Quels types de pressions ont eu raison de la détermination des évêques au point de « surseoir » à la marche des chrétiens programmée le 16 février 2016 ? Pour les uns, les princes de l’Eglise se réservent d’offrir à l’Opposition une opportunité de tirer des dividendes politiques; pour d’autres les évêques se sont pilés aux menaces du président Kabila et sa majorité; mais pour les évêques, il s’agit simplement d’éviter toute récupération politicienne, sur recommandation du Vatican, poussé par le nonce apostolique. La marche pour lancer l’année jubilaire ne sera plus une affaire de la Conférence épiscopale nationale du Congo.
Les évêques ne tiennent pas à offrir sur un plateau d’argent, la récupération politicienne de leur initiative d’une marche le 16 février 2016. Ils ont décidé de ne plus mettre les chrétiens dans la rue. La Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) s’est pliée, sous la pression du Vatican, à l’exigence de se concentrer exclusivement à la prière. Mais, il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’un marchandage qui aurait abouti à cette mesure contre le respect des prescrits de la Constitution par le président Kabila. L’omerta imposée sur le tête-à-tête qu’ils avaient eu avec le chef de l’Etat lors des consultations qu’ils avaient initiées est révélatrice. Ce rétropédalage n’est pas gratuit. La Cenco vient donc de commuer la marche de lancement de l’année jubilaire de la commémoration du massacre des chrétiens en 1992 qui exigeaient la réouverture de la Conférence nationale souveraine fermée par le dictateur Mobutu, à des prières œcuméniques.
L’approche de la fin du deuxième et dernier mandat du président Joseph Kabila conformément à la Constitution du 18 février 2006 ainsi que les velléités voire des tentatives de modification de la loi fondamentale avaient donné lieu à l’évocation de l’article 64 par les évêques pour faire échec à tout projet qui irait dans ce sens. Aussitôt, cet appel citoyen a provoqué une levée de boucliers du côté des animateurs des institutions et de la Majorité présidentielle.
LES PRESSIONS DE LA MP
A la MP, les évêques étaient traités de tous les noms d’oiseaux. En des termes durs, les communicants de la MP et des officiels ont invité la Cenco à se consacrer exclusivement à la prière et de laisser les laïcs faire la politique. Certains sont allés loin dans les allusions indiquant que les évêques avaient été payés pour lancer cet appel. Le porte-parole du gouvernement Lambert Mende, lui avait « redouté une collusion » avec l’Opposition et des puissances étrangères. L’appel citoyen était considéré comme un soutien à l’Opposition. Comme pour démontrer qu’en haut lieu cette prise de position de la Cenco était mal prise, le procureur général de la République est sorti de sa réserve, mettant en garde quiconque, quelle que soit sa qualité, inviterait la population à descendre dans la rue, sur pied de la première partie de l’article 64 de la Constitution du 18 février 2016. Sans se faire prier, la a réagi vigoureusement estimant que ses membres ne pouvaient être considérés comme des agitateurs mais des Pasteurs qui ont à cœur le pays et le bon fonctionnement de la Constitution congolaise. Et à l’article 64, la loi fondamentale dispose : « Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe de personnes qui exercerait Je pouvoir par la force ou qui l’exercerait en violation des dispositions de la Constitution ». Dans un élan de bras de fer, la Cenco a écrit : «L’interprétation qui est donnée de l’article 64 met le citoyen face à ses responsabilités», ajoutant qu’aucun évêque ne nourrissait l’intention de renverser le régime en place. Tout ce que les évêques demandent est le respect de la Constitution e des délais constitutionnels prévus par la Constitution. Cette position est réitérée dans le communiqué de Mgr Nicolas Djomo à l’issue des consultations conduites auprès des acteurs politiques pour un processus électoral apaisé.
QUAND LE VATICAN S’EN MELE
Selon un évêque, la pression du Vatican se serait ajoutée à celle de la Majorité, à côté des messages de soutien de l’Opposition qui a donné l’illusion d’une synergie.
Samedi, le Front citoyen 2016, rassemblement antikabiliste nouvellement mis en place à l’île de Gorée (Sénégal), a annoncé qu’il comptait participer «activement» à l’appel de la Cenco à marcher le 16 février. Une preuve supplémentaire de cette récupération alors que la Majorité a programmé une contremarche dénommée « Marche pour la paix » le même jour.
Pour une autre source bien introduite au Centre interdiocésain, le nonce apostolique en place à Kinshasa aurait joué un rôle déterminant dans la position du Vatican. Il aurait, en effet, considéré que « la récupération politicienne » de la marche du 16 février 2016 était évidente; «Cette initiative a suscité des attentes contrastées et démesurées chez nos compatriotes», écrit le président de la Cenco; Mgr Nicolas Djomo dans une lettre adressée à tous les évêques du pays.
«Les uns y ont vu une action citoyenne aux fins politiques, d’autres ont envisagé une contremarche à la même date» et «le Saint-Siège nous a fermement recommandé de suspendre les initiatives qui peuvent être manipulées pour des fins politiques», lit-on dans cette lettre datée du S janvier, dont l’AFP a obtenu une copie. Une source confirme l’existence de cette correspondance, ajoutant que le « Vatican n’avait pas laissé d’autres choix aux évêques que de se plier », affirmant que « l’émissaire des institutions dépêché à Rome avait frappé aux bonnes portes et avaient tenu un discours corroboré par le rapport de la nonciature apostolique ». L’AFP, qui cite la correspondance de Mgr Djomo écrit « Conscient du risque de récupération de notre initiative et d’affrontements éventuels entre les manifestants, il nous a semblé judicieux de surseoir à cette marche », ajoute Mgr Djomo, qui appelle ses pairs à transmettre cette information dans leurs diocèses respectifs. Mais une question demeure, qu’en est-il de la sensibilisation qui avait déjà commencé dans certaines paroisses ? Va-t-elle s’arrêter subitement ?
UN COMPROMIS ?
Est-ce que les évêques ont plié sans obtenir des garanties que leurs exigences, notamment en matière de respect de la Constitution seront respectées ? Pour une source diplomatique « le président Kabila et les évêques ont trouvé un compromis lors de leur dernier entretien ».
D’ailleurs, ce tête-à-tête s’est déroulé loin des caméras. Personne n’avait confirmé sa tenue jusqu’au communiqué de Mgr Djomo. A la Cenco « motus et bouche cousue » est de rigueur, mais dans les couloirs, il se dit que le respect de la Constitution après le dialogue et une brève transition est « un compromis acceptable qui fait aussi l’économie de sang ». Reste que pour certains évêques qui n’ont pas bien digéré cette volte-face, « ne font pas confiance » à la parole qui leur avait été donnée à GLM. En cédant aux pressions combinées du Vatican et de la Majorité présidentielle, les évêques mettent les Opposants face à leur responsabilité de s’assumer en cas d’éventuelle organisation des manifestations plutôt que de se greffer sur une initiative de l’Eglise. Il appartient au président Joseph Kabila et à sa Majorité de démontrer que « l’intérêt supérieur du pays passe avant le leur ».
LE POTENTIEL