Mesdames et Messieurs de la presse,
Ainsi que vous savez tous, c’est le 05 août 2014 que l’Honorable EWANGA, après le meeting à Ndjili Sainte Thérèse des forces politiques et sociales (Opposition) du 04 août 2014, a été arrêté aux petites heures du matin chez lui dans sa résidence pour être présenté en procédure de flagrance devant la Cour Suprême de Justice siégeant comme Cour de Cassation sous le RP 017/CR des chefs d’offenses envers le Chef de l’Etat et de discrimination raciale et tribale.
Au cours de cette première audience, la Cour Suprême de Justice siégeant comme Cour de Cassation avait rendu un arrêt avant-dire droit et prononcé une Ordonnance.
Par cette ordonnance, elle avait décidé le placement de l’Honorable EWANGA en résidence surveillée, ordonnance non exécutée à ce jour par le Parquet Général de la République ; l’Honorable EWANGA étant placé dans une chambre à l’Hôtel Invest de Presse qui n’est pas sa résidence. Qu’à cela ne tienne, il est détenu à ce dernier hôtel ; ce qui s’apparente malheureusement à la peine de résidence imposée prévue et punie par l’article 5 du Code pénal livre I alors qu’aucune juridiction n’a prononcé une telle peine à son encontre.
Par son arrêt avant-dire droit, la Cour a sursis à statuer face à l’exception d’inconstitutionnalité de l’Ordonnance-Loi n° 78-001 du 24 février 1978 relative à la répression des infractions flagrantes.
Il sied de signaler qu’avant que la Cour n’en arrive là, elle avait dû, par un autre arrêt avant-dire droit répondre elle-même à l’exception d’irrégularité de sa composition par rapport à la Loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.
En effet, l’article 34 de cette loi organique dispose :
« La Cour de Cassation, chambres réunies, comprend tous les Présidents des chambres ainsi que les Conseillers les plus anciens de chaque chambre.
Le Premier Président convoque et préside les chambres réunies de la Cour de Cassation.
En cas d’absence ou d’empêchement du Premier président, les chambres réunies sont convoquées et présidées conformément aux dispositions des articles 20 alinéa 2 et 27 de la présente loi organique.
Dans ce cas, un autre Conseiller de sa chambre est désigné dans la composition. Les chambres réunies siègent au nombre de sept membres au moins. Dans tous les cas, elles siègent en nombre impair. ».
Cette disposition légale n’a pas été respectée dans la composition qui a jugé l’Honorable EWANGA en ce que d’abord, le Premier Président de la Cour Suprême de Justice qui avait convoqué et composé les chambres réunies ne les avait pas présidées pendant qu’il était présent dans son bureau et donc non empêché ; ensuite, un seul Président au lieu de tous les présidents comme dit la loi avait siégé. Ces deux raisons suffisent pour attester de l’irrégularité de la composition.
Mais curieusement, la Cour a balayé d’un revers de la main cette exception fondée pour dire que les structures de la Cour de Cassation n’étant pas encore mise en place, elle fonctionne conformément à ses propres structures lesquelles seraient assises sur l’Ordonnance-Loi n° 82 – 017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour Suprême de Justice qui prescrit en son titre IV que la Cour siège en matières de cassation à 7 membres. Et pourtant, la loi organique n° 13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de cassation en son article 91 dispose « Les titres II et IV de l’Ordonnance n° 82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour Suprême de Justice sont abrogés.
La Cour de Cassation dans sa composition qui juge l’Honorable EWANGA n’a pas d’assises légales et est donc irrégulière. Et c’est dans ces conditions qu’elle procède.
Revenons sur son arrêt avant-dire droit de surséance en rapport avec l’exception d’inconstitutionnalité de l’Ordonnance-Loi n° 78/001 du 24 février 1978 relative à la répression des infractions flagrantes. La Cour a transmis le dossier de cette exception à la Cour Suprême de Justice faisant office de Cour Constitutionnelle, laquelle a été aussi saisie par l’Honorable EWANGA par voie de requête en inconstitutionnalité de la même Ordonnance-Loi. Ces deux affaires ont été enrôlées sous les R.Const 306 et 307 / TSR.
Appelées à l’audience du 25 août 2014, ces deux causes ont été jointes, instruites et ont reçu l’arrêt du même jour sous R.Const 306/307/TSR.
A cette audience, l’Honorable EWANGA par ses Conseils a soulevé l’exception préalable de l’irrégularité de la composition du siège de la Cour Constitutionnelle au regard de l’article 90 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle. Il a demandé à cette Cour de lui donner la disposition légale qui justifie sa composition.
La Cour n’a pas indiqué cette disposition dans son arrêt où on peut lire sa réponse comme suit : « Quant au grief relatif à l’irrégularité de la composition du siège appelé à connaitre l’exception d’inconstitutionnalité par lui soulevée, la Cour suprême de justice relève qu’elle exerce les attributions dévolues à la Cour Constitutionnelle en vertu de l’article 223 de la Constitution jusqu’à l’installation de cette dernière.
Elle note que les structures organisationnelles propres à la Cour Constitutionnelle telles que prévues par la loi organique précitée n’étant pas encore opérationnelles, elle ne peut assumer ces prérogatives constitutionnelles qu’avec les mécanismes de son organisation et son fonctionnement actuels.
Ainsi, la composition du siège de la Cour Constitutionnelle telle que prévue à l’article 90 de la loi organique susvantée ne pourra être d’application que devant cette Cour et non devant la Cour Suprême de justice faisant transitoirement office de Cour Constitutionnelle.
Cette exception n’est donc pas fondée. ».
Et pourtant, l’article 119 de la Loi organique susvisée a expressément été abrogée par les titres V et VI de l’Ordonnance-Loi n° 82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour Suprême de Justice.
Des quels mécanismes dont elle parle, lesquels seraient fondés sur quelle loi, sinon ceux fondés sur la loi déjà abrogée ?
A partir de cet instant, nous avons commencé à comprendre que nous avions affaire à un procès politique et non judiciaire. Et la suite nous donnera raison.
Quant à l’inconstitutionnalité de l’Ordonnance-loi sur la flagrance, la même Cour a rejeté cette exception sans convaincre. En effet, comment une loi peut-elle être contraire à la Constitution et subsister ?
Alors que l’article 21 de la Constitution en vigueur dispose que tout jugement est écrit et motivé, l’article 9 de l’Ordonnance-Loi susmentionnée dit que le jugement sur la flagrance est rendu sur dispositif immédiatement après la clôture des débats ; il est rédigé dans les 48 heures. Cette loi est de toute évidence contraire à la Constitution qui exige qu’au moment de son prononcé, le jugement soit écrit et motivé, cela voudrait dire rédiger et motiver. Voilà qu’une loi vient établir une exception à une disposition constitutionnelle. Et la Cour ferme les yeux devant une telle situation.
Sommes-nous encore et toujours dans un Etat de droit ? A vous d’en juger et d’y répondre.
Cette exception étant tranchée, de la façon inique d’une part, et que d’autre part les arrêts de la Cour Constitutionnelle ne sont pas susceptibles de recours, il s’imposait à l’Honorable EWANGA de rentrer devant la Cour suprême de justice faisant office de Cour de Cassation où à l’audience du 02 septembre 2014, il souleva l’exception d’inconstitutionnalité de l’Ordonnance-Loi n° 300 du 16 décembre 1963 relative à la répression des offenses envers le Chef de l’Etat. Cette dernière Cour ordonna à nouveau la surséance de la procédure pour permettre à la Cour Suprême de Justice faisant office de Cour Constitutionnelle d’en connaître.
Appelé à l’audience du 08 septembre 2014, l’Honorable EWANGA, par ses Conseils, a présenté les moyens imparables d’inconstitutionnalité de l’Ordonnance-Loi attaquée.
Il a d’abord souligné que dans la loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, Constitution en vigueur à l’époque où l’Ordonnance-loi en cause fut promulguée, le Chef de l’Etat n’intervenait dans le domaine législatif que de manière limitée et précise.
En effet, l’article 37 de la loi fondamentale disposait ce qui suit :
« Le Gouvernement peut, pour l’exécution urgente de son programme, demander aux Chambres l’autorisation pour le Chef de l’Etat de prendre par Ordonnance-loi, et pour une matière déterminée, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
Les ordonnances-loi sont élaborées en Conseil des Ministres et préalablement soumises à la Chambre de constitutionnalité.
Elles deviennent caduques si elles ne sont pas approuvées par les Chambres dans un délai de six mois à dater de leur mise en vigueur ».
Or, l’Ordonnance-Loi attaquée, dans son visa, s’est fondée sur une simple ordonnance du Président de la République. On peut y lire ce qui suit :
« Le Président de la République,
Vu la loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo,
Vu l’Ordonnance n° 227 du 29 septembre 1963 autorisant le Gouvernement à prendre par ordonnance-loi des mesures qui sont normalement du domaine de la loi (Sic !)…. » (Moniteur congolais n°1 du 02 janvier 1964, p.7).
Le Président de la République de l’époque, avec tous les respects que nous lui devons, avait violé la Constitution, car au lieu d’indiquer la loi lui autorisant à prendre une telle Ordonnance-loi qui du reste ne faisait pas partie du programme du gouvernement à exécution urgente, a pris, pour base, sa propre ordonnance alors que l’article 27 de la loi fondamentale circonscrivait le cadre de l’ordonnance du Chef de l’Etat en ces termes :
« Le Chef de l’Etat fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois, sans pouvoir jamais, ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution ».
Il ne pouvait donc par ordonnance s’attribuer le pouvoir législatif.
En sus de ce moyen, la défense de l’Honorable EWANGA a indiqué, preuve à l’appui (exhibition de tous les Moniteurs congolais de 1963 et 1964) que :
- l’Ordonnance 227 du 29 septembre 1963 du Président Joseph KASA-VUBU n’a jamais été publiée ; donc inopposable à EWANGA ;
- Il n’y a jamais eu une loi autorisant le Président KASA-VUBU à prendre son Ordonnance-Loi n° 300 du 16 décembre 1963. Car, aucune trace d’elle n’existe dans le Moniteur congolais ;
- Il n’y a jamais eu comme le voulait la Constitution de l’époque une loi d’approbation de cette Ordonnance-Loi dans les 6 mois qui ont suivi sa mise en vigueur. Elle était donc devenue caduque à la date du 17 juin 1964.
Devant cet argumentaire imparable, la Cour Suprême de Justice, faisant office de Cour Constitutionnelle, a choisi de fuir le débat au fond en décrétant l’irrecevabilité de cette exception au motif fallacieux qu’elle aurait dû être soulevée à la première audience. Et la Cour est allée plus loin dans son œuvre en interdisant toute exception future car elle ne la jugera point pour présentation tardive.
Mesdames et Messieurs de la Presse ;
Cette Cour composée des Hauts Magistrats n’est pas celle à laquelle on doit apprendre qu’en droit procédural congolais, les exceptions d’ordre public, telle l’exception d’inconstitutionnalité, sont soulevées ad nutum, c’est-à-dire, à tout moment de l’instance, dès lors que le jugement sur le fond de l’affaire n’est pas rendu.
Mais d’où vient alors que la Cour Suprême de Justice faisant office de Cour Constitutionnelle, composée des plus Hauts Magistrats de la République, foule au pied cette règle d’or de la procédure judiciaire en droit congolais ?
Nous avons, après cet arrêt, forgé notre conviction que nous étions devant un procès politique et non judiciaire. Cela est d’autant plus vrai qu’à cette audience un parti politique bien connu de la majorité présidentielle a fait recours, ainsi que la presse l’a mentionné, aux « pombats » (jeunes désœuvrés aux biceps très fournis et armés) pour venir intimider les Magistrats avec des banderoles tendancieuses et partisanes pourtant interdites d’exhibition dans les alentours des palais de justice.
Quel allait être le sort de ces Magistrats s’ils avaient osé dire correctement le droit ?
Curieusement, aucun de ces jeunes n’a été arrêté par la police qui a affiché sa complaisance. Les jeunes de l’UNC, de l’UDPS ou d’un autre parti de l’opposition pouvaient-t-ils se comporter de la sorte et s’en sortir ? Jugez-en et répondez-y vous-mêmes.
Mesdames et Messieurs de la Presse,
L’issue du procès EWANGA semble être connue d’avance. Il s’agit de l’exécution d’un plan savamment monté pour affaiblir l’UNC, mon parti, qui fait face à des procédures judiciaires commandées.
Ce plan vise l’affaiblissement de l’ensemble des forces politiques et sociales qui militent pour la démocratie et l’émergence d’un Etat de droit.
Vous vous souviendrez de la procédure contre moi-même pour des faits portés par une lettre de mon parti, personne morale, qui, on ne sait par quel mécanisme, sont mis à ma charge, en tant que personne physique.
Maintenant c’est le tour du n°2 du parti, l’Honorable EWANGA. Demain ça sera le tour de quel autre membre du parti ?
La justice pourtant indépendante sur papier est mise activement à contribution pour anéantir l’UNC singulièrement et l’opposition politique d’une manière générale, comme nous venons de le rappeler.
Je voudrais ici réaffirmer l’engament de mon parti à servir la République et le peuple congolais dans le respect de la Constitution et des lois de la République.
EWANGA sera très probablement arrêté, mais de la prison où il se trouvera, il continuera par ses idées, faits et gestes, à influer sur la marche du parti. Il est désormais une victime de l’intolérance et de la dictature comme KUTHINO, DIOMI, NDONGALA, KABADJI, le journaliste Mike MUKEBAYI et autres défenseurs de droit de l’homme et leaders d’opinion qui croupissent injustement en prison.
L’UNC ne les abandonnera jamais et n’abandonnera non plus son combat pour l’intérêt du peuple congolais.
Enfin, il y a lieu de noter que toutes les audiences de l’Honorable EWANGA étaient annoncées dans l’avant-midi pour commencer au plus tôt à 18 heures.
Profitant de cette occasion, nous rappelons que les forces politiques et sociales organisent une marche de protestation contre le changement de la Constitution ce samedi 13 septembre 2014.
Nous invitons toute la population de Kinshasa de venir nombreuses y participer, et ce, conformément a l’article 64 de la Constitution qui dispose que :
«Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d'individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l'exerce en violation des dispositions de la présente Constitution.
Toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la nation et l'Etat. Elle est punie conformément à la loi».
En ce moment crucial de notre processus démocratique et de paix, des mesures de descrispation politique devraient être envisagées vis-à-vis des leaders d’opinion. Et pour le cas de l’Honorable EWANGA qui n’a fait que sensibiliser la population sur l’inopportunité de la révision de la Constitution, l’on ne pourra comprendra qu’on puisse amnistier ceux qui ont pris les armes et en même temps l’on garde en prison injustement ceux qui défende pacifiquement la démocratie.
Que Dieu bénisse la RDC et son peuple.
Fait à Kinshasa, le 11 septembre