L’adoption d’un mécanisme contraignant pour certains minerais issus des zones de conflit a été rejeté en commission par les eurodéputés. Qui lui préfèrent une autocertification peu ambitieuse, dont certains minerais seraient de surcroît exclus.
La lutte contre le commerce de l’or, le tantale (matériau qui fait vibrer les téléphones portables), le tungstène et l’étain finançant des conflits armés avance à petits pas au niveau européen.
Le 14 avril 2015, les eurodéputés de la commission commerce international du Parlement européen ont adopté par 22 voix contre 16 voix et 2 abstentions la proposition de règlement sur les "minéraux de sang", des minéraux provenant de zones de conflits qu'ils alimentent le plus souvent.
Mais, les élus ont également repoussé une proposition destinée à imposer un principe de la transparence contraignant à l’intégralité de la chaîne d’approvisionnement de ces minéraux.
Auto-certification privilégiée
« Malheureusement, la commission commerce est passée à côté d'une belle occasion d'arrêter les minerais de sang » a regretté sur Twitter Ska Keller, eurodéputée allemande (Verts).
En refusant de durcir la proposition initiale de la Commission européenne, les eurodéputés ont choisi de conserver une grande partie du dispositif initial basé sur l'auto-certification des entreprises et la labellisation des chaînes d'approvisionnement responsable.
Seules les fonderies et les raffineries de l'UE seront sous le coup d'une obligation d'approvisionnement responsable, labellisée via une mention d'importateur responsable européen.
Une option défendue par les forces politiques à droite de l'échiquier politique européen et fortement récusée par la gauche et les Verts, défenseurs d'un système contraignant à tous les niveaux de la chaîne d'approvisionnement.
« L'antagonisme entre l'approche obligatoire et volontaire de la régulation est un faux problème. Le vrai défi concerne l'élaboration d'une règlementation efficace et viable » a affirmé Iuliu Winkler, député démocrate-chrétien roumain et vice-Président de la commission.
« Les raffineries-fonderies européennes ne représentant que 5% du marché mondial » a rappelé Yannick Jadot, vice-président de la Commission du Commerce international (Verts).
« Autrement dit, le seul moyen de soumettre la majorité des industries du secteur localisées en dehors de l’UE et principalement en Asie aux mêmes règles que les entreprises européennes est d’imposer la diligence raisonnable à tous les maillons de la chaîne » a-t-il martelé.
Longtemps attendue et présentée en mars 2014, la proposition de la Commission européenne misait initialement sur la l'instauration d'un mécanisme d’approvisionnement responsable en minerais provenant des régions en conflit en général, et de la région des Grands Lacs en République démocratique du Congo (RDC), particulièrement touchée par le phénomène.
Ce mécanisme d’auto-certification doublé d'un label avait soulevé de nombreuses critiques parmi les ONG, qui jugeaient le dispositif insuffisant pour endiguer la filière.
Un système contraignant est pourtant déjà en place aux États-Unis depuis 2010. La loi Dodd Franck a rendu obligatoire pour les entreprises américaines une certification approfondie, qui les contraint à vérifier la source des matériaux.
Une législation qui a depuis fait ses preuves, selon ses supporteurs, tandis que ses détracteurs l'accusent d'avoir favorisé le commerce de minerais de sang via des pays voisins de zones de conflits visés par la législation, mais aussi d'avoir créé un embargo américain de fait sur le secteur minier du Congo, et notamment sur les petites entreprises.
Champ réduit
D'autres critiques ont également vu le jour sur le champ d'application du texte, jugé trop restreint. Si les diamants font déjà partie du système de certification « Processus de Kimberley » auquel participe l'Union européenne, d'autres minerais alimentant des conflits armés dans le monde sont laissés à la marge du texte européen, tels que les émeraudes et le charbon en Colombie, ou encore le cuivre, le jade et le rubis en Birmanie.
« Ce texte est très restreint au niveau de son champ d’application. Il concerne trop peu d’entreprises et de ressources. Nous recommandons d’inclure le cuivre et les pierres précieuses qui posent problème en Birmanie par exemple » expliqué Henri Muyiha, secrétaire général de la Commission épiscopale pour les ressources naturelles (CERN) du Congo.
La proposition de règlement doit maintenant être adoptée en séance plénière au Parlement lors de la session plénière de mai, avant d'atterrir sur la table des États membres.
Réactions:
« J'espère que lors de cette séance les eurodéputés qui pleuraient les victimes des minerais du sang évoquées par le docteur Mukwege (prix Sakharov 2015), qui lui-même soutenait publiquement la démarche obligatoire défendue par les socialistes, seront emprunts de la même humanité », a déclaré Maria Arena (S&D).
« Les fonderies et raffineries sont les premiers acteurs en contact direct avec ces minerais. Afin d'aboutir à un système efficace, elles auront l’obligation de mettre en place le devoir de diligence pour garantir que l'importation des quatre types de minerais ne provienne pas de zones de conflit ou à haut risque et ne permette pas le financement de groupes armés », ont déclaré les eurodéputés français PPE Tokia Saïfi et Franck Proust.
« Le texte encourage également les autres importateurs et les entreprises ayant recours à ces minerais à exercer leur devoir de diligence avec la possibilité d’obtenir un label qui fournira davantage d'informations aux consommateurs européens et participera à la mise en place d'un approvisionnement responsable», ont-ils ajouté.
Ils ont indiqué que « le compromis obtenu sur ce texte correspond à une approche progressive et réaliste tout en s'inscrivant dans le cadre de la politique étrangère et de coopération de développement de l’UE ».
« Une révision du règlement est également prévue deux ans après son entrée en vigueur puis tous les trois ans afin de pouvoir poursuivre progressivement les discussions sur le caractère obligatoire du devoir de diligence et d’étudier les possibilités de l’étendre à d’autres acteurs ou ressources », ont conclu les eurodéputés.
«C'est notre responsabilité de doter l'Europe de moyens efficaces pour lutter réellement contre l’exploitation des mineraisalimentant les conflits armés », a déclaré Marielle de Sarnez, porte-parole de l'ADLE pour ce règlement à l'issue du vote.
« Ce vote est désastreux pour l’Union européenne car rien ne garantit que les produits commercialisés dans l’UE et dont la fabrication repose sur des minerais soient sans lien avec un certain nombre de conflits » a déclaré Yannick Jadot, vice-Président de la commission du Commerce international.
« Cela ne concerne que 19 raffineries et fonderies européennes qui ne représentent que 5% du marché. Il ne sera donc pas compliqué pour une entreprise de s’approvisionner ailleurs pour contourner la mesure et commercialiser en toute liberté des produits issus des minerais des conflits », a expliqué Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11.
« C’est une occasion manquée : seul un mécanisme contraignant de certification s’appliquant à tout la chaîne de production permettrait de mettre fin à la commercialisation des minerais des conflits », a-t-il déploré.