Kabeya N’Kashama Mutoke: « Le dialogue ne peut pas se faire n’importe comment, au risque de conduire à l’inverse des résultats escomptés »

Vendredi 19 juin 2015 - 06:17

La classe politique congolaise en République démocratique du Congo (RDC) réagit diversement au dialogue national proposé par le président Joseph Kabila. Les uns sont pour et les autres le jugent inopportun.

Interrogé par Lepotentielonline.com, Kabeya N'Kashama-Mutoke, secrétaire national adjoint aux relations extérieures chargé de la Francophonie et des relations avec les partis politiques étrangers au sein du Congrès des Démocrates pour le Progrès Social (CDPS), donne le point de vue de son parti sur ce sujet.

Quelle est la position du Congrès des Démocrates pour le Progrès Social (CDPS) sur le dialogue politique préconisé par le président Joseph Kabila ?

Le CDPS obéit aux principes qui font du dialogue une manière républicaine et démocratique de prévention et de gestion consensuelle de crise dans la marche de la nation. Il se fonde sur l’encrage des valeurs traditionnelles de l’arbre à palabre africaine qui ont permis à nos sociétés de s’administrer et de résister à travers plusieurs vicissitudes dans l’espace et le temps durant des siècles.

Mais, le dialogue ne peut pas se faire n’importe comment, au risque de conduire à l’inverse des résultats escomptés. Notre position est claire à ce sujet: dans son intervention du 9 juin 2015, le président du CDPS, François-Xavier Beltchika, a précisé que le dialogue doit être d'abord contextualisé pour éviter toute ambigüité.

Ensuite, il doit dégager un consensus sur le calendrier électoral en fonction des contraintes temps et des moyens disponibles en privilégiant l’élection présidentielle dont le délai buttoir est fixé dans la constitution, avec jumelage des législatives nationales.

Enfin, il doit traiter de l’intégration dans le fichier électoral des nouveaux majeurs depuis 2011, et dégager un consensus sur la sécurisation du processus électoral pour les élections crédibles, transparentes et apaisées.

L’opposition, dont le CDPS fait partie, réclamait depuis plusieurs années « un vrai dialogue ». Pourquoi le récuse-t-elle aujourd’hui ?

La tentative des ténors de la majorité à vouloir modifier l' article 8 de la loi électorale qui conditionnait la tenue de l'élection présidentielle de 2016 à un recensement de la population est à la base de cette réserve.

Car, ce recensement repousserait la date de la présidentielle au-delà de l'échéance prévue par la constitution et permettrait ainsi à Joseph Kabila de rester au pouvoir illégalement.

Le soulèvement populaire des 19, 20 et 21 janvier 2015 à Kinshasa et dans d'autres villes du pays a contraint le pouvoir à faire preuve d’une «sagesse» tardive et d’élaguer la disposition querellée du fameux article. Cette volte-face a permis d' apaiser les tensions avec le peuple.

Ce comportement , et le mot n'est pas assez dur, s'apparente à un calcul politique. Il ne peut qu'exacerber la méfiance de l'opposition vis-à-vis de la majorité au pouvoir. L'opposition refuse donc d' une énième manœuvre susceptible d' aider Joseph Kabila à se maintenir au pouvoir au-delà de 2016, ce qui lui est actuellement interdit par la constitution.

Evidemment, une partie de l’opposition prête à la majorité présidentielle l’intention de préparer un « glissement » pour le prolongement du mandat de Joseph Kabila. Selon vous, sur quoi fonde-t-elle cette idée ?

Certains membres de la majorité poussent le président Kabila à se maintenir au pouvoir pour leurs propres intérêts égoïstes. Le mutisme du principal intéressé, par ailleurs garant de la constitution, n’est pas fait pour clarifier la situation. Il participe à accréditer cette thèse, d'où la méfiance et la vigilance de l’opposition et de l’opinion publique.

Le CDPS considère qu’en sa qualité de garant de la constitution, le président de la République a l’obligation de respecter et de faire respecter la constitution qui est au-dessus de tous. A défaut de le faire, il sera le premier responsable de la crise aux conséquences imprévisibles qui en résulterait.

Tout n'est pas non plus clair du côté de l'opposition qui semble être divisée sur sa participation à ce dialogue. Comment expliquez-vous ce genre de divergence à l’approche des échéances électorales ?

C'est la crise de confiance entre acteurs politiques due au déficit de consensus autour des principes et des valeurs républicains privilégiant l’intérêt général et la volonté des gouvernants à vouloir se pérenniser au pouvoir, même en violation de la constitution.

En effet, Cette attitude sème la confusion dans l’esprit de la population. Il appartient à la classe politique de l'opposition de tenir un discours clair et de rester cohérente dans sa démarche. C'est cette ligne politique que nous défendons au sein du CDPS.

Martin Kobler, représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en RD Congo et chef de la Monusco, a affirmé être disposé à offrir ses bons offices si le Président Joseph Kabila et les partis au dialogue le souhaitent. Qu’en pensez-vous ?

Cela prouve que la RD Congo peut compter sur des amis qui s’interrogent sur le gâchis qu’ils vivent sous les yeux. Il faut saluer la prédisposition de M. Kobler. Elle est louable.

Mais il faut qu'il jouisse de la confiance des partenaires au dialogue; qu’il inspire la neutralité; qu'il soit capable de faire adopter par les partenaires des solutions de compromis efficaces.

Sinon, la préférence reste aux Congolais. Notre pays gagnerait en face du monde et de son peuple en offrant l’image d'une nation mature à même de résoudre lui-même tous ses problèmes. Le CDPS milite pour le renouvellement de la classe politique capable de travailler dans ce sens.

D’aucuns craignent que la RD Congo plonge dans des violences et des troubles généralisés et incontrôlables si le processus constitutionnel n’est pas respecté. Partagez-vous ce sentiment ?

Le non-respect du processus électoral n’est pas un bon signe dans le fonctionnement et la gestion des institutions de la République. Celles-ci s’en trouvent fragilisées et en conséquence l’autorité de l’Etat déjà mal en point n’en sera que plus affectée sur l'ensemble du territoire national.

Le pire est à craindre si l’on y ajoute la précarité généralisée au niveau de notre peuple et l’insécurité que l’on déplore dans le pays.

La situation sécuritaire dans le Nord-Kivu, à Béni et Goma, demeure instable et imprévisible. Le gouvernement congolais est-il crédible dans la gestion de la crise qui secoue cette partie du pays ?

Dans une étude réalisée en 2013 intitulée: « Le CDPS pour une nouvelle politique de défense nationale », nous préconisions des solutions pour mettre un terme à la souffrance de notre peuple martyrisé par l'absence d'une politique de sécurité et de défense cohérente, notamment la stratégie nullissime de brassage, de mixage et d' intégration des éléments issus des différentes rebellions au sein des Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC).

Cette étude est consultable sur www.cdps-rdc.com. Il est triste de constater que la crédibilité du gouvernement congolais dans la gestion de la crise qui secoue l'Est du pays est mise à mal par les actes de trahison, de complicité et l'appui dont bénéficient les ennemis de la RD Congo au plus haut sommet de l'Etat.