Message interpellateur des intellectuels congolais : Constitution «ewumela» !

Lundi 22 février 2016 - 14:32

« Longue vie à la Constitution du 18 février 2006 » : telle est la principale recommandation des participants au Colloque International sur la décennie de la Constitution de la RDC. Organisé par l’Institut pour la Démocratie, la Gouvernance et laP, ce forum qui a fermé ses portes le samedi 21 février  2016,  a été marqué par la participation d’éminents spécialistes du droit public  de la RDC  et de l’étranger.

Comme un seul homme, tous ont plaidé pour que la Constitution de la RDC soit strictement respectée, surtout dans ses dispositions intangibles, y compris celle qui limite le mandat de l’actuel chef de l’Etat à 5 ans, renouvelable une fois.

L’initiateur de ce colloque, le professeur André Mbata de la faculté de Droit de l’Université de Kinshasa, a remercié tous les scientifiques congolais qui ont bravé la peur pour réfléchir sur les dix ans de vie de la loi fondamentale de la RDC. Convaincu que le non respect de la Constitution est la cause de l’instabilité de beaucoup de pays Africains, cet éminent professeur de droit public à l’Université de Kinshasa a appelé à la protection de la Constitution, fruit d’une longue et pénible marche vers la démocratisation de la RDC. 

  1. Constat

Les communications faites lors du Colloque international sur les 10 ans de la Constitution ainsi que les échanges et discussions qui en ont découlé ont débouché sur le constat suivant:

  1. La Constitution du 18 février 2006 a réussi à survivre en dépit de nombreuses tentatives de violations et de fraudes à la Constitution.
  2. Il existe un fossé entre le droit établi et son application par les gouvernants. C’est ce qui justifie la tendance à vouloir saper les règles de droit ou à s’y soustraire carrément à travers de nombreuses stratégies de fraude à la Constitution.
  3. L’un des problèmes majeurs relatifs au respect de la Constitution concerne le déficit de culture constitutionnelle dans le chef des gouvernants et de nombreux acteurs politiques alors que le peuple manifeste de plus en plus son attachement à la Constitution.
  4. Le respect de la Constitution et sa suprématie comme loi fondamentale de la République dépendent largement de son intériorisation à la fois par les gouvernants et par le peuple qui doit non pas seulement respecter cette Constitution, mais aussi la défendre lorsqu’un individu ou un groupe de personnes prend le pouvoir ou même simplement l’exerce en violation des dispositions de la Constitution suivant l’article 64 de celle-ci.
  5. Tout en s’inspirant d’autres constitutions dans le monde dans le cadre de l’internationalisation du droit constitutionnel, la Constitution du 18 février 2006 présente une identité particulière. Cette identité découle de l’exposé des motifs, des objectifs poursuivis, de l’organisation et de l’exercice du pouvoir qui criminalisent, par exemple, le coup d’Etat et l’établissement d’un parti unique sur tout ou partie du territoire, de la reconnaissance des droits et devoirs fondamentaux comme celui consacré par l’ article 64, et du verrouillage explicite ou implicite de certaines matières comme la forme républicaine de l’ Etat, le principe du suffrage universel, la forme républicaine du gouvernement, le nombre (2) et la durée (5 ans) des mandats du Président de la République, le pluralisme politique ou syndical, et l’indépendance du pouvoir judiciaire qui ne peuvent pas faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle. Il en est de même de toute révision qui aurait pour objet ou pour effet de réduire les libertés de la personne et l’autonomie des provinces et des entités territoriales décentralisées et qui est formellement interdite.
  6. La Cour constitutionnelle joue un important rôle dans le respect de la Constitution et de sa suprématie. Toute tentative de contournement de la Constitution par des dialogues ou des transitions constituerait une fraude à la Constitution et le non-respect de la Constitution aurait des conséquences néfastes pour la paix et la reconstruction de la RDC.
  1. Recommandations

Les participants au Colloque sont tous unanimes sur la nécessité pour les institutions de la République et l’ensemble des Congolais de veiller à ce que la Constitution soit respectée dans son intégralité. Il s’agit de respecter scrupuleusement les dispositions constitutionnelles notamment celles relatives :

  • à la limitation des pouvoirs ;
  • à l’indépendance du pouvoir judiciaire et des institutions d’appui à la démocratie ;
  • au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales dont le droit à la vie, le droit à l’égalité de tous et à la non-discrimination, les droits de la femme, y compris la parité dans les institutions, le droit à un environnement sain et propice au développement, le droit à la liberté d’expression ou d’opinion, et le droit à la liberté de manifestation pacifique sous le régime d’information et non d’autorisation. Ces droits doivent être reconnus à tous les Congolais et non pas seulement aux personnes et organisations associées au parti ou à la coalition au pouvoir.

Les recommandations suivantes sont formulées à l’endroit des institutions de la République, des intellectuels congolais, des acteurs politiques, de la communauté internationale, et celui du peuple congolais.

  1. Aux institutions publiques :

1.1.      Au Président de la république :

  • Tenir compte de son devoir d’observer et de défendre la Constitution conformément aux articles 69 et 74 de la Constitutionqu’il avait lui-même promulguée pour préserver les acquis  de sa présidence et épargner son pays d’une crise politique aux conséquences incalculables, les violations de la Constitution ayant été la principale cause de crises politiques depuis l’accession du pays à l’indépendance le 30 juin 1960.

1.2.      Au Parlement :

  • Veiller au respect de la Constitution notamment en adoptant toutes les lois nécessaires à l’application des dispositions constitutionnelles telles que celle qui se rapporte à la liberté de manifestation consacrée à l’article 26 ; Ce qui permettra de mettre un terme à la confusion qui continue d’être entretenue par l’usage d’un régime d’autorisation, plutôt que celui d’information consacré par ladite disposition.
  • Renforcer le contrôle parlementaire du gouvernement, des établissements et services publics, et se préoccuper davantage des intérêts du peuple que les parlementaires sont censés représenter et défendre conformément à la Constitution.

1.3. Au Gouvernement :

  • Respecter scrupuleusement la Constitution qui est la source de tout pouvoir dans l’Etat.
  • Veiller à ce que la Constitution soit respectée par tous les agents et fonctionnaires de l’Etat à tous les niveaux de l’Administration publique, spécialement par les membres des forces armées et de la police.

1.4.      Au pouvoir judiciaire :

  • Agir comme garant des droits et libertés fondamentaux reconnus aux citoyens car la justice est rendue au nom du peuple et non pas au nom du gouvernement ou des partis au pouvoir.
  • Faire en sorte qu’il soit mis fin aux arrestations et détentions arbitraires devenues monnaie courante, dans le respect de la Constitution
  • Faciliter l’accès de tous les citoyens à la justice.

1.5. Plus particulièrement à la Cour constitutionnelle:

  • Rehausser son niveau d’indépendance et d’impartialité par rapport monde politique dont les acteurs espèrent toujours obtenir des arrêts allant dans le sens de leurs intérêts, parfois au mépris des prescrits constitutionnels.
  • Se mettre à l’écoute du peuple afin d’améliorer sa jurisprudence et son image jusque-là négative dans l’opinion.
  • Entretenir un dialogue constructif permanent avec le monde académique ou scientifique notamment en organisant des conférences ainsi qu’en donnant la possibilité aux jeunes chercheurs d’effectuer des stages de recherches en son sein ;
  • Entretenir également des échanges avec d’autres juridictions constitutionnelles du monde, particulièrement celles d’Afrique qui ont contribué largement à la consolidation de l’Etat de droit démocratique dans leurs pays.
  • Exiger de ses membres une formation permanente et continue dans le domaine du contentieux constitutionnel qui est nouveau dans notre pays et qui est bien différent de simples contentieux administratifs, judiciaire et civil dans lesquels les juges congolais avaient été principalement formés et s’étaient illustrés jusque-là.
  • Comprendre que même si ses arrêts sont sans recours, dans un Etat de droit, la Cour constitutionnelle elle-même tout comme les autres juridictions et institutions de la République ne sont pas au-dessus de la Constitution à laquelle elles doivent impérativement se soumettre.

–           Réaliser que malgré leur mode de nomination qui privilégie le Président de la République en fonction et les partis politiques dominants au niveau du Parlement, la Cour ne saurait être un bras séculier du gouvernement, les juges constitutionnels qui sont nommés pour une durée plus longue que celle du mandat présidentiel ou parlementaire ne sont pas non plus des agents du gouvernement ni du parti ou de la coalition au pouvoir.

Ils doivent comprendre qu’ils ont même un devoir d’ingratitude vis-à-vis des gouvernants et des partis politiques. Ils ne sont soumis qu’à la Constitution et leur gratitude ne s’adresse qu’au peuple souverain qui est le constituant originaire.

– Abandonner la méthode grammaticale ou littérale d’interprétation pour privilégier des méthodes contextuelle, holistique et téléologique qui tiennent compte de l’esprit de la Constitution et le but poursuivi par le constituant originaire qui est celui d’établir un Etat de droit  réellement démocratique et social conformément à l’article 1er de la Constitution.

– Protéger les droits et libertés des citoyens en se prononçant dans les délais sur les requêtes pendantes devant elle, notamment celle tendant à déclarer la peine de mort inconstitutionnelle dans notre pays.

1.6. Aux institutions d’appui à la démocratie de la République comme le CSAC et la Commission électorale nationale indépendante :

  • Respecter scrupuleusement la Constitution.
  • La CENI doit notamment veiller de sorte à ce qu’elle publie urgemment le calendrier électoral et que les élections présidentielles se tiennent dans le respect des délais constitutionnels.

1.7 Aux Forces de sécurité :

  • Veiller à la protection des droits des citoyens quelle que soit leur appartenance ou leur obédience politique étant donné que l’armée, la police, et les services de sécurité sont d’abord au service du peuple.

–           Refuser d’obéir à tout ordre hiérarchique qui serait inconstitutionnel et les amènerait à violer les droits des citoyens lors des opérations de maintien de l’ordre public.

  • S’abstenir de toute violation des droits et libertés fondamentales, particulièrement lors des manifestations pacifiques, conformément à la Constitution.
  1. Aux acteurs politiques :
  • S’imprégner davantage des vertus républicaines pour respecter la Constitution dans l’organisation et le fonctionnement de leurs partis politiques car il leur serait difficile de défendre la Constitution et promouvoir la démocratie dans le pays si on ne peut pas le faire au sein de leurs partis politiques.
  1. Aux intellectuels congolais :
  • S’investir dans la connaissance et l’amour de la Constitution en développant une culture constitutionnelle qui devrait les amener à défendre la Constitution de la République car le savoir n’a de valeur que s’il est mis au service du peuple. C’est particulièrement le cas des juristes, des politologues, et des enseignants des Facultés de droit qui devraient promouvoir le respect de la Constitution et non devenir des agents de justification des fraudes constitutionnelles au service des acteurs politiques.
  • Poursuivre les débats scientifiques sur la Constitution et rejeter leur politisation sur base des mots d’ordre politiques du gouvernement.
  1. A la Communauté internationale, spécialement l’ONU, l’Union africaine, l’Union européenne, et les partenaires étrangers de la RDC :
  • Continuer d’accompagner les institutions de la République et le peuple congolais dans leurs efforts en vue de l’application intégrale et du respect de la Constitution dont dépendent la paix et le développement du pays.
  • Aller au-delà des déclarations pour encourager le gouvernement et aider effectivement la CENI en lui apportant des moyens logistiques et financiers qui lui permettent de s’acquitter de son devoir d’organiser des élections présidentielles dans les délais constitutionnels.
  • Encourager le gouvernement à se conformer aux instruments internationaux relatifs à la démocratie et aux droits de l’homme, spécialement l’Acte Constitutif de l’Union africaine et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui condamnent et sanctionnent les violations des droits humains ainsi que tout changement inconstitutionnel de gouvernements qui est érigé en crime international. Les tripatouillages et autres fraudes à la Constitution en vue de la conservation du pouvoir sont assimilés aux changements inconstitutionnels de gouvernements.
  1. Au peuple congolais :
  • S’imprégner davantage de cette Constitution, qui est non pas une Constitution des belligérants, mais sa propre constitution qu’il avait adoptée par voie de référendum en décembre 2005 avec une participation populaire de 85%.
  • La constitution, en tant que pacte et socle de la société ou de l’Etat doit, être intériorisée dans l’imaginaire collectif des congolais.A cette fin, les participants au Colloque préconisent que la Constitution étant l’affaire de tous, un cours d’initiation à la Constitution devrait être instauré comme un enseignement obligatoire du niveau secondaire au niveau supérieur ou universitaire.
  • Une campagne de vulgarisation de la Constitution dans toutes les langues nationales est nécessaire pour développer la culture politique de la population, des acteurs politiques et des militants des partis politiques.
  • Comme Congolais, nous avons tous le devoir de chérir, de respecter et de protéger notre constitution. Qui aime le pays, qui aime la République Démocratique du Congo et qui aime le peuple congolais doit d’ abord aimer sa Constitution. C’est seulement en agissant de la sorte, que nous serons capables de bâtir un pays plus beau qu’avant et de redresser nos fronts longtemps courbés selon les prescrits de notre Hymne national « Debout Congolais ».

Vive la République Démocratique du Congo ;

Vive le Peuple congolais ;

Vive la Constitution de la République Démocratique du Congo ;

Constitution EWUMELA !

Fait à Kinshasa la 20 février 2016

LE RAPPORTEUR

GENERAL