Il y a cinq ans jour pour jour, la vie des habitants de Kawama, dans la province du Katanga, en RDC, a été totalement bouleversée. Des centaines de familles ont été réveillées par une intervention brutale : des bulldozers et des policiers menaçants prêts à détruire leurs habitations et à procéder à leur expulsion.
Aucun avertissement préalable, simplement l’arrivée soudaine des bulldozers dans Kawama. En un clin d’œil, le chaos de la démolition arbitraire prenait le relais.
Durant deux journées insoutenables, les habitants de différents quartiers de Kawama ont assisté, impuissants, à la destruction totale de leurs maisons. Leurs protestations ont été ignorées. Leurs vies s’en sont trouvées bouleversées, leurs biens et leurs moyens de subsistance réduits à néant.
Les démolitions ont été menées sous la surveillance de la police nationale congolaise, à l’aide de bulldozers appartenant à l'Entreprise Générale Malta Forrest (EGMF) et manœuvrés par des conducteurs de l'entreprise.
Filiale du Groupe Forrest International, une compagnie minière belge, EGMF exploitait la mine de Luiswishi, près de Kawama. Le Groupe Forrest International a affirmé que les creuseurs qui s’étaient installés à Kawama quelques semaines avant les démolitions avaient commis des vols de minerais sur le site de la mine de Luiswishi.
Il avait demandé aux autorités d’intervenir afin de mettre un terme à ces vols. Cependant, l’opération menée par la police le 24 novembre s’est traduite par la destruction des habitations des creuseurs, sans avertissement ni respect de la légalité – ce qui constitue une violation du droit congolais, africain et international.
L’opération ne s’est pas arrêtée là : au moins 387 logements et commerces d’habitants permanents de Kawama ont également été rasés. Cinq ans plus tard, les victimes des démolitions et des expulsions forcées à Kawama attendent toujours d’être indemnisées.
Leurs démarches pour obtenir justice ont été entravées par le refus constant du Groupe Forrest International de reconnaître que des logements et commerces appartenant aux villageois avaient bien été démolis.
Amnesty International publie un nouveau rapport intitulé Après les bulldozers – Comment une compagnie minière a étouffé la vérité sur des expulsions forcées en République démocratique du Congo . Il présente des images satellite et d'autres éléments de preuve qui révèlent l’ampleur des démolitions et démontrent que le Groupe Forrest International a menti sur leur étendue et leur impact.
Au mois d’octobre, Amnesty International a présenté ces éléments de preuve à l’entreprise, qui ne nie plus le fait que les villageois ont été touchés, mais continue de nier toute responsabilité dans les événements survenus à Kawama.
Amnesty International demande au Groupe Forrest International d'indemniser les villageois pour tout ce qu'ils ont perdu. Elle invite également les autorités congolaises à faire en sorte que justice soit rendue et que les responsables présumés rendent des comptes.
La souffrance des villageois expulsés de force de Kawama constitue une violation flagrante des droits humains. En tant qu’avocat spécialisé dans la défense des droits humains et militant d’Amnesty International, je soutiens les villageois dans leur lutte pour traduire en justice les responsables de leur malheur.
Les villageois expulsés m’ont expliqué que la destruction de leurs maisons et de leurs commerces s’était traduite par l’angoisse de se retrouver sans-abri, l’interruption de la scolarité de leurs enfants et l’aggravation de leur pauvreté. Hélas, l’indemnisation des victimes de Kawama s’est avérée aussi insaisissable que la justice qu’elles réclament.
Le système judiciaire en République démocratique du Congo aurait dû faire droit à leurs requêtes, mais l’information judiciaire menée par l’avocat général de Lubumbashi, en charge de l’affaire, n’a pas débouché sur un procès.
En effet, il avait reçu l’ordre de sa hiérarchie de ne pas prononcer d’inculpations. Cinq ans plus tard, les victimes des démolitions de Kawama attendent toujours. Elles sont privées de justice. Kawama regorge de minerais et d’autres ressources naturelles.
Loin d’être synonymes d’accès à l’emploi et de financement des services sociaux, ils sont source de conflits et d’atteintes aux droits humains, notamment d’expulsions forcées.
Aujourd’hui, les villageois sont menacés par de nouvelles expulsions. L’EGMF s’est retirée de la concession minière en 2012. La compagnie qui détient la mine de Luiswishi, la Société minière du Sud-Katanga (CMSK), qui appartient aujourd’hui à l’entreprise d’État Gécamines, s’est plainte auprès du gouvernement de la recrudescence de l’activité des creuseurs.
À son tour, le gouvernement a menacé les villageois de certains quartiers de Kawama de démolir leurs maisons s’ils ne faisaient pas fuir ces creuseurs.
En brandissant la menace de l’expulsion contre les habitants de Kawama, les autorités les menacent de sanctions collectives, totalement prohibées au titre du droit international.
La Société minière du Sud-Katanga ne s’est pas exprimée publiquement pour dénoncer ces menaces ni demander que les interventions des forces de sécurité liées à ses opérations se fassent dans le respect des normes internationales.
Il est clair qu’elle n’a pas retenu les leçons des démolitions de 2009. Les autorités congolaises, et tout particulièrement les forces de police, ont le devoir de protéger les communautés vulnérables de Kawama, et non de bafouer leurs droits.
Avec l’aide des autorités, les compagnies minières qui exploitent des gisements à Kawama poursuivent leurs activités, comme si de rien n’était. En revanche, pour ceux qui ont tout perdu lors des deux journées fatidiques des 24 et 25 novembre 2009, la vie ne sera plus jamais la même.
Tant que les responsables ne rendront pas compte de leurs actes et tant que les droits des habitants de Kawama ne seront pas protégés, leur souffrance ne pourra s’éteindre.
• Delly Mawazo, juriste spécialisé dans la défense des droits humains, est chercheur sur la RDC à Amnesty International.