La chambre basse a eu tort d’avoir le contrepied de sa propre Commission des Lois. Elle a échoué à faire passer sa version jugée anticonstitutionnelle de la Loi modifiant la Loi portant statut des magistrats, retoquée à la chambre haute … Gros déboires de l’Assemblée nationale qui, faute d’opposer son véto conformément à l’article 135 de la Constitution, est contrainte de faire une courbe rentrante ou se soumettre l’arbitrage de la Cour constitutionnelle.
Sénat et Assemblée nationale sont divisés à propos de la version de la loi modifiant la Loi organique n°06/020 du 10 octobre portant statut des magistrats à renvoyer pour promulgation par le Président de la République. Dans cette guerre qui nécessite l’interprétation de la Constitution, la chambre haute a le soutient précieux des ONG, qui jugent inconstitutionnelle et incohérente la mouture adoptée par la chambre basse.
Un clash inédit et imparable oppose les deux chambres. A l’origine: la mouture de la Loi modifiant la Loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats, retournée au Parlement par le Président de la République pour une seconde délibération au motif que la Cour suprême de justice -CSJ-- avait jugé non conformes à la constitution les alinéas 5 et 6 de l’article 61. Concrètement, le texte initial prévoyait que le magistrat faisant l’objet des poursuites pénales ou d’une prise à partie était de plein droit c’est-à-dire automatiquement interdit de ses fonctions et cette interdiction était décidée par le Président du Conseil supérieur de la magistrature, les chefs de juridictions et les chefs d’offices des parquets -article 54, alinéa 1er de la loi portant statut des magistrats. De l’avis de la Haute Cour, cette disposition viole l’article 1 9, alinéa 3 de la Constitution parce qu’elle institue en quelque sorte un régime d’interdiction automatique, mieux un système où le magistrat pourrait être interdit du fait tout simplement du dépôt d’une plainte ou de tout acte engageant les poursuites contre lui au pénal ou en matière disciplinaire. Selon la Haute Cour, pareil régime ne permet pas au magistrat de donner ses moyens de défense pourtant garantis par l’article 19, alinéa 3 de la Constitution Curieusement, à l’issue du réexamen, l’Assemblée nationale, prenant le contrepied de sa propre Commission PAJ, a adopté une version de l’article 61 qui aggrave la situation du magistrat, en violation, une fois de plus. de la Constitution et d’autres principes légaux de base.
Esprit de responsabilité!
Des sources bien informées rapportent que la Commission PAJ avait proposé la suppression bure et simple des alinéas jugés non conformes à la Constitution mais s’était butée aux humeurs de quelques députés. Conséquence : la plénière de la chambre basse, sans nul doute induite en erreur. a adopté une reformulation insipide et indigeste. Voici que sa version est retoquée au Sénat, où l’on a supprimé tous les ajouts déplaisants. Vigilants, les sénateurs ont décelé des incohérences et des contradictions juridiques dans le texte transmis par l’Assemblée nationale. Clash. Voici que le statut des magistrats empoisonne les chambres. La guerre est atroce et imparable. Si l’article 135 de la Constitution accorde la primauté û l’Assemblée nationale en cas de désaccord entre les deux chambres, le principe est de loin de faire l’unanimité dans le cas d’espèce, le statut des magistrats étant classé dans la catégorie Dossiers sensibles. Le véto de I‘Assemblée nationale a beau être symbolique, il n’en est pas moins un sujet de discorde au pays. Les réactions enregistrées reflètent l’extrême sensibilité du sujet. «Une matière aussi sensible ne peut pas se régler sur base du simple principe de la primauté de l‘Assemblée nationale sur le Sénat consacrée à l’article 135 de la Constitution», plaide un juriste indépendant. Il reste maintenant à opter pour l’une des deux solutions les plus envisageables: la rétractation des députés par esprit de responsabilité sinon l’arbitrage de la Cour constitutionnelle appelée, dans cette hypothèse, à passer son premier grand test. Les critiques fusent. «Les députés doivent revoir leur copie. La loi portant statut des magistrats relève de la politique entendue dans son sens étymologique et noble, c‘est-à-dire comprise comme la gestion des affaires publiques d’un pays et de ses citoyens. C ‘est un art. Une science. Les mascarades, les humeurs, auxquelles on a assistées malheureusement lors de l’adoption de ce projet à l‘Assemblée nationale sont loin de la civilité politique. Nous voulons le combat des idées, l’argumentation et la persuasion par la logique... donc les vraies valeurs», assène un expert en droit. La suite promet d’être chaude. Déjà, les ONG font pression sur le Parlement après avoir passé au peigne fin la mouture de la loi issue de la chambre basse et abouti aux mêmes conclusions que le Sénat.
AKM