).
Ce critère va consacrer l’unité katangaise. Cependant, le Lualaba et le Haut Katanga, au regard de leur plus grande capacité contributive, à court et moyen terme, recevront un peu plus des ressources que le Haut Lomami et le Tanganika.
La seconde solution serait de reverser toute l’enveloppe (les 549 milliards de FC) dans la marmite nationale et de reprendre la répartition suivant le principe de la solidarité nationale pondérée à celui de la capacité contributive.
Cette solution va ramener impitoyablement le Haut Lomami et le Tanganika, à court et moyen termes, dans la catégorie des provinces dites pauvres.
Cette option pourrait conduire à la frustration de ces deux nouvelles provinces, même si elle pourrait s’avérer plus équitable au plan national.
Quelle est, ici, l’option à lever pour le Katanga comme pour toutes les autres provinces à démembrer ?
Pour la répartition des recettes propres à chaque province (à démembrer) en faveur de nouvelles provinces.
Comme on le voit dans le tableau ci-après, ce sont les provinces à grand potentiel fiscal pour les recettes à caractère national et qui se voient ainsi affecter plus de ressources (à caractère national) par le Gouvernement central, ce sont elles aussi qui disposent d’un grand potentiel fiscal concernant les recettes à caractère provincial et local.
Les provinces dites pauvres, défavorisées à ce double titre, vont générer, après leur démembrement, des jeunes provinces davantage faibles et déséquilibrées dès leur installation, si de nouvelles options ne sont pas levées au niveau national.
En effet, concernant la répartition par le Gouvernement central, au profit des 11 provinces en 2015, des crédits d’investissements financés par les recettes à caractère national, on peut constater ce qui suit pour cet exercice.
Dans le tableau ci-haut, on constate que le Katanga se voit affecter 450 milliards de FC, soit 41% contre 19 milliards de FC pour le Kasaï occidental, soit 2%, 18 milliards de FC pour le Kasaï oriental, soit 2% et 10 milliards de FC pour le Bandundu, soit 1%.
Ce sont ces faibles montants affectés aux crédits d’investissements pour ces provinces qui devront être répartis respectivement entre 3 ou 4 nouvelles provinces qui naîtront de chacune de ces 3 dernières provinces, classées parmi les provinces dites pauvres.
Tout cela se réalise dans un contexte global où le Katanga voit déjà son budget en ressources propres financé par des ressources internes à hauteur de 230 milliards de FC pour l’exercice 2014 tandis que le Kasaï occidental, le Kasaï oriental ainsi que le Bandundu, à hauteur respectivement de 11, 15 et 34 milliards de FC. Ce sont aussi ces maigres recettes propres de ces trois provinces qui vont être réparties entre leurs nouvelles provinces respectives.
On voit que ce sont les provinces qui ont déjà moins de ressources au plan interne qui reçoivent davantage moins de crédits d’investissements de la part de l’Etat sur les ressources à caractère national.
A tous ces déséquilibres, il faut ajouter la différence de capacité d’endettement entre les provinces. En effet, plus une province est pauvre, plus faible est sa capacité de s’endetter pour financer son développement.
Notons qu’il ne s’agit pas pour nous de préconiser que soit réduite la part du Katanga, de Kinshasa et du Bas-Congo, au profit de celles de provinces dites pauvres.
En effet, les 3 provinces font déjà un effort de solidarité au profit des autres.
Il s’agira plutôt pour nous de suggérer que dans le processus d’installation de nouvelles provinces, de nouvelles options soient initiées pour réduire ces déséquilibres graves qui caractérisent la répartition du revenu national.

PROPOSITIONS
Pour réussir, bien que difficilement, avec le minimum de dégâts possibles, ce projet de découpage du pays en 26 provinces, les préalables ci-après devraient être remplis :
1) La préparation et le dépôt par le Gouvernement central au Parlement dans le délai légal (avant fin Mai 2015) d’un projet de loi du budget consolidé de l’Etat 2015 qui comprendra dans ses annexes les grandes options de répartition des ressources, du patrimoine, des charges et de la dette publique des provinces à démembrer ;
2) La préparation et le dépôt par le Gouvernement central au Parlement dans le délai légal (avant fin Mai 2015) du cadre budgétaire qui va accompagner l’élaboration du budget de l’Etat 2016 ;
3) La mise en place rapide de la caisse de péréquation, en vue de tenter de corriger les déséquilibres qui caractérisent aujourd’hui la répartition du revenu national, déséquilibres qui vont s’aggraver avec la mise en place de nouvelles provinces ;
4) La mise en place à court terme, d’un fonds spécial de péréquation, alimenté par un effort de mobilisation des ressources extérieures et à long terme, au profit d’un développement équilibré des provinces.
Car comme on l’a vu dans les tableaux ci-haut, si les choses restent inchangées, le Bandundu par exemple, avec ses 10 milliards de FC, soit ±10 millions de $ US, mettra environ un demi-siècle pour rattraper le niveau d’investissements qui seront réalisés au Katanga pendant l’exercice en cours, sur financement des ressources à caractère national, soit 450 millions de $ US, tandis que chacun de deux Kasaï mettra environ près d’un quart de siècle ;
5) Enfin, si le projet d’installation de 26 provinces veut s’accompagner d’un réel régionalisme constitutionnel et d’une décentralisation effective, une option s’impose : L’engagement de la part du pouvoir central de matérialiser le transfert des compétences et de la totalité des 40 % de ressources aux provinces, nouvelles comme anciennes, en renforçant les mécanismes de leur contrôle par le Pouvoir central.
Ainsi, fait à Kinshasa, le 06 avril 2015. Adolphe MUZITO

 

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