Les partenaires au dialogue doivent être moralement définis par la communauté et non par eux-mêmes

Mercredi 20 mai 2015 - 12:17

Quelle est l’opportunité d’un énième dialogue à la veille des élections générales en RDC ? Qui seront les participants à ce dialogue ? Quel seront les principaux enjeux ? Autant de questions qui nécessitent des réponses claires, précises et bien argumentées par des politiques aguerris. A ce sujet, la rédaction de notre journal est allée à la rencontre d’un « mbuta muntu “ (sage), en la personne du pharmacien Etienne Flaubert Batangu Mpesa, en sa qualité de député honoraire et d’homme politique. Ci-dessous, l’intégralité de notre entretien qui a eu lieu à la place Manadiar, située sur l’avenue By-Pass dans la commune de Selembao. Il faut néanmoins préciser qu’un autre sage à la place de Batangu Mpesa nous aurait également donné sa position qui pouvait aussi être plus convaincante, par rapport à celle contenue dans les lignes qui suivent. Comme pour dire que la réaction de Batangu Mpesa n’engage que lui, et ne peut en aucun cas, être prise comme une parole d’évangile, tout le monde étant libre d’émettre ses idées.

La Référence Plus : Monsieur Batangu, vous êtes parmi les politiques qui ont marqué leur passage dans les annales politiques rd congolaises. En votre qualité de député honoraire et d’ancien président du Groupe parlementaire Kongo (GPK). Quel est d’après vous, l’opportunité d’un énième dialogue en RDC ?

Batangu Mpesa : Je réponds en tant que Kongo, par un proverbe kongo “ Ye kufuidi nsi, ye kufuidi ngudi, kue fueti teka kuenda ? “(Traduction.: Là dû est mort le pays et là où est morte la mère, où doit-on d’abord partir, sachant que les deux propositions sont nécessaires ? “. Il faut partir d’abord là où meurt le pays, afin de l’arranger. Pourquoi ? Parce qu’il faut chercher à arranger le pays qui est détruit, afin d’aménager un endroit approprié pour enterrer le corps de sa mère. Si vous allez d’abord là où la mère est morte, où irez-vous l’enterrer parce qua vous risquez de ne pas la mettre sous terre, pour la simple raison que tout a été détruit. Ceci veut simplement dire que si le pays ne marche pas, nous ayons intérêt à dialoguer à tout moment, afin de trouver des solutions idoines.

La Référence Plus : Quels seront le contenu et les résultats attendus ?

Batangu Mpesa : Le dialogue dont question, peut aussi être compris comme les “ nkungu “ ou les « bimoko bia ba mbuta “ en termes kongo, d’où sortent inéluctablement de bonnes choses paisibles pour toute la communauté. Quand les « bambuta “ (sages) d’une contrée se réunissent, tout le monde attend et tout le monde sera apaisé sur tout ce qui en résulte. Les “ nkungu “ ou dialogue, sont donc fonction de son contenu et des résultats attendus. Son contenu c’est lorsqu’on parle du pays tandis que les résultats sont relatifs aux conclusions concertées, c’est-à-dire à des choses paisibles.

La Référence plus : Qui sont appelés à ce dialogue ?

Batangu Mpesa : Ne sont appelés aux « nkungu » (dialogue) que des personnes sages, connaiss5nt l’histoire du pays et jouissant d’une certaine crédibilité au sein de toute la communauté: c’est-à-dire des personnes connues et appréciées dans la communauté. Ces personnes-là ne peuvent pas céder facilement à des ruses et à diverses pressions mais parlent pour l’intérêt réellement communautaire. Donc les partenaires au dialogue doivent d’abord être moralement définis par la communauté et non par eux-mêmes.

La Référence Plus : Quels sont les garde-fous des consultants pour trouver les gens qui participeront aux “ nkungu (dialogue) en qualité et en nombre suffisant et utile ?

Batangu Mpesa : Ici, le sérieux et la perspicacité du consultant ou de l’organisateur doivent être jugés. Pour mémoire, la RDC d’aujourd’hui était en février 1885, l’Etat indépendant du Congo (EIC), propriété personnelle du Roi des Belges, Léopold II. Cet Etat indépendant est l’une des parties du royaume kongo scindé en trois, dont l’une attribuée aux Portugais, l’Angola, et la deuxième aux Français, le Congo/Brazza et la troisième, à Léopold II où se trouvaient les Bakongo du Kongo Central et du Bandundu (Kwango, Kwilu...). D’autres royaumes environnants, étaient par la suite conquis et annexés à l’EIC par le Roi Léopold II. Il s’agit de l’Equateur (18t9), du Rasai (1891), du Kivu (1894), du Katanga (1895), et du Haut-Congo (1897). Six royaumes jadis indépendants l’un et l’autre, étaient mis ensemble par un souverain étranger sous son autorité politique et administrative. En 1908, le Roi Léopold II, appauvri et fatigué, confia l’EIC, structuré de façon mosaïque, à la Belgique, son pays, comme une colonie. Cet Etat Royaume ainsi réuni dans l’EIC par le Roi Léopold II, constitua un conglomérat de peuples, présentant une hétérogénéité des mentalités et des mœurs. Les autochtones congolais de cet Etat n’étaient jamais réunis ensemble pour adopter certaines règles d’harmonisation de leur commune destinée, de la gestion de leur nouvel Etat indépendant et de leur nouveau patrimoine issu de leurs royaumes respectifs d’antan. C’est cela qui marquait certainement aussi leurs différences. Sous la colonisation belge, les uns et les autres ont pratiquement gardé leurs mœurs et coutumes. Devenu indépendant, le pays n’a jamais connu réellement la tranquillité nécessaire pour examiner ou pour se pencher sur es valeurs culturelles et morales communes à promouvoir et à soutenir. Dans la première législature, cet état de choses a donné lieu à des divisions, des guerres, de sécession... Et lorsque Mobutu est arrivé au pouvoir, la doctrine de l’authenticité n’a pas non plus réellement touché à la question, de manière à forger une nouvelle nation, notamment par une langue ou des langues à promouvoir de l’intérieur et à utiliser correctement pour le développement. Dans le cas d’espèce, aucun effort réel n’a été fourni par l’Etat, afin de demander aux nationaux, d’apprendre et de maîtriser au moins les quatre langues nationales, ce qui aurait été un avantage pour tous. Ces langues devaient être enseignées comme deuxièmes langues dans toutes les écoles, dans les administrations et les utiliser dans le travail. Il fallait en outre demander aux fonctionnaires d’apprendre la langue nationale de la province d’affectation, comme le faisait le colonisateur belge. Aucun fonctionnaire belge ne quittait la métropole pour le Congo, sans avoir appris l’une ou l’autre des langues du milieu où il était envoyé. Les langues, sont un facteur d’union ou de division.

Malheureusement, au Congo les langues ont constitué plus, souvent, un facteur de division de discrimination et de rejet. C’est comme pour dire que la colonisation nous a laissé dans la grande division linguistique, qui persiste jusqu’à présent. En d’autres termes, l’indépendance ne s’est pas pencher sur l’indépendance ou le nationalisme linguistique.

La Référence Plus : Aujourd’hui, après le vent de Mobutu et le long vent de la démocratisation, quelles peuvent être les questions de fond pour envisager une société congolaise cohérente, où tout le monde peut bénéficier des potentialités mises à la disposition de l’Etat congolais?

Batangu Mpesa : Parmi les richesses communes du pays, la plus ignorée est probablement l’eau. La RDC est l’un des pays qui ont le plus d’eau douce. Le litre du carburant coûtant à peu près le litre d’eau potable, l’on peut imaginer le grand patrimoine disponible dans ce pays capable de soutenir son économie dans l’agriculture, dans l’industrie, dans l’énergie hydro-électrique, dans les ménages. La flore (les forêts et savanes) avec ses plantes médicinales, avec la biomasse pour la production de l’oxygène, sont nécessaires au pays et à l’humanité, avant de parler des minerais, constituent des grands enjeux dont les Congolais devraient acquérir la maîtrise, pour eux- mêmes et pour l’extérieur. Cela sous- entend les Nkungu za bambutas (dialogue des sages), mieux les réflexions ou la prise en compte de l’expertise congolaise aujourd’hui plus abondante dans tous les domaines, pour permettre aux gouvernants à tous les niveaux, de prendre des décisions résultant des conclusions scientifiques pertinentes de ces fils et filles. Parler donc du dialogue, nécessite des options politiques qui devraient s’appuyer sur des réflexions scientifiques et techniques des cadres. Et autant que faire se peut, les “ nkungu “ ou les “bimoko bia ba mbuta “ ou le dialogue national, s’adressent plus à la connaissance et à la compréhension de la grande masse qui représente plus ou moins 80% de la population, en utilisant les langues congolaises dans les débats et les réflexions. Cela demande un effort de la part de chacun pour connaître les langues nationales, au lieu de se contenter d’une proportion de plus ou moins 20% qui maîtrisent l’ancienne langue du colonisateur, et qui se croît seule à réfléchir valablement sur les problèmes et les destinées de la RDC, cette association d’anciens empires:
(Kongo, Equateur, Kasaï, Kivu, Katanga, province Orientale...).

La Référence Plus : Quel est le schéma que les uns et les autres envisagent à ce dialogue, en dehors des positionnements politiques qui n’ont jamais résolu nos problèmes?

Batangu Mpesa : En faisant la lecture ci-dessus, nous pus rendons compte que nous sommes dans un pays où nous sommes étrangers les uns vis-à-vis des autres. Pour y mettre fin, les uns et les autres doivent rechercher à comprendre les autres, quel que soit le prix, en apprenant les langues des uns et des autres. C’est une piste, car un Muluba qui tombe sur un Mukongo qui parle parfaitement le Tshiluba, oublie que celui-là est un Mukongo et l’adopte facilement un Mukongo qui tombe sur un swahili qui parle parfaitement le kikongo, il l’adopte facilement et vice-versa...J’ai découvert l’Esperanto en janvier2015, comme une langue auxiliaire pouvant être utilisée même à l’intérieur de la RDC, où celui qui ne connaît pas le Tshiluba, peut échanger avec les lubas s’il connaît l’Esperanto et vice-versa, C’est une langue universelle auxiliaire que tout le monde peut maîtriser, tout en gardant sa langue maternelle. Si en RDC avec quatre grandes langues sur plus ou moins 450 existantes, se comprendre était un problème, qu’en sera-t-il lorsqu’on sortira en dehors de la RDC, avec plus de 2.000 langues africaines ? Comment le Congo pourra-t-il se développer, sans compréhension linguistique et comment l’Afrique pourra-t-elle se développer, dans les efforts des langues, comme véhicule dans le processus du développement. L’une des approches, c’est cet effort national que les uns et les autres doivent faire, librement pour apprendre les autres langues non natales. Cela est un bénéfice communautaire. En même temps, un effort d’une langue universelle comme l’Esperanto, que LUNESCO dans l’une de ses résolutions prises lors de son Assemblée Générale de 1954 à Montevideo, recommanda à tous les membres de promouvoir et la pratique de l’Esperanto. La langue Esperanto est universelle et n’appartient à aucun pays, mais elle est parlée dans beaucoup de pays, et en RDC depuis 1963, par certains compatriotes. En dehors de l’approche linguistique, il faut faire confiance à l’expertise nationale. Les institutions d’enseignement depuis la maternelle jusqu’à l’université, sont des outils que l’Etat devrait réellement valoriser, et utiliser dans le processus de prise de décisions, processus dans lequel les langues congolaises doivent avoir une place de choix.

Propos recueillis par José Wakadila