RDC. Matata Ponyo, le prédateur

Lundi 6 avril 2015 - 08:00

Pour le président américain Barack Obama, le bilan du président de la République démocratique du Congo est louable. C’est ce qu’il a dit directement à Joseph Kabila dans un entretien téléphonique le 31 mars. J. Kabila a pu conduire la République démocratique du Congo sur le chemin du progrès démocratique continu, a dit B. Obama. Toutefois cet acquis démocratique doit encore être renforcé par des « élections opportunes, crédibles et paisibles qui respectent la constitution» et qui «protègent les droits de tous les citoyens» du pays, a ajouté le président américain.

Le président Joseph Kabila en est à son deuxième mandat dont le terme arrive en 2016. Sa décision de modifier la constitution pour se représenter à cette date a perturbé le pays et l’opposition s’est mobilisée contre lui. Mais ne s’avouant pas vaincu, il a essayé son plan B qui consiste à reporter les élections. Il voulait lier le scrutin à un recensement général de la population. L’opposition a vite compris, les résultats d’un recensement commencé en 2014, ne seraient prêts que quatre années plus tard, soit deux années après la fin du mandat présidentiel.

Là aussi l’opposition a fait échec à cette tentative. C’est sans doute pour cela que le président des Etats-Unis a insisté sur le respect de la constitution et l’organisation des élections à leur échéance.

Question d’argent

Pour rassurer son homologue, Barack Obama a confirmé que les Etats-Unis poursuivront leur engagement en République démocratique du Congo tout au long du processus électoral. Même qu’un nouveau Représentant spécial américain à la Région des Grands Lacs et en RDC pourrait être désigné.

Dans l’opposition, on assure qu’il y a une vie après la présidence. L’opposant Vital Kamerhe, qui était président du Parlement, a suggéré de créer le statut d’ancien président, comportant certains avantages comme la sécurité, les émoluments, la résidence… Bref, Joseph Kabila n’aurait rien à craindre.

Qu’à cela ne tienne, le président persiste, les cris de l’opposition ne l’atteignent pas. Or, il se trouve actuellement dans une situation difficile. Le coût énorme des élections oblige la RDC à recourir aux aides des pays amis et des organisations internationales. On parle déjà d’un milliard de dollars. Le gouvernement a assuré qu’il est déjà prêt pour sa part, mais qu’il ne sait pas encore si les partenaires le sont. Ce qui est sûr c’est que les partenaires dont les Etats-Unis, la France, les Nations Unies à travers la Minusco trouveraient des difficultés à justifier une aide à un président qui manipule la constitution et qui risque de torpiller le processus démocratique auquel il a participé.

La méthode Poutine

C’est aussi donc une question d’argent. Cependant le président Kabila ne manque pas de ressources pour contourner toutes ces contraintes politiques intérieures et extérieures. Il lui reste encore la méthode Poutine. On sait que Vladimir Poutine qui ne pouvait plus se représenter au poste de président avait poussé son dauphin Dmitri Mervedev. Il n’avait plus qu’à attendre pour reprendre sa place une fois le mandat de celui-ci terminé.

Selon certaines sources, Joseph Kabila y penserait et il aurait sous la main un dauphin docile, son premier ministre Augustin Matata Ponyo. Il serait prêt à le pousser vers les présidentielles afin qu’il lui garde son siège au chaud jusqu’aux prochaines élections. De fait, si la constitution interdit d’aller au-delà de deux mandats, elle n’interdit pas la candidature après un autre président. Le tour est facile. Mais ce serait compter sans l’opposition, très forte et la diaspora qui compte beaucoup dans les équilibres politiques du pays.

Affaires suspectes

La solution semble facile et jouable, mais il y a un os. Augustin Matata Ponyo n’est pas bien vu dans le peuple. Il aurait certaines mauvaises affaires à se reprocher.

Les Congolais parlent de plusieurs faits condamnables, en relation avec la dilapidation des deniers publics. Quelques cas emblématiques reviennent souvent dans les discussions. Ainsi de l’affaire du gros contrat de bus. Un marché passé sans suivre le cheminement ordinaire d’un marché public et qui a généré une commission de 20 millions de dollars que les intéressés se seraient partagée. Le maître de ce stratagème était l’ancien ministre délégué aux Finances, limogé depuis. C’est lui qui s’occupait des montages financiers mais aussi de la répartition des « gains ».

Les chemins de fer n’ont pas non plus échappé à la voracité du premier ministre. Un grand marché d’acquisition de locomotives, financé par des institutions financières internationales, défraye la chronique puisque les Congolais n’ont rien vu, sur le plan de l’amélioration des services ferroviaires. Les institutions internationales qui ont contribué au projet auraient lancé une enquête.

Dans une autre affaire encore, le premier ministre qui avait programmé la construction de 1000 écoles, un gros budget, n’en a réalisé que 400. Le marché passé de gré à gré, comme celui des bus d’ailleurs, a, là aussi, laissé au passage une commission de 20%.

Mais comme dans toutes les affaires de ce genre, la présence d’un intermédiaire est obligatoire. On parle de la femme du premier ministre. C’est elle qui interviendrait auprès de son mari en faveur de ceux qui cherchent à fructifier leurs affaires sur le dos du contribuable. C’est un cas sur lequel il faudrait bien revenir un jour, pour voir quel rôle joue cette femme au juste.

Ces affaires ne sont probablement rien à côté de la retenue des redevances minières. Matata Ponyo a été accusé d’avoir « oublié » de reverser 15% aux provinces et 25% aux territoires d’exploitation des recettes minières, ainsi que le stipule le code minier. Les représentants des régions s’étaient plaints au président qui avait envoyé une lettre au premier ministre. Ce dernier avait déclaré que cette procédure prenait du temps. Les régions attendent toujours.

Un pays riche…une population pauvre

Lorsqu’on revient sur la personnalité du premier ministre et dauphin du président, on apprend qu’avant d’être nommé à son poste, il était directeur général du Bureau de Coordination. Le BCECO est une agence d’exécution née de la volonté commune du Gouvernement congolais et de la Banque Mondiale, pour assurer une utilisation rapide et efficiente des ressources financières extérieures octroyées au gouvernement congolais sous forme de dons et de crédit, et destinées à financer des projets d’intérêt public dans tous les secteurs de la vie nationale. Plusieurs Congolais pensent que le passage de Matata Ponyo a laissé des traces qui mériteraient des investigations très poussées.

Le fait que le premier ministre soit en désaccord permanent avec le ministre de l’Intérieur montre bien qu’il y a une lutte, certainement pas pour les intérêts du peuple mais pour des questions de positionnement de chacun. Le ministre de l’Intérieur est d’ailleurs vu par les ONG des droits humains comme le responsable de la violente répression des dernières manifestations contre le changement de la constitution.

Toujours est-il que le peuple n’arrive pas à comprendre pourquoi un pays aussi riche devrait quémander une aide financière pour organiser ses élections, alors que l’argent du contribuable est dilapidé. Selon l’opposition, le coût estimé des élections a été largement exagéré. Sans doute un autre prétexte pour reporter les échéances électorales. Par comparaison, disait l’opposant Vital Kamerhe, le Nigéria avec ses 120 millions d’habitants, soit le double de la RDC, a déboursé 80 millions de dollars seulement pour ses élections. Les partenaires internationaux savent évidemment tout cela. Aussi Jospeh Kabila se trouve-t-il pris en étau entre une opposition qui s’accroche au processus démocratique et qui veut éviter au pays d’autres troubles et la communauté internationale qui ne pourrait pas donner son aval à une opération qui tuerait sans doute la démocratie congolaise naissante. Les prédations de son premier ministre n’arrangent pas les choses.

http://blogs.mediapart.fr/blog/eric-heriot/020415/rdc-matata-ponyo-le-predateur