Province de la Mongala : Des enfants illégalement détenus à la prison d’Angenga

Mercredi 6 avril 2016 - 11:59

Human Right Watch exige l’inculpation de Séraphin Nzitonda, allias Lionso, un officier FDLR soupçonné de viol par la justice congolaise

L’ONG Human Right Watch a publié lundi dernier son nouveau rapport-choc sur la prison militaire d’Angenga en République démocratique du Congo.

Dans ce document de plusieurs pages, l’ONGDH américaine fait état de la détention illégale de plusieurs enfants dans la prison militaire d’Angenga, dans la nouvelle province de la Mongala.

C’est dans cette prison que près de 300 présumés combattants FDLR ont été transférés depuis 2015 et restent détenus sans suite judiciaire.

Selon l’organisation de défense des droits de l’homme, au moins 29 d’entre eux sont des enfants, détenus avec des adultes dans des conditions très difficiles et en violation des règles du droit international.

Pour Human Rights Watch, il faut que ces enfants soient immédiatement séparés des adultes et libérés.

L’organisation de défense des droits de l’homme déplore que la mission des Nations unies au Congo ne soit pas intervenue avant. Elle est pourtant informée de cette situation depuis octobre.

Une dizaine de ces enfants ont même transité par la Monusco qui les a remis aux FARDC sans faire le suivi de la situation. La Mission onusienne n’a envoyé une mission conjointe avec le gouvernement qu’à la mi-mars juste avant la publication du rapport de Human Rights Watch.

L’organisation de défense des droits de l’homme appelle également le gouvernement congolais à formellement inculper Séraphin Nzitonda, dit Lionso, un officier FDLR qui se trouve à Angenga et qui est soupçonné par la justice congolaise d’avoir participé à une campagne de viols de masse dans le territoire de Walikalé en 2010. Près de 400 femmes et filles avaient été violées en quelques jours.

Ce rapport a été mené avec professionnalisme par les enquêteurs de Human Rights Watch qui on réussi à interroger 52 détenus, dont 29 enfants, et plusieurs responsables de la prison à Angenga, ainsi que plus de 40 responsables militaires et gouvernementaux congolais, des responsables des Nations Unies, des travailleurs du secteur humanitaire et d’autres personnes, entre décembre 2015 et mars 2016.

Résumé du rapport de HRW

Les Forces Armées de la RDC (FARDC) détiennent illégalement au moins 29 enfants dans de rudes conditions dans le nord-ouest de la République démocratique du Congo (RD Congo), a déclaré Human Rights Watch.

Les autorités affirment que ces garçons, âgés de 15 à 17 ans, étaient membres d’un groupe rebelle armé et les détiennent dans une prison militaire à Angenga depuis leur capture dans l’est de la RD Congo dans la première moitié de 2015.

Human Rights Watch a constaté, lors d’une visite de la prison d’Angenga en décembre 2015, que ni ces garçons ni les hommes adultes qui sont détenus avec eux n’ont été formellement accusés de crimes, et qu’ils n’avaient accès ni à des avocats ni à leurs familles. Les détenus qui n’ont commis aucun crime devraient être remis en liberté sans tarder.

Selon le droit international, les pays ont l’obligation de reconnaître la spécificité de la situation des enfants qui ont été recrutés ou utilisés dans un conflit armé. Les anciens enfants soldats devraient être réhabilités et réinsérés dans la société.

« Les autorités congolaises devraient libérer immédiatement les enfants et les adultes détenus à la prison d’Angenga qui n’ont commis aucun crime et inculper les autres de manière équitable », a déclaré Ida Sawyer, chercheuse senior au sein de la division Afrique de Human Rights Watch.

« Les enfants qui ont été des combattants rebelles devraient être réhabilités, et non pas jetés en prison et détenus indéfiniment. »

Human Rights Watch a interrogé 52 détenus, dont 29 enfants, et plusieurs responsables de la prison à Angenga, ainsi que plus de 40 responsables militaires et gouvernementaux congolais, des responsables des Nations Unies, des travailleurs du secteur humanitaire et d’autres personnes, entre décembre 2015 et mars 2016.

Les conditions de détention sont déplorables à Angenga, où les prisonniers sont privés d’une nourriture adéquate, d’eau salubre et de soins médicaux.

Les enfants et les adultes sont encore ensemble dans l’enceinte de la prison pendant la journée. Les enfants étaient détenus dans les mêmes cellules que les adultes jusque fin février 2016, lorsque les autorités de la prison les ont transférés dans une aile distincte pour dormir.

« Pour obtenir des médicaments, vous devez attendre une réponse de Dieu », a déclaré un prisonnier.

Entre février et juin 2015, les forces de sécurité congolaises ont appréhendé 262 hommes et garçons de nationalité congolaise, rwandaise et burundaise dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, et dans l’ancienne province du Katanga dans l’est de la RD Congo.

Ces captifs ont été accusés d’être membres des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), groupe armé majoritairement composé des rwandais membres de l’ethnie hutu, dont certains dirigeants sont considérés comme ayant participé au génocide de 1994 au Rwanda.

La majorité des combattants des FDLR d’aujourd’hui ne sont guère susceptibles d’avoir joué un rôle dans le génocide car à l’époque ils étaient trop jeunes. Un très grand nombre de combattants des FDLR sont des recrues de nationalité congolaise.

Du Kivu à Angenga, un parcours rocambolesque

L’armée a emmené ces combattants présumés vers la ville de Goma, puis les a transférés par avion à la prison militaire d’Angenga, dans l’ancienne province de l’Équateur dans le nord-ouest de la RD Congo (actuellement appelée province de Mongala), entre mai et août 2015.

Depuis décembre, plus de 60 autres combattants présumés des FDLR ont été transférés à Angenga. Au moins quatre prisonniers sont morts de maladies depuis leur arrivée à Angenga.

Deux autres ont été tués par balle le 26 février 2016 en dehors du périmètre de la prison. Les autorités pénitentiaires soutiennent que les deux hommes avaient tenté de s’évader.

La plupart des prisonniers interrogés, dont 17 enfants, ont affirmé être des civils et n’avoir aucun lien avec les FDLR. D’autres ont reconnu avoir appartenu aux FDLR mais ont affirmé avoir été démobilisés il y a des mois, voire des années, et s’être réinsérés dans la vie civile. Plusieurs réfugiés hutu rwandais ont affirmé que les autorités les avaient arrêtés sous prétexte qu’ils auraient dû se faire enregistrer auprès des agences nationales et internationales chargées des réfugiés en RD Congo.

Certains ont affirmé s’être entendu dire qu’ils devaient, pour leur propre sécurité, quitter la zone d’opérations militaires où ils se trouvaient, mais que lorsqu’ils sont arrivés avec leurs familles dans un village prétendument « sûr », ils avaient été arrêtés et accusés d’appartenir aux FDLR. Human Rights Watch n’a pu confirmer la véracité de ces affirmations individuelles.

« Les autorités locales sont venues nous dire que nous devions nous faire enregistrer auprès de la CNR [Commission nationale pour les réfugiés] », a déclaré à Human Rights Watch un garçon hutu rwandais âgé de 16 ans qui vivait à Fizi, dans la province du Sud-Kivu. « Mais en fait, ils nous ont emmenés à leur camp militaire. Le même jour, huit autres personnes sont tombées dans le même piège, croyant qu’elles devaient se faire enregistrer. »

Un autre détenu âgé de 16 ans, qui a été enfant soldat au sein des FDLR, a affirmé qu’il s’était rendu à l’armée congolaise afin de pouvoir retourner à la vie civile grâce au programme de démobilisation du pays.

En fait, il a été arrêté et envoyé à Angenga.
Huit autres enfants qui avaient été membres des FDLR ont déclaré qu’ils s’étaient rendus à la mission de maintien de la paix de l’ONU en RD Congo, la MONUSCO, dans les territoires de Rutshuru et Masisi au Nord-Kivu.

Ces enfants ont affirmé que les Casques bleus les avaient ensuite remis à l’armée congolaise. La MONUSCO affirme que sept d’entre eux avaient initialement déclaré être des adultes et que le huitième garçon ne s’est pas présenté à la MONUSCO.

La MONUSCO a également déclaré que les Casques bleus ont remis deux autres enfants soldats des FDLR – qui ont initialement déclaré être des adultes – à l’armée congolaise, qui les a ensuite envoyés à Angenga. La MONUSCO a ajouté qu’ils ont à tort supposé que l’armée allait envoyer les anciens combattants dans un camp de réintégration et non à la prison.

Les diverses divisions de la MONUSCO, ainsi que des organisations non gouvernementales, l’armée congolaise et des autorités pénitentiaires, ont attribué aux enfants présumés des âges considérablement divergents, ce qui justifie un examen approfondi des politiques existantes, a indiqué Human Rights Watch.

Un responsable de haut rang de la MONUSCO a été informé des transferts de détenus, y compris d’enfants, à la prison d’Angenga, au plus tard en octobre 2015 lors d’une réunion d’information tenue par une organisation humanitaire. Dans son rapport publié en octobre, le Groupe d’experts de l’ONU sur la RD Congo a également évoqué les détenus d’Angenga.

Cinq mois après avoir été informée de la possible détention d’enfants, la MONUSCO a envoyé une mission d’enquête. Lors de cette mission conjointe de trois jours en mars 2016, des responsables de la MONUSCO et de l’armée congolaise ont eu ensemble des entretiens sommaires avec 94 enfants présumés, sur la base de listes qu’ils avaient reçues des autorités pénitentiaires et d’une organisation humanitaire. Ces responsables ont conclu que 22 détenus étaient des enfants.

Human Rights Watch estime que le nombre d’enfants est vraisemblablement beaucoup plus élevé et que les conditions dans lesquelles ces entretiens ont été menés et la brièveté du temps passé avec chaque enfant ont compromis l’exhaustivité de l’enquête.

Le 28 mars, un responsable de haut rang de la MONUSCO a déclaré que la mission travaillait avec le gouvernement congolais afin d’extraire les enfants de la prison, mais qu’aucune date n’avait encore été fixée pour ce transfert.

Certains des ex-combattants des FDLR détenus à Angenga ont peut-être été impliqués dans des crimes de guerre ou dans d’autres crimes.

Mais ces hommes, pas plus que les autres détenus, n’ont été ni inculpés ni amenés à comparaître devant un tribunal. Parmi eux se trouve un officier des FDLR, Séraphin Nzitonda, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt congolais pour son rôle présumé dans un viol massif.

« Les responsables de l’ONU savaient que des enfants étaient détenus à Angenga, mais ont attendu des mois avant d’agir sur la base de cette information », a affirmé Ida Sawyer.

« Les autorités congolaises devraient travailler étroitement avec la MONUSCO pour extraire les enfants de cette prison. Cette prison n’est pas faite pour des enfants et, étant donné les conditions de vie déplorables qui y règnent, il semble qu’elle n’est faite pour personne.

Par Godé Kalonji